UN
AIR DE DÉJÀ VU
Au XIXème siècle, Faust
fit régulièrement l'ouverture de saison du Metropolitan,
à tel point que le théâtre en fut surnommé le
"Faustspielehaus" ! Les années ont passé et le chef-d'oeuvre
de Gounod a perdu de sa popularité mais reste un des titres les
plus régulièrement donnés par l'institution new-yorkaise
(la présente représentation est la 720ème dans ce
théâtre).
Après quinze années de
bons et loyaux services, la production d'Harold Prince (créateur
du Phantom of the Opera sur Broadway) méritait de prendre une retraite
méritée. C'est à Andrei Serban, metteur en scène
dont les premiers pas au Met n'ont pas fait l'unanimité, que John
Volpe a décidé de confier la responsabilité d'une
nouvelle production.
A quelques détails prêts,
le choix se révèle heureux si l'on en juge l'accueil globalement
positif du public et de la critique. D'autant que Serban ne recule pas
devant une certaine modernisation, un parti pris habituellement très
mal accepté par les new-yorkais plutôt conservateurs.
On permettra au spectateur français
d'avoir un avis plus nuancé sur le sujet. Le premier acte nous conduit
dans le bric-à-brac du Docteur Faust où Méphistophélès
fait son apparition entouré de diablotins (n'aurions-nous pas déjà
vu ça à Londres il y a
quelques mois ?). Faust rajeuni est habillé de blanc (comme dans
la production parisienne de Lavelli) et esquisse quelques pas de danses
(comme à Londres, mais sans faire la roue).
Le deuxième acte nous mène
sur une place de France (on ne saura jamais vraiment pourquoi, l'idée
n'étant pas exploitée) : même défilé
de soldats éclopés que dans certaine production parisienne.
Les Françaises sont-elles "toutes des putes" pour monsieur Serban
? C'est en tout cas l'impression que donne la chorégraphie de la
valse transformée en simili french cancan pour troufions et prostituées
(pour rappel, cette idée de french cancan était déjà
présente dans la production londonienne de Mc Vicar ... sauf que
la scène se passait à la Tour Eiffel, au cabaret "L'Enfer"
: une idée autrement aboutie).
A Londres, un Christ en croix laissait
couler du vin par ses stigmates : à New-York, c'est une statue de
la Vierge (ce qui n'a aucun sens). Et ainsi de suite jusqu'à la
fin : des visions spectaculaires pour un auditoire dépourvu de références,
des idées récupérées à droite et à
gauche pour les autres, et sans la justification d'une réflexion
globale sur l'oeuvre. Ajoutons que Serban (une fois de plus) n'évite
pas le mauvais goût, affligeant Méphistophélès
(pour la scène de l'église) d'un costume de gargouille grotesque
qui le fait ressembler à un rejeton obscène de Godzilla.
Côté chant, l'oreille
est plutôt à la fête.
Le soir du 14 mai, Roberto Alagna chante
fort bien, mais sans renouveler la quasi perfection de sa prestation londonienne.
Au positif, l'incarnation dramatique est un peu plus poussée (ce
n'est pas trop difficile) ; au négatif, les aigus sont nettement
moins stables, en particulier l'ut de "Salut demeure chaste et pure" (mais
il est vrai que nous ne jugeons que sur une seule représentation,
qui plus est la dernière).
Les incursions de René Pape
dans le répertoire français et dans des rôles un peu
histrioniques sont trop rares pour que nous ne nous félicitions
pas d'avoir ici l'un et l'autre. Le timbre est superbe, le chant parfait
; l'interprétation est en revanche un peu faible : José van
Dam a su démontrer par le passé qu'on pouvait être
un Méphisto impeccable sans excès histrioniques, en l'occurrence,
s'il n'y avait le surtitrage, je ne suis pas sûr que la basse allemande
aurait obtenu le même succès au rideau final.
Comme à son habitude, Soile
Isokoski est une chanteuse d'une grande intégrité musicale,
engagée, sans excès de pathos ; hélas la voix n'est
pas assez large, et si l'artiste fait illusion dans son grand air du III,
elle se révèle une Suzanna égarée en Marguerite
à bien d'autres occasions, et en particulier lors de la scène
de l'église : n'est pas Freni qui veut.
Dmitri Hvorostovsky "se contente" de
chanter avec un legato parfait et un style admirable. Malheureusement,
la projection est insuffisante et les spectateurs qui avaient entendu la
retransmission radio se jettent sur leur programme : c'est pourtant bien
le même artiste que celui qu'ils ont entendu samedi dernier !
Le Siebel de Kim Jepson bénéficie
d'une voix claire et bien timbrée et le personnage est attachant
: une artiste à suivre.
Les seconds rôles n'appellent
pas de réserve ; à noter que l'ensemble de la distribution
chante dans un français impeccable qui contraste agréablement
avec le Cyrano de la veille.
Difficile de juger Steven Crawford
pour sa direction : en effet, celui-ci succède à James Levine
pour une unique représentation et n'a sans doute pas eu le temps
d'insuffler sa propre vision à l'orchestre. Globalement, celui-ci
sonne superbement, avec une grande variété de tempi
et de nombreux détails d'orchestration qui ressortent de manière
inédite (comme si l'on avait délibérément cherché
à nous faire entendre un Faust foncièrement différent.)
Principal regret, une version considérablement
amputée et réduite à 2h40 de musique (je ne sais pas
si on a fait pire récemment dans un grand théâtre de
répertoire) : un choix d'autant plus étonnant que, ces dernières
années, le Met avait plutôt pris le parti de versions retournant
peu ou prou aux volontés du compositeur. Choix d'autant plus étrange
que le plateau vocal (à quelques réserves près) était
tout à fait à la hauteur de l'enjeu.
Placido CARREROTTI