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BADEN BADEN
05/05/2008
© DR
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
FIDELIO
Singspiel en deux actes
Livret de Schikaneder et Sonnleithner
Direction musicale : Claudio Abbado
Mise en scène : Chris Kraus
Décors : Mauricio Balo
Costumes : Anna Maria Heinreich
Lumières : Gigi Saccomandi
Leonore : Anja Kampe
Florestan : Clifton Forbis
Don Pizarro : Albert Dohmen
Rocco : Giorgio Surian
Marzelline : Julia Kleiter
Jaquino : Jörg Schneider
Don Fernando : Diogenes Randes
Chœur Arnold Schoenberg
Coro de la Comunidad de Madrid
Mahler Chamber Orchestra
Nouvelle Production
Coproduction avec le Teatro di Reggio Emilia, le Teatro Real Madrid,
le Teatro Comunale di Ferrara et le Teatro Comunale di Modena
Baden-Baden, Festspielhaus, 5 mai 2008
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Petite distribution pour grand chef
On arrive avec en tête les noms de Jonas Kauffman (qui devait à l’origine chanter Florestan) et de Robert Carsen pour la mise en scène et l’on découvre que Clifton Forbis remplace le premier et que le réalisateur de cinéma Chris Kraus remplace le second (1)... Déception donc car le spectacle aurait sans doute gagné en intensité .
Restait, entre autres et ce n’est pas rien, la présence de Claudio Abbado au pupitre, et sur ce plan-là, on ne fut pas déçu.
Quel magnifique travail d’orchestre le chef italien nous a offert
ce soir-là ! Une direction énergique mais sans
lourdeur ou dureté, d’une clarté et d’une
lisibilité extrêmes, ménageant formidablement
tensions et détentes, une direction qui cisèle la
matière sonore avec une science consommée (la splendide
petite Marche au premier acte par exemple) et qui concentre la
sonorité vers les pupitres graves (contrebasses et violoncelles
prennent souvent le dessus en intensité par rapport aux cordes
aiguës) ce qui colle admirablement avec l’écriture
beethovénienne de l’ouvrage et avec le sujet... !
Un travail tout à fait fascinant donc, dont nous retiendrons
particulièrement deux moments qui nous ont grandement
marqué : l’introduction orchestrale du sublime
quatuor du premier acte, avec des pizzicati
des contrebasses d’une variété de
« toucher » absolument admirable (mais tout le
quatuor semble hors temps et Abbado en fait quelque chose de magique)
et la véritable « poussée de lave »
de la dernière scène : l’excitation
grandissante, le jaillissement de lumière ont été
savamment amenés pour nous offrir une conclusion des plus
jubilatoires. Deux facettes, le détail et la ligne, qui montrent
quel grand chef est Claudio Abbado.
L’orchestre
suit le maître corps et âme (c’est la première
que nous voyons un orchestre se lever lorsque le chef sort de la fosse
avant l’entracte !). Pourtant, nous ne sommes pas emballés
par cette formation, le Mahler Chamber Orchestra, tant vantée.
Les pupitres sont certes beaux (notamment ce soir contrebasses et
violoncelles), mais enfin, on a connu clarinette plus ronde ou hautbois
plus lumineux, cors plus tranchants et plus sûrs par exemple.
Quand on sait ce que l’Allemagne compte de formations
d’exception (et que le Festspielhaus est habitué à
recevoir), on aurait souhaité voir Abbado à la tête
d’un orchestre plus beau encore que cette jeune formation que
nous persistons à trouver un peu « verte »
(cf. la prestation du même orchestre dans De la maison des morts à Aix l’été dernier).
Mais Abbado ne se contente pas de tirer le meilleur de
l’orchestre, il porte les chanteurs de la même
manière, notamment des chœurs magnifiquement
ciselés avec une richesse de nuances confondante (chœur
des prisonniers). Il peut se reposer là sur des formations
absolument somptueuses, les hommes du Chœur Arnold Schoenberg, auxquels se joignent le Coro de la Comunidad de Madrid
pour les chœurs mixtes, magnifient les superbes pages chorales de
la partition, notamment la dernière, si redoutable pour les
sopranos (comme dans la 9° Symphonie ou la Missa Solemnis),
où le son est toujours rond et jamais forcé (ce que
l’on entend parfois trop souvent dans nos maisons
d’opéra) : enthousiasmant !
La distribution nous a paru un peu en deçà de ce
qu’on aurait pu attendre. Sans démériter, elle ne
transcende pas comme nous avons pu l’être de nombreuses
fois dans cette salle.
Anja Kampe campe
une fière Léonore, l’actrice est investie, la
chanteuse aguerrie mais on ne ressent pas le grand frisson qu’ont
su distiller d’autres chanteuses dans ce rôle. Il sera
cependant intéressant de retrouver Anja Kampe en Léonore
à Strasbourg en juin/juillet prochain (2).
Clifton Corbis est
plus douloureux en Florestan. Une voix serrée, comme sous
pression, qui bouge, avec un vibrato envahissant, une émission
tout en force... l’écoute en devient franchement
pénible notamment dans l’aigu. L’artiste est
pourtant méritant si ce n’est parfois prenant, mais la
voix le dessert trop à nos oreilles.
Le Rocco de Giorgio Surian est sympathique même si le timbre et
le chant plutôt italianisants surprennent un peu dans ce
répertoire.
Le Pizzaro d’Albert Dohmen
affiche une voix assez usée et le chanteur a tendance à
pousser un peu trop les sons. Certes, le personnage s’y
prête mais cela nous a semblé parfois un peu too much.
Très bons par contre le Don Fernando de Diogenes Randes, la Marzelline au beau timbre corsé de Julia Kleiter et surtout le Jaquino au timbre clair et très agréable de Jörg Schneider.
C’est donc Chris Kraus qui reprenait le flambeau de ce Fidelio pour la partie scénique. Réalisateur du film Quatre minutes,
traitant du rapport de forces tendu entre une professeur de piano et
une jeune femme rebelle en milieu carcéral, il retrouve avec
Fidelio un climat un peu similaire.
Pour sa première mise en scène d’opéra, on
sent l’homme de cinéma : les images, parfois fort
belles, sont nombreuses et s’enchaînent à un rythme
impressionnant. Une guillotine trône ainsi sur scène
durant le premier acte. Sa présence apporte un contrepoint
dramatique bienvenu aux scènes relativement
« légères » du début de
l’ouvrage (scènes entre Marzelline et Jaquino). Les lourds
murs métalliques constituent une image forte en créant un
espace déprimant et sordide qui s’ouvre pour laisser
apparaître une sorte
d’« arène » constituée de
cases avec dans chacune un prisonnier encagoulé qui renforce
l’impression d’anonymat et de masse aux dépens de
l’individu. Autre exemple d’image forte : celle des
prisonniers entrant en rampant tels des rats se faufilant dans cet
univers glauque. Des images, on en aura encore en projection notamment
durant l’air de Fidelio/Léonore où une lune se
transforme en pupille d’un œil dont la paupière se
ferme et se rouvre.
Les changements d’éclairages (d’ailleurs somptueux)
fort nombreux eux aussi permettent de focaliser l’action sur un
personnage, un élément du décor (la guillotine
éclairée à contre-jour et dont l’ombre
occupe tout le plateau) ou même d’éblouir les
spectateurs comme le sont les prisonniers montant à l’air
libre.
Bref, on ne s’ennuie pas dans ce catalogue de belles images. Le
tout est cependant un peu trop premier degré (d’autant
plus que l’action se place plutôt dans la France
révolutionnaire et du début du XIXe siècle : pas
de « relecture » politique ici). Quelques
maladresses sont à noter (comme le guillotinage d’un
prisonnier pris au hasard au premier acte, puis celui de Pizzaro
à la fin de l’ouvrage) mais ne déparent que peu
dans un travail très illustratif mais beau et qui
s’accorde parfaitement avec la musique.
On attendait un événement triple : Abbado - Carsen -
Kaufmann, nous n’en avons eu qu’un : Abbado, mais il
justifiait à lui seul le déplacement.
Pierre-Emmanuel LEPHAY
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Notes
(1) Le site internet du Festspielhaus
était - nous a-t-on dit - à jour de ces changements,
ayant même annoncé un temps la présence
d’Endrick Wottrich en remplaçant de Jonas Kaufmann.
(2) Direction musicale de Marc
Albrecht, mise en scène d’Andreas Baesler avec Jorma
Silvasti, Anja Kampe, John Wegner, Jyrki Korhonen etc. (voir le site de
l'ONR)
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