Jean-Yves Ossonce, directeur du Grand
Théâtre de Tours depuis 1999, est l'un des derniers représentants
français d'une belle tradition : celle qui consistait à rassembler
en une même âme et en un seul coeur la direction musicale puis
la direction artistique et générale d'une maison d'opéra.
Autrement dit, Jean-Yves Ossonce connaît tous les recoins de son
théâtre, de la fosse au grenier. Aussi efficace en maître
d'oeuvre de travaux de rénovation qu'au pupitre ou dans les rendez-vous
avec les partenaires financiers du théâtre, l'énergique
directeur général, artistique et musical plaît à
sa région ; qui n'a d'ailleurs pas craint de combiner récemment
pour lui, en une seule entité, l'Orchestre Symphonique de Tours
et l'opéra de la ville. Ainsi, le déjà très
occupé Ossonce se retrouve à la tête d'un véritable
complexe musical : le joliment nommé Grand Théâtre
Lyrique et Symphonique. Autant vous dire que ce directeur-là vit
des saisons tourangelles chargées.
Alain Colloc, ici même, a
déjà écrit sur cet unique opéra de Beethoven,
dernière production de la saison mais, quelques jours avant sa venue,
la Marzelline dont il parle lui, fut victime d'un imprévisible ennui
de santé. A la première, Talia Refeld ne jouait donc pas
Marzelline et Inge Dreisig, qui avait travaillé ce rôle voilà
quatre ans, fut appelée en catastrophe à onze heures trente
du matin le jour de cette fameuse première pour la remplacer. A
dix-sept heures, elle lisait le rôle avec orchestre et le donnait
au public tourangeau à vingt. On ne vous parle pas du temps considérable
qu'elle dut passer dans les transports puis à la salle des retouches
une fois arrivée, pour le costume et la perruque, ensuite avec le
metteur en scène et le directeur musical : tout ceci en moins de
huit petites heures. Evidemment, ce bouleversement inévitable eut
une incidence sur une partie du premier acte. Les ensembles se sont retrouvés
parfois déséquilibrés, manquant un peu de cohésion,
la brusque apparition d'Inge n'a pas rassuré le vocalement frêle
Etienne Lescoart, qui eut bien du mal à donner du corps à
ses répliques d'amoureux. Comme l'orchestre était sonore
mais peu fourni, le plateau se devait d'être impérativement
présent et dans l'ensemble, les chanteurs ont mis du temps à
répondre souplement aux injonctions venues de la fosse.
Contre tout attente, la méritante
Inge Dreisig ne passe ni à côté des détails
de la mise en scène, ni à côté de son premier
air dans lequel sa confiance n'est pourtant sans doute pas maximale. Deborah
Riedel, dont c'était la première dans ce rôle, joue
un Fidelio d'emblée convaincant contrairement à Stephen Owen
qui n'est pas un gouverneur d'une qualité vocale homogène
quoique fort bon acteur. Toutefois, ses colères de tiran éthylique
sont les traits vocaux les mieux réussis du premier acte.
A l'inverse, le deuxième acte
fut parfaitement irréprochable. L'entracte aidant peut-être
mais le niveau des chanteurs le permettant, l'entière équipe
scénique trouve ses vraies marques au second lever de rideau. Le
choeur, qu'on avait trouvé un peu mate, change de figure et devient
progressivement de la trempe des meilleurs choeurs symphoniques, comme
extirpé d'un enregistrement de référence de la 9e
symphonie (du même compositeur). Si les chanteurs se cherchaient
un peu sur le plateau précédemment, tout est maintenant absolument
rodé. Le Rocco de Gregory Reinhart relève la tête à
mesure que l'argument de l'opéra s'illumine bien que l'alliage Rocco-Don
Pizarro fut toujours impeccable. En somme, à la libération
de Florestan, tous les chanteurs présents sur plateau se montrent
sous leur meilleur jour et l'arrivée vocale d'Antoine Garcin, alias
Don Fernando venu délivrer officiellement les prisonniers, couronne
le tout bien somptueusement.
L'orchestre, quant à lui, toujours
vigilant, sonne spécifiquement symphonique ce qui rend plus que
remarquable l'ouverture du second acte présentant Florestan enchaîné.
Les dialogues des instruments solistes de l'orchestre avec les chanteurs
ont toujours été tout à fait réussis.
L'admirable de la soirée fut
le personnage-clé du drame, le touchant prisonnier Florestan, transfiguré
par l'excellent Daniel Galvez-Vallejo. La scène au cachot est pleine
de qualités : que dire du superbe duo Leonore-Rocco, de celui des
deux amoureux, du brillant mariage des timbres des trois chanteurs, du
discret et attentif orchestre, de la belle direction d'acteur d'Albert-André
Lheureux, enfin de l'argument-même, cette effrayante visite au gouffre
qui amène Leonore à creuser le caveau de son époux
?
La direction de Jean-Yves Ossonce très
précise et très souple, efficace et dynamique, ne délaisse
jamais rien. Dans ses gestes, tout est dit, des plus subtiles nuances aux
petites inflexions de dernière minute venues du plateau. Tout l'orchestre
s'est imposé une réelle discipline du timbre, soignant toute
une palette d'attaques, génératrice d'ambiances sonores bien
différentes et dans l'ensemble bien plus classiques que romantiques.
En cette fin de saison tourangelle, Fidelio héritait donc
bien plus de Mozart finissant que de Berlioz à venir et cela tout
à son honneur.
Pauline Guilmot
Lire l'avis
d'Alain Colloc