Depuis
leur création, les partitions du "Mozart des Champs-Élysées"
comme l'appelait Rossini, ont dû subir de nombreuses adaptations,
coupures et autres mises au goût du jour (si ce n'est de nouvelles
orchestrations comme celle que réalisa Nikolaus Harnoncourt pour
La
Grande Duchesse de Gerolstein, nous informe le programme !). C'est
donc avec curiosité que l'on attendait cette nouvelle production
de La Grande Duchesse qui s'appuie sur une nouvelle édition
de la partition réalisée par Jean-Christophe
Keck (1),
conforme à celle qu'Offenbach dirigea lors de la création
de l'ouvrage en 1867. Nous entendons ainsi l'orchestration originale (un
manuscrit complet nous est parvenu), conçue pour un orchestre d'une
quarantaine de musiciens, et non un effectif de chambre "comme de nombreuses
productions récentes ont tenté de nous le faire croire" indique
Jean-François Keck (allusion à La Belle Hélène
montée à Aix-en-Provence, il y a quelques années...).
La partition est jouée sans coupure, les textes chantés sont
intacts, mais les dialogues parlés ont été légèrement
retouchés, ce dont on pourra s'étonner (étant donné
la volonté de retrouver les conditions musicales d'époque),
mais - le programme est fort instructif sur ce point - elles s'avèrent
nécessaires, Offenbach et ses librettistes ayant truffé les
dialogues d'allusions au monde contemporain, à la presse, aux gouvernants,
aux chefs militaires (on apprend ainsi que "Boum" était bel et bien
le surnom d'un fameux Général français !) etc., nous
n'y comprendrions goutte si elles subsistaient telles quelles. Restait
donc à "transposer" ces allusions à notre époque,
ce à quoi se sont attelés le metteur en scène François
De Carpentries et la dramaturge Karine Van Hercke. Ils défendent
leurs aménagements dans le programme, y annonçant : "Un livret
fidèle à l'esprit de l'original". On goûte la parcimonie
de leur travail, libre à chacun, ensuite, d'apprécier les
quelques allusions à notre monde, de Schwarzeneger à Raffarin,
en passant par James Bond ou de Gaulle...
La trame de La Grande Duchesse
évoque (et ridiculise) les dérives d'un impérialisme
militaire que l'on rencontre encore aujourd'hui. Pourtant, plutôt
que de situer l'action à l'époque contemporaine, De Carpentries
et Van Hercke ont choisi une abstraction a priori surprenante (nous sommes
cependant plus proches de notre époque que de celle de Napoléon
III, toutefois sans référence directe), mais finalement efficace
à défaut d'être vraiment séduisante visuellement,
notamment dans la première partie, dont décors et costumes
affichent des motifs de camouflage, ainsi qu'à l'acte III, où
la chambre nuptiale est garnie d'une immense effigie représentant
une femme nue qui présente ses seins comme des médailles...
Subsistent, malgré tout, quelques allusions bien contemporaines
celles-ci, dont on retiendra la plus drôle : le personnage de Népomuc,
responsable des cérémonies du Grand Duché, apparaît
sous les traits de Karl Lagerfeld avec son inénarrable éventail
! Gag qui peut paraître gratuit, mais qui révèle
de la part du metteur en scène un très beau travail de caractérisation
des personnages, servis par une direction d'acteurs habile et soignée.
(© Alain Kaiser
Si la première partie séduit
par son rythme et ses trouvailles scéniques, la deuxième
peine à captiver de bout en bout. C'est sans doute dû aussi
à la partition elle-même (le programme nous révèle
que le public de la première l'accueillit de même !), jouée
sans coupure, mais également aux interprètes. L'Orchestre
Symphonique de Mulhouse est en petite forme (on a du mal à reconnaître
la formation qui nous avait tant séduit dans l'opéra de Param
Vir, Ion, en début de saison)
et la direction de Jérôme Pillement se montre plaisante, mais
manque de vivacité et de précision (les décalages
fosse-scène sont très fréquents, sans doute s'estomperont-ils
au fil des représentations).
L'équipe vocale n'offre pas
non plus de grandes révélations, mais ne démérite
pas pour autant. Cependant, on aura du mal à "croire" à la
Grande Duchesse de Martine Olmeda, qui ne donne jamais l'impression de
se hisser totalement à la hauteur que réclame le personnage.
L'écriture, entre soprano et mezzo, ne semble pas lui convenir complètement.
Elle sera ainsi plus à l'aise dans les parties intimes (très
bel air "Dites lui qu'on l'a remarqué", une des plus belles pages
de l'auteur) que dans les scènes "d'apparat" (décevants "Ah
que j'aime les militaires" ou "Voici le sabre") où la voix manque
d'impact et de rondeur. En outre, la prononciation est perfectible. Restent
la très belle allure de la chanteuse et son aisance scénique.
Le Général Boum d'Olivier
Grand est drôle, mais, là encore, la voix manque d'impact,
ce qui est fort dommage pour ce rôle... Le Fritz de Rodolphe Briand
est agréable, la prononciation excellente et la voix légère,
trop peut-être, ce qui nous entraîne plus de côté
de l'opérette que de l'opéra bouffe... Plus convaincants
sont le Baron Puck de Thomas Morris et, surtout, la Wanda de Sophie Marin-Degor
et le Prince Paul de Loïc Felix, qui fait valoir une très belle
voix de ténor et une ligne de chant particulièrement élégante.
Un spectacle intéressant, souvent
surprenant et juste, la chose est en soi déjà remarquable
pour ce répertoire.
Pierre-Emmanuel LEPHAY
(1)
A propos de Jean-Christophe
Keck, lire l'interview dans notre
dossier Hoffmann
Prochaines représentations
:
à Strasbourg (Opéra):
13, 16 décembre à 20 h, 14 décembre à 15 h.
Renseignements : 03-88-75-48-23
à Mulhouse (La Filature)
: 20 et 22 décembre à 20 h, 21 décembre à 15
h.
Renseignements : 03-89-36-28-28
à Colmar (Théâtre)
: 28 décembre à 15 h, 30 décembre à 20 h.
Renseignements : 03-89-20-29-02
Opéra
national du Rhin