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BRUXELLES
(Palais des Beaux-Arts - Société
Philharmonique)
21/11/01
The Fairy Queen
Henry PURCELL
Gabrieli Consort and Players
dir. Paul McCreesh
Mhairi Lawson, Carys Lane, Julia Gooding,
Susan Hemington Jones : sopranos
Rodrigo del Pozo, Charles Daniels,
Andrew Wicks : ténors
Peter Harvey, Stefan Loges : barytons
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L'affiche est trompeuse : Fairy
Queen, opéra en cinq actes, d'après Le songe d'une Nuit
d'été de Shakespeare. En réalité Purcell a
signé la partie musicale d'un spectacle beaucoup plus vaste, où
se mêlaient le théâtre, le chant et la danse dans une
mise en scène fastueuse qui n'avait rien à envier aux tragédies
de Lully. Le "semi-opéra" n'est pas une simple adaptation de la
tragédie lyrique, c'est un genre typiquement britannique qui juxtapose
le théâtre proprement dit et l'opéra, nécessitant
une double distribution : des acteurs incarnent les rôles principaux
alors que des chanteurs interprètent les personnages surnaturels
et les figures allégoriques, en l'occurrence les héros des
5 masques écrits par Purcell. Aujourd'hui, les producteurs ne retiennent
généralement que sa contribution : les First Musick et Second
Musick qui introduisent l'ouvrage, les scènes chantées (masques)
et les intermèdes musicaux (Act Tunes). Ces pages regorgent de trésors,
de purs moments de poésie qui ont d'ailleurs connu une vie autonome,
de One charming night à Thrice happy lovers en passant par la célèbre
Plaint : O let me ever weep, quintessence de la mélancolie élisabéthaine,
immortalisée par Alfred Deller. La musique est rarement donnée
dans son intégralité, faut-il incriminer la frilosité
des organisateurs de concerts ? Il faut écouter la réponse
du public : Purcell parle un langage universel, c'est l'apanage des plus
grands et sa popularité ne lui a que trop longtemps été
confisquée. Impossible d'évoquer les barrières du
style, de la codification qui rendent Lully moins accessible. À
bon entendeur...
Rien de tel, a priori, qu'une équipe
solidaire, une vraie troupe sans étoiles, toujours promptes à
monopoliser l'attention, comme les Gabrieli Consort and Players pour animer
et unifier ces tableaux isolés de leur contexte et privés
de dimensions essentielles - la danse, omniprésente, et les changements
de décor à vue, cet élément visuel capital,
source d'émerveillement et aujourd'hui de frustration lorsque les
didascalies nous laissent entrevoir ce que nous avons perdu. Heureusement,
depuis quelques années, l'opéra en version concert n'est
plus synonyme de rigidité et d'ennui. Une direction d'acteurs inventive,
soutenue par d'habiles jeux de lumières, peut créer le spectacle
et soutenir l'intérêt du public, en particulier dans les passages
en récitatif. C'est ainsi que le 30 octobre dernier, Cadmus
et Hermione, le prototype de la tragédie en musique, bénéficiait
d'une mise en scène minimale, mais énergique et drôle.
J'aimerais pouvoir en dire autant de ce Fairy Queen... Le spectacle alignait
clichés et resucées - les touristes américains en
chemises hawaïennes, c'est d'un ringard ! ce n'est plus de l'actualisation,
mais déjà de l'histoire - le kitsch : des figurants promenant
à bout de bras le soleil enfermé dans une boîte lumineuse,
des chanteurs affublés de voiles aux couleurs symboliques pour évoquer
les Saisons, etc., le disputant au camp : inévitable travesti (Mopsa),
exubérant et nymphomane : pauvre Corydon ! Ces Anglais ne se prennent
pas au sérieux, soit, c'est de bonne guerre et leur jeu téléphoné
fait encore mouche, mais faute d'originalité, une pointe d'excès,
un grain de folie auraient été les bienvenus. Ce poète
ivre est tellement prévisible, convenu...
Les First et Second musick résonnaient
comme un sinistre présage : revoici le MacCreesh des mauvais soirs,
expéditif et superficiel (souvenez-vous de Theodora) ; mais l'Ouverture
à la française a tôt fait de dissiper nos alarmes.
Après tout, il n'y a pas que les chanteurs qui ont besoin de s'échauffer.
Ceci dit, les Gabrieli ont encore du travail s'ils veulent rivaliser, en
couleurs, en précision surtout et en mordant, avec les English Baroque
Soloists ou avec le King's Consort, pour ne citer que des phalanges d'Outre-Manche.
Parmi les solistes, aucune star donc, mais des valeurs sûres et en
grande forme, notamment l'excellent high tenor Charles Daniels (en dépit
de l'usure perceptible du timbre), l'exquise Julia Gooding ou le baryton-basse
Peter Harvey, dont chaque intervention captive l'auditoire. La nouvelle
génération n'est pas en reste avec quelques talents prometteurs,
notamment, le baryton Stephan Lodges et Rodrigo del Pozo, haute-contre
au timbre fruité et très personnel que les discophiles pourront
découvrir dans une lecture grisante de motets de Mondonville chez
Astrée-Auvidis. Mais ce ne sont pas tant les prestations individuelles,
malgré quelques interprétations de haut vol (la Nuit, l'Automne
et l'Hiver, le duo des Chinoises) que les choeurs qui nous transportent
: fusionnels, incandescents ou d'une infinie douceur comme dans l'endormissement
qui clôt l'une des scènes les plus magiques de l'histoire
de l'Opéra, l'entrée de la Nuit (acte II) : Softly, softly
steal from hence / No noise disturb her sleeping sense.
Et comme dans le pire des cauchemars,
c'est alors qu'une pluie de toux brise l'enchantement : non pas des quintes
de toux, mais des raclements de gorge, de contenance ou de suffisance,
qu'aucun savoir-vivre, aucune sensibilité ne vient atténuer.
C'est une plaie, chronique, qui se rouvre, souvent au pire moment et n'importe
où, à Bruxelles comme à Paris - lorsque vous êtes
suspendu aux lèvres d'Ariodante qui expire (Palais Garnier 2000).
Les organisateurs sont conscients du problème. "Veillez à
éteindre vos téléphones portables, montres électroniques
et à réprimer les toux" indique le programme, mais tout le
monde ne l'achète pas et encore faut-il le lire. Je doute fort qu'il
suffise de disposer des corbeilles contenant des pastilles contre la toux
aux alentours de la salle, car les spectateurs les plus bruyants ne sont
pas nécessairement malades. À l'Orchestre philharmonique
de Liège, un message est diffusé avant l'entrée du
chef, rappelant que l'usage des portables est interdit, il faudrait peut-être
aussi inviter le public à réprimer les toux.
Bernard Schreuders
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