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NANCY
(Opéra de Nancy et de Lorraine)


TANNHÄUSER

Richard WAGNER

Direction musicale : Sebastian Lang-Lessing
Mise en scène : Andreas Baesler
Décors : Hermann Feuchter
Costumes : Susanne Hubrich
Lumières : Gérard Cleven

Andrew Greenan (Landgrave)
John Treleaven (Tannhäuser)
Dietrich Henschel (Wolfram)
Nicolai Schukoff (Walther)
Jean-Philippe Marlière (Biterolf)
Dominic Natoli (Heinrich)
Björn Larsson (Reinmar)
Elisabeth Meyer-Topsoe (Elisabeth)
Natascha Petrinsky (Vénus)
Valérie Debize (Pâtre)

Orchestre symphonique et lyrique de Nancy
Choeur de l'Opéra de Nancy et de Lorraine

21/04/2002



Disons le d'entrée : la nouvelle production de Tannhäuser proposée par l'Opéra de Nancy (la dernière remontait à plus de trente ans) est une franche réussite et le public de la première ne s'y est pas trompé, réservant à tous les acteurs du spectacle une franche ovation.

Andreas Baesler voit avant tout dans Tannhäuser le conflit entre l'artiste et une société conservatrice. Il a résisté à la tentation d'un Moyen-Age de pacotille, car pour lui : "Wagner pensait en homme du XIXe siècle, en romantique". Le rideau s'ouvre sur un décor de chambre à coucher de l'Amérique du début des années 60, à dominante rouge. L'effet visuel est très réussi et il faut ici saluer la qualité du travail réalisé par le décorateur Hermann Feuchter. Tannhäuser est en chemise à fleur et Vénus, ressemblant à s'y méprendre à Marylin Monroe, fait son entrée suivie par une meute de photographes. La bacchanale nous montre le poète aux prises avec une dizaine de créatures, toutes semblables à la déesse. Le ton est donné : ce Tannhäuser est un faible, tourmenté, sans cesse partagé entre remord et opportunisme. On ne peut éprouver aucune sympathie à son égard. Le deuxième tableau nous mène dans un musée, où le pâtre, transformé en servante bavaroise, époussette les toiles de maîtres. Wolfram entre en touriste, le guide à la main, suivi par le landgrave, tandis que les chevaliers apparaissent en cordée et forment un surprenant quatuor bouffe de touristes cosmopolites. Au deuxième acte, nous entrons dans une salle de concert avec des disques d'or en guise de trophées sur les murs et, au milieu, un piano blanc qui servira de podium aux participants du concours de chant. Le landgrave accueille les notables, les ouvreuses bariolées distribuent le programme et les trompettistes apparaissent en clones de Bill Haley. Quant aux chanteurs, ils ont revêtu pourpoint et cape moyen-âgeuses sur leur costume du premier acte. A la fin du chant de Tannhäuser, les spectateurs font voler les coussins comme dans un stade de football. Le troisième acte nous entraîne dans un univers désolé et dévasté. Les éléments caractéristiques des trois décors précédents se retrouvent ici, mais épars et endommagés : piano cassé, tableaux décrochés, chaises renversées... "Tout est cassé, comme dans un cauchemar", affirme Andreas Baesler.

Cette réalisation ne manque donc ni d'imagination, ni de fantaisie, ni d'intelligence. Les bonnes idées abondent, même si l'on peut s'interroger sur l'utilité et la pertinence de certains détails. La précision de la mise en place et celle de la direction d'acteurs nous offrent des moments de grâce, comme ce final du deuxième acte d'une formidable intensité, et tous les personnages sont bien caractérisés. La réussite est incontestable sur le plan visuel mais c'est parfois aux dépends de la cohérence de la vision d'ensemble. Ceci ne remet toutefois jamais en cause notre plaisir, car jamais la mise en scène ne bascule dans la complaisance ou le mauvais goût. Et d'ailleurs on pourrait adresser le même reproche à la production des Contes d'Hoffmann qu'a signée Robert Carsen à Bastille, spectacle que nous reverrons pourtant avec joie la saison prochaine. 

La distribution réunie à Nancy est de très haut niveau. Seule Natascha Petrinsky suscite quelques réserves : sa Vénus séduit davantage par son physique longiligne que sa voix, trémulante et à l'aigu tiré. Pour le reste, on frôle l'idéal. Est-ce le trac de la première qui incite John Treleaven à chanter le premier acte en force, le privant ainsi d'une partie de sa poésie ? La suite prouve que le ténor britannique, à la voix d'une puissance et d'une endurance rares, est capable de nuancer son chant et d'ouvrir la porte à l'émotion. Après un deuxième acte très investi, il s'engage sans réserve dans le retour de Rome avec des ressources intactes et une captivante intériorité. Le personnage recouvre alors une certaine dignité, évoquant un Peter Grimes dans sa marginalité. Andrew Greenan, est un landgrave somptueux de timbre et d'autorité. La très belle et lumineuse Elisabeth Meyer-Topsoe frise d'entrée la perfection avec une voix ample, homogène et superbement timbrée, capable des grands éclats et des plus subtils piani. Elle apporte à son personnage une poignante émotion et dessine une Elisabeth à la fois sensible et déterminée, caressante et autoritaire. Dans le rôle de Wolfram, Dietrich Henschel est tout simplement prodigieux. Son air du concours est abordé avec un luxe de nuances qui nous donne l'impression d'entendre un chanteur de lieder au coin du piano, dans l'intimité d'un salon. Rien d'affecté ni d'artificiel pourtant, la science vocale s'accompagne ici du plus grand naturel. La ligne de chant, la qualité du timbre, l'intelligence de l'artiste échappent à la moindre réserve. Pendant la romance de l'étoile, nous nous sentons soudain suspendus hors du temps et de l'espace. Cependant, cette voix capable de toutes les nuances sans jamais rien perdre de son intelligibilité, sait aussi tonner lorsque cela est nécessaire. Il faut encore saluer, parmi des chevaliers tous irréprochables, l'excellent Walther de Nikolai Schukoff, qui aborde son air avec beaucoup d'élégance, et Jean-Philippe Marlière, qui donne à Biterolf un relief qui faisait défaut à son Brétigny la saison passée. Je n'oublierai pas de saluer enfin la très bonne tenus des choeurs, désormais placés sous la responsabilité de Merion Powell. Au troisième acte, les hommes sont tout simplement exceptionnels.

A la tête de l'Orchestre symphonique et lyrique de Nancy depuis 1999, le jeune chef allemand Sebastian Lang-Lessing accomplit un travail formidable. Il nous le prouve ici encore avec une lecture passionnée de la partition. Dès l'ouverture, le ton est donné : le grand souffle wagnérien raisonne, mais aucun détail n'est occulté. Sébastian Lang-Lessing, qui dirige l'oeuvre pour la première fois, parvient à conjuguer élan et précision, entraînant à sa suite - comme dans Peter Grimes la saison dernière - un orchestre transfiguré. On a rarement entendu les cordes à ce niveau, mais tous les pupitres sont à féliciter. Ce sont bagatelles au regard de la réalisation d'ensemble que les incertitudes initiales des bois ou quelques décalages chez les cuivres. La mise en place est parfaite, jusque dans les crescendo les plus déchaînés, et nous n'avons jamais d'impression de retenue. Le public nancéien a décidément bien de la chance de posséder un tel directeur musical et s'en rend compte, saluant très chaleureusement le chef allemand à chacune de ses apparitions.

Une bien belle réussite d'ensemble, accueillie triomphalement par le public nancéien et qui augure bien de l'avenir de la première scène lyrique lorraine.
 
 

Vincent Deloge


Lire également l'avis de Pierre-Emmanuel Lephay

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