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PARIS
04/06/2006 & 05/07/2006
© DR
Gaetano DONIZETTI (1797-1848)
L’Elixir d’amour
Melodramma giocoso en deux actes
Livret de Felice Romani
Adina : Heidi Grant Murphy / Ekaterina Syurina
Nemorino : Paul Groves / Tomislav Muzek
Belcore : Laurent Naouri / Mariusz Kwiecien
Dr. Dulcamara : Ambrogio Maestri / Alberto Rinaldi
Giannetta : Aleksandra Zamojska
Direction : Edward Gardner
Mise en scène : Laurent Pelly
Dramaturgie : Agathe Mélinand
Décors : Chantal Thomas;
Lumière : Joël Adam
Chœurs et orchestre de l’Opéra de Paris
Bastille, les 4 juin et 5 juillet 2006
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Un bien beau flacon pour un médiocre breuvage
Après une absence de près de 20 ans, l’Elixir
d’amour revient enfin à l’Opéra de Paris pour
une longue série de représentations où se
succèdent deux distributions vocales.
L’édition 1987 bénéficiait d’un
plateau superbe, avec un Luciano Pavarotti à son zénith
et un inénarrable Gabriel Bacquier, mais elle pâtissait
d’une production ringarde d’une mocheté absolue,
importée de Vienne. C’est exactement le contraire pour
cette nouvelle série : la mise en scène de Pelly est
un véritable bijou, finement ciselé, évitant les
pièges des gags surajoutés et sachant composer à
l’occasion une ambiance poétique bienvenue. On pourra bien
sûr chipoter sur une transposition un peu incongrue dans
l’Italie des années 50, d’autant qu’elle a
été maintes fois utilisée par le metteur en
scène : même les meilleures idées finissent
par s’user à force d’être reprises ad nauseam.
La première scène est envahie par une immense meule de
foin sur laquelle Adina résiste aux assauts de Belcore puis
à ceux de Nemorino avant de s’enfuir en mobylette (1)
(rires) ; la deuxième nous amène sur une place de
village particulièrement désolée ;
après qu’un petit chien a traversé la scène
en courant (rires), arrive le vieux camion de Dulcamara (rires) qui
repart après le boniment (2)
du docteur ; à la fin de l’acte, Nemorino plaqué
par Adina invoque Dulcamara à son secours, tandis que, dans le
lointain, une petite maquette du camion traverse la scène (3).
Le second acte nous vaut une fête de mariage pleine de
gaieté (mais que viennent faire ses mouvements de danse disco
mille fois vus !), le décor s’adaptant pour une
« Furtiva lagrima » à la lueur des
étoiles … Rien à dire : c’est propre et
net, plaisant et seuls les spectateurs réguliers (qui ne
constituent pas la majorité du public de Bastille, surtout avec
un tel plateau) pourront être déçus par un air de
déjà-vu.
Musicalement, le bilan est tout différent. Sur le papier, la
première distribution pouvait laisser perplexe n’importe
quel spectateur un tant soit peu informé :
l’exécution musicale vient hélas confirmer nos
craintes.
Les noms alignés pour la seconde série fleurent
plutôt les pays de l’Est : voilà une
distribution qu’on doit pouvoir entendre sur place pour quelques
zlotys et qui n’a pas dû coûter bien cher à
l’Opéra de Paris ; c’est néanmoins
celle-ci qui se révèle la plus satisfaisante au final (4).
Chanteur honnête dans Mozart ou même dans un certain nombre
d’ouvrages français (on se souvient d’une belle Damnation de Faust
ici même), Paul Groves est largement égaré dans ce
répertoire : la voix manque d’éclat, le timbre
de richesse, le style est inadéquat d’autant que
l’artiste, visiblement en baisse de moyens, se réfugie
dans le mixte dans le haut de la tessiture, n’exprimant
qu’en de rares occasions des aigus forte particulièrement
instables. Si l’acteur est correct, cela ne suffit pas à
faire un Nemorino.
Heidi Grant Murphy chante régulièrement l’Elixir
au Metropolitan de New-York. Seulement voilà, c’est pour y
interpréter le rôle mineur de Giannetta et non la
protagoniste principale ! Voix minuscule, souvent inaudible,
timbre sans caractère, pas de graves, pas de suraigus…
Mais le pire, c’est (là encore) une totale
inadéquation stylistique ; minauderies, afféteries,
piani évanescents : nous sommes bien loin de Donizetti.
C’est malheureusement cette chanteuse qui assurera la reprise de
la saison prochaine.
Laurent Naouri est un Belcore au chant un peu frustre, mais à
qui on saura gré de louables efforts belcantistes, notamment des
variations audacieuses et bien conduites dans les reprises. De plus, le
personnage est bien campé, sans caricature excessive.
Au pays des aveugles, Ambrogio Maestri n’a aucune peine à
faire figure de roi. Son Dulcamara est bien chanté, tout en
finesse tant vocalement que scéniquement. Voilà qui sauve
l’honneur de cette première distribution.
De la seconde, on retiendra d’abord le Nemorino un peu gauche du
jeune Tomislav Muzek, bien chantant et au timbre étonnamment
italianisant. L’artiste peine en revanche à varier les
couleurs de son émission et finit un peu par lasser à la
longue.
Mariusz Kwiecien est l’autre bonne surprise de cette
soirée : toujours souriant et plutôt sexy en uniforme
de sergent, l’artiste n’a aucune peine à camper un
irrépressible coureur de jupon, irritant mais néanmoins
irrésistiblement séduisant. La voix est bien conduite, le
timbre intéressant, mais le chanteur ne prend pas le risque des
variations.
Bien que largement supérieure à Heidi Grant Murphy,
Ekaterina Syurina reste en retrait de ce qu’on est en droit
d’attendre dans ce rôle, le manque de largeur de la voix
n’étant aucunement compensé par une aisance dans la
vocalisation et le suraigu.
Remplaçant Ruggero Raimondi (5)
forfait pour cette série, le vétéran Alberto
Rinaldi démontre des limites dramatiques en Dulcamara. Si les
aigus sont encore bien là, le bas medium a totalement
disparu : obligé de pousser sa voix pour atteindre les
notes basses du registre, Rinaldi produit en plusieurs occasions un
abominable graillon continu (on pense à Michel Simon en train de
chanter) ; dans la panique, l’artiste en vient à se
désynchroniser de l’orchestre, terminant notamment son air
d’entrée en une incroyable bouillie. Dans les passages
plus aigus, le chanteur retrouve sa dignité, la voix ayant
même une certaine jeunesse : il s’agit donc moins
d’usure des moyens que d’inadéquation au rôle.
Giannetta pour les deux distributions, Aleksandra Zamojska dispose
d’une voix à peine plus puissante que celle de Murphy,
mais plus généreuse dans l’aigu ; ses talents
d’actrice sont en revanche remarquables, la chanteuse campant un
personnage fin et drôle de plouc campagnarde.
Ancien assistant de Sylvain Cambreling, Edward Gardner a la bonne
idée de nous redonner la partition dans son
intégralité, sans les multiples coupures traditionnelles,
et l’ouvrage y gagne indiscutablement en ampleur. Les tempi
choisis sont en revanche extrêmement lents: la déclaration
d’amour finale d’Adina fait ainsi penser à
l’air de Pamina, l’ennui en plus. L’équilibre
orchestral est peu maîtrisé, bois et cuivres s’en
donnant à cœur joie dans une ambiance très
champêtre. Techniquement, les décalages sont nombreux avec
le plateau, voire entre instrumentistes.
Au global, ce nouvel Elixir se
« consomme » sans déplaisir,
essentiellement grâce à sa mise en scène et
à la musique de Donizetti : mais nous sommes bien loin des
fastes du bel canto romantique.
Placido CARREROTTI
Notes
(1) La donna est mobylette, comme chacun sait.
(2) Curieusement, la scène reste
vide pendant la majeure partie de l’air de Dulcamara, les
chœurs n’apparaissant qu’au moment de leur
intervention musicale, un peu comme s’il s’agissait
d’une tribu de pygmées se méfiant d’un
missionnaire.
(3) Il faut ici s’arrêter un
instant pour rendre hommage à la compétence du personnel
technique de l’Opéra de Paris. Qu’il s’agisse
de la barque de Faust dans la « Damnation »
(donné en alternance), ou d’une simple maquette de
véhicule pour cet « Elixir », les
mouvements sont systématiquement dépourvus de naturels et
de fluidité, les objets avançant péniblement par
à-coups, s’arrêtant en pleine course avant de
repartir d’un bond. Une telle constance dans
l’approximation (qu’on retrouve années après
années et reprises après reprises) ne peut être le
fait du hasard : il s’agit sans doute de nous rappeler par
une subtile distanciation que nous sommes ici au théâtre.
(4) Nous encourageons vivement la direction
à aligner les prix parisiens sur ceux de Prague, Belgrade ou
Erevan. Ou d’imiter les pratiques du Liceu de Barcelone qui
propose des « représentations populaires »
à prix réduits avec des distributions moins
coûteuses : ne serait-ce pas là une bonne
manière de devenir enfin « l’opéra
populaire » annoncé initialement ?
(5) Par le passé, la basse italienne
avait déclaré ne plus vouloir chanter à Bastille
en raison de l’acoustique médiocre de la salle : ce
forfait était donc tristement prévisible.
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