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OTTAWA
10/11/2007
Pendant l'ouverture. Une ancienne conquête et Don Giovanni (Aaron St. Clair Nicholson)
© Sam Garcia 2007
Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)
DON GIOVANNI
Opéra en deux actes
Livret de Lorenzo Da Ponte
Direction musicale : Tyrone Paterson
Mise en scène : Henry Akina
Décors : En location de Edmonton Opera
et de Hawaï Opera Theatre
Costumes : Malabar Limited
Éclairages : Peter Dean Beck
Chef de chœur : Laurence Ewashko
Orchestre du Centre National des Arts
Chœur d’Opéra Lyra Ottawa
Leporello : Taras Kulish
Dona Anna : Maria Knapik
Don Giovanni : Aaron St. Clair Nicholson
Le Commandeur : Valerian Ruminski
Don Ottavio : Mark Thomsen
Donna Elvira : Wendy Nielsen
Zerlina : Michèle Bogdanowicz
Masetto : Matt Boehler
Centre National des Arts, Salle Southam
Ottawa, le 10 novembre 2007
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La vengeance des ex
Après avoir vu l’assommant Roméo et Juliette de l’Opéra de Montréal (OdM) le 3 novembre dernier, le Don Giovanni
de ce soir nous rappelle que des maisons de moindre importance sont
parfois capables du meilleur. Cette extraordinaire production, dont le
lieu et le temps de l’action sont exactement ceux choisis par
Mozart et Da Ponte - Séville au XVIIe siècle -, comble
les attentes d’un public qui en apprécie le travail. Ce dramma giocoso
se situe au sommet du répertoire. Son séducteur vit
à toutes les époques et les réactions qu’il
provoque, bien qu’exacerbées, sont celles des humains
abusés ou trompés. Même si on ne se questionne pas
sur l’opportunité d’actualiser l’œuvre, Henry Akina y voit des possibilités de renouvellement et les bonnes choses commencent dès les premiers accords.
La représentation est montée sur un théâtre
construit sur la scène avec des galeries de chaque
côté. Évidemment l’action en débordera
tout au long de la soirée, mais pendant l’ouverture le
procédé permet à une vingtaine de personnes
-anciennes conquêtes sans doute- de défiler devant le
séducteur avant de gagner des chaises mises à leur
disposition dans les galeries. Parmi elles, des nonnes, des dames de
toutes conditions dont certaines de haut rang et de jeunes filles
travesties à la manière du page Cherubino. Mais pourquoi
ce défilé ? Que sont-elles venues faire là ? Une
l’a enfourché sur son fauteuil, certaines lui ont
caressé le visage, d’autres l’ont giflé, de
son talon une autre lui a écrasé le pied et la
dernière lui a montré sa nudité. Dans les
galeries, elles ne se contenteront pas d’assister à la
représentation, mais la commenteront par une série de
gestes et d’expressions faciales et y participeront à
l’occasion. Cette scène étonnante devient en
quelque sorte un prologue susceptible de bien situer la
personnalité égoïste et égocentrique du
libertin. À la fin de l’ouverture, tel un rideau de
scène, le filtre derrière lequel se déroulait
cette pantomime se lève pour permettre aux protagonistes de
mener le jeu de façon tout aussi efficace jusqu’à
la fin de l’œuvre.
Le metteur en scène marque avec précision les tensions
émotionnelles entre les personnages, la noblesse, le panache et
la vaillance des caractères dramatiques, la fierté du
couple Zerlina/Masetto, la couardise et la bouffonnerie de Leporello.
Il exige des chanteurs un engagement de tous les instants, mais insiste
sur le respect des subtilités du texte. Ces personnages aux
affects finement esquissés, sans mièvrerie, cachent
pourtant une réelle souffrance. Celle du Don au destin
inassouvi, celle de Zerlina, partagée entre son attirance
pour le séducteur et son amour envers un époux assailli
d’un doute jusqu’à la fin, celle de Donna Elvira
à la recherche inutile d’un espoir sans issue, celle
très ambivalente de Donna Anna cherchant à dissimuler un
passé trouble et enfin celle d’un Don Ottavio
soupçonneux qui, à la toute fin, s’empare du
catalogue pour trouver le fin mot de ce mystère. Quant à
Leporello, il est le protagoniste le moins affectivement torturé
malgré les exigences déraisonnables de son maître.
Sa désinvolture très palpable le rend pourtant attrayant
sur le plan humain.
Donna Anna (Maria Knapik) Don Ottavio (Mark Thomsen)
© Sam Garcia 2007
Très équilibré dramatiquement, la distribution donne un festin vocal tout aussi remarquable. Lors de sa très belle prise du rôle à l’OdM au mois de mai dernier, Aaron St. Clair Nicholson
avait incarné un héros plein de fierté. Ce soir il
améliore encore sa caractérisation en donnant plus de
consistance à l’aspect dominateur du libertin mais en le
trouvant aussi plus inquiet, signalant ainsi un héros à
la fois frondeur et fragile. Son timbre chaleureux, en parfaite
adéquation avec les exigences musicales et dramatiques du
rôle, traduit bien ses instincts de conquête et le recours
à de superbes demi-teintes pour exprimer la sensualité
révèle une ligne de chant d’une grande
beauté. Sa maturité scénique et musicale est
remarquable.
Maria Knapik
incarne avec brio une véhémente Donna Anna. Quelle
actrice ! Quelle sincérité dans le jeu ! Vocalement, son
grain n’est pas des plus beaux, mais il traduit efficacement la
fureur d’une femme profondément meurtri dans «Or sai
chi l’onore» et on lui pardonnera volontiers quelques aigus
un peu criés notamment dans le sublime sextuor «Sola, sola
in buio loco» et dans le sextuor final «Ah,
dov’è il perfido» pour se souvenir d’un
abattage tout bonnement hallucinant. Mark Thomsen
en Don Ottavio n’est pas en reste et campe un fiancé
peut-être exagérément épris. Fait-il
entièrement confiance à sa bien-aimée ?
Après tout Don Giovanni était bien dans le palais du
Commandeur au début de l’opéra. Lui avait-on ouvert
? En avait-il forcé l’entrée ? C’est le genre
de questions qu’un gentilhomme peut se poser et qui peuvent semer
le doute. L’incertitude persiste jusque dans la variation des
couleurs de la voix tantôt sombre, tantôt blanche, parfois
agitée, toujours bien conduite et au service de
l’expression particulièrement au moment du très
éprouvant «Il mio tesoro». Il est cependant dommage
que «Dalla sua pace» ait été supprimé
de cette production. Cela est d’autant plus inconcevable que Mark
Thomsen était facilement en mesure de lui faire honneur.
Donna Elvira est un personnage complexe et très exigeant pour la
cantatrice qui s’y frotte. Il est difficile de savoir vraiment ce
qu’elle attend de la vie parce qu’elle se sait trahie, mais
veut toujours pardonner. Elle s’accroche à un espoir de
repentir du libertin sans jamais trouver la paix. Wendy Nielsen
relève le défi avec brio imprimant sa marque à
cette ambivalence. Son soprano lyrique, projetée avec
clarté et précision, couvre facilement la tessiture du
rôle sans jamais que l’homogénéité des
registres soit mise à mal. Artistiquement impressionnante, elle
livre une prestation de haut vol notamment dans un «Mi
tradi» à la fois tendre et farouche.
Donna Elvira (Wendy Nielsen) Leporello (Taras Kulish)
© Sam Garcia 2007
Les
autres protagonistes sont à l’avenant. Le couple
Zerlina/Masetto séduit par le charme et
l’élégance vocale. Michèle Bocdanowicz
campe une paysanne affriolante dotée d’un beau soprano
léger mais à l’émission franche et
agissante. Quelle classe son «Vedrai carino» et davantage
encore son «Batti, batti o bel Masetto», le moment le plus
sensuel de la soirée avec, dans sa partie finale, ce caressant
accompagnement des violoncelles. Matt Boehler
en Masetto ravit par sa justesse expressive et une vocalité
envoûtante. La rondeur de son timbre apporte une grande
spontanéité à «Ho capito, signor si!»
prestement enlevé.
Le Leporello de Taras Kulish
mérite éloges et respect. Il apporte à cette
production un jeu étincelant et une voix d’une
fraîcheur irrésistible. Son air du catalogue est une
véritable leçon de chant; quel chatoiement et quels
contrastes entre les deux mouvements de l’air. On sent la
préoccupation de bien informer dans le premier et
l’indifférence de celui qui en a vu d’autres dans le
second. Le timbre est chaleureux et épouse admirablement les
nuances si délicates uniquement suggérées par la
musique elle même. Chanter Mozart c’est un peu
recréer son œuvre en raison de la liberté
qu’il laisse aux interprètes. Taras Kulish se montre digne de la confiance que le maître lui accorde.
Valerian Ruminski
prête une voix juste et bien timbrée à un
personnage dont le metteur en scène aggrave le côté
sombre.
Oh, j’allais oublier ces femmes qui prennent place dans les
galeries. Vont-elles assister insensibles ou passives à la mort
du séducteur ? Quelques-unes sont déjà descendues
sur la scène avec leurs violons, soi-disant pour jouer les airs
de Una cosa rara, Fra i due litiganti et Le Nozze di Figaro
même si ce sont des vents qu’on entend. Toutes les autres
quitteront les galeries à l’entrée du Commandeur
dans la salle du festin. Lorsqu’il se retirera, elles
s’amèneront, engageront une ronde folle autour du Don et,
en rétrécissant leur cercle, le précipiteront dans
les flammes se vengeant ainsi du sort qu’il leur a
réservé et de son indifférence à leur
endroit.
Le Chœur d’Opéra Lyra Ottawa et l’Orchestre du Centre National des Arts
ont intensivement participé à la fête
récoltant ainsi leur part du beau succès de cette
production. Il convient d’admirer la direction de Tyrone Paterson
qui a su magnifier la beauté d’une orchestration qui entre
dans le tissu musical de façon angulaire. Là encore,
Mozart sait être exigeant; on dira communément que son
orchestre accompagne, mais il fait certainement beaucoup plus que cela.
C’est toujours un personnage qui s’ajoute aux airs et aux
ensembles de telle sorte qu’un trio devient un quatuor, un
sextuor prend des allures de septuor. Tout en respectant
l’individualité de cet orchestre, le chef accorde une
attention particulière aux sonorités de chacun des
instruments et laisse les chanteurs trouver leurs marques. Sa direction
passionnée et finement articulé entraîne le plateau
dans un sémillant mouvement rythmique.
Malgré la coupure de «Dalla sua pace» au premier
acte, cette production a été un pur ravissement. Un
spectacle bien rodé, des chanteurs conscients de leurs
possibilités et de la grandeur de l’œuvre, un choeur
et un orchestre très en forme ont largement suffi à
soulever l’enthousiasme d’une salle comble. Ce soir, des
étoiles ont défilé devant nous ; elles
méritent toutes celles que nous leur décernons.
Réal BOUCHER
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