A l'origine de Fidelio, une histoire
vraie qui s'est passée à Tours durant la Terreur : une femme
se serait engagée comme aide-geôlier dans le but de libérer
son mari incarcéré pour son activité contre-révolutionnaire.
Jean-Nicolas Bouilly s'est inspiré
de ce fait authentique pour la réalisation du livret de l'opéra-comique
"Léonore ou l'amour conjugual" mis en musique par Pierre Gaveaux
(création en 1798). Par la suite, d'autres compositeurs s'intéressèrent
à "Léonore" : Ferdinando Paër en 1804 (Leonora), Giovanni
Mayr en 1805 (L'Amore coniugale). Beethoven fut également séduit
et c'est Sonnleithner, secrétaire du Theater an der Wien, qui traduisit
et adapta le livret de Bouilly. On connaît les multiples péripéties
liées à la composition de ce Singspiel aboutissant aux 3
versions connues : version 1805 en 3 actes, version 1806 en 2 actes (livret
révisé par von Breuning) et version 1814 en 2 actes (livret
révisé par Treitschke), cette dernière étant
celle jouée de nos jours dans la plupart des théâtres.
L'Opéra de Tours a choisi pour
ce Fidelio de clôture de la saison lyrique, la reprise d'une production
présentée en 1991 ; cette même année, sévissaient
les événements de la guerre du Golfe avec son lot d'horreurs.
Albert-André Lheureux a transposé
l'action à notre époque dans un pays en guerre et transforme
la prison en hôtel de luxe réquisitionné par le régime
au pouvoir.
Rocco, l'élégant directeur
de cet établissement, a la lourde charge de garder des prisonniers,
malheureux touristes étrangers gardés en otage ; Pizzaro
se présente sous les traits d'un militaire psychopathe et alcoolique
et Florestan, journaliste, est emprisonné dans les sous-sols pour
avoir dénoncé le totalitarisme.
A l'issue de l'opéra, le régime
renversé, l'espoir revenu, les épouses des prisonniers rejoindront
leurs maris enfin libérés.
L'idée est excellente car crédible,
percutante et bien sûr toujours d'actualité.
Sur le plan vocal, on retiendra le
Rocco humain et attendrissant de Gregory Reinhart dont la voix de basse
solide et puissante (presque trop dans le quatuor de l'acte 1 où
elle a tendance à couvrir les autres chanteurs) s'épanouit
avec aisance dans le rôle ainsi que le Pizarro du baryton Stephen
Owen qui chante avec facilité son air du première acte en
y injectant la dose nécessaire d'agressivité.
La soprano australienne Deborah Riedel
dessine une Leonore plus qu'honorable, les quelques difficultés
ressenties dans les aigus au début (peut-être dues au trac)
s'estompent vite avec l'échauffement de la voix et c'est avec une
certaine vaillance qu'elle émet les "si naturel" de son redoutable
air.
Daniel Galvez-Vallejo en Florestan
possède une belle voix de ténor, sombre et ample, qui se
projette dans la salle avec homogénéité ; ce que l'on
peut lui reprocher, c'est un certain engorgement dans l'émission
qui gêne à la longue.
Le reste de la distribution est satisfaisant,
de la Marzelline de Talia Refeld au Jacquino d'Etienne Lescroart, ténor
léger au timbre séduisant en passant par la basse Antoine
Garcin en Don Fernando, moins impressionnant que Rocco.
Il serait impardonnable d'oublier les
Choeurs, point fort de l'Opéra de Tours et véritable personnage
à part entière dans Fidelio. Admirablement préparés
par John S Craven, ils ont la précision d'une horloge suisse et
les finales des actes 1 et 2 sont un régal. Chapeau bas !
Jean-Yves Ossonce dirige avec la passion
qu'on lui connaît cette oeuvre humaniste, de son orchestre se dégage
une franche générosité (air de Leonore, finale de
l'acte 2) ou une délicate retenue(quatuor de l'acte 1) selon les
pages-clés de la partition.
Il a opté pour la non exécution
de l'ouverture Léonore III avant le grand finale de l'acte 2 estimant
peut-être et à juste titre que cette tradition "Mahlerienne"
ralentit le dénouement de l'intrigue.
Alain Colloc
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de Pauline Guilmot