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GENEVE
16/11/04

Bernarda Fink
Récital Bernarda FINK

Bernarda Fink, mezzo-soprano
Roger Vignoles, piano

Genève,
16 Novembre 2004



La force d'un piano

Le public genevois avait répondu en nombre à la venue de la mezzo-soprano argentine Bernarda Fink, l'une des artistes les plus authentiques du monde de l'opéra. Depuis ses premières prestations genevoises entre 1985 et 1987 où elle était Marguerite dans Jeanne au Bûcher de Honegger et Hänsel dans Hänsel und Gretel de Humperdinck, la mezzo-soprano poursuit une brillante carrière principalement dans l'opéra baroque aux côtés de René Jacobs.

Pour ce retour sur la scène genevoise, Bernarda Fink avait choisi d'offrir un récital de lieder de Schubert, Brahms et Dvorak. Un récital haute voltige, teinté de romantisme, faisant prendre à la chanteuse les risques d'une véritable artiste. Grande et belle âme, on sait que Bernarda Fink ne se présente pas au public comme une simple icône. En ouvrant son récital avec Gretchen am Spinnrade de Schubert, elle place immédiatement la barre très haut. D'emblée la voix s'exprime en toute liberté, sans effort apparent, l'étendue du registre totalement libéré. De la douceur extrême jusqu'au cri, elle dose avec intelligence une voix d'une homogénéité stupéfiante. Quelle splendeur de puissance dans cette dernière strophe de "Du bist die Ruh" dont les ultimes syllabes sont exhalées dans un souffle qui semble ne jamais finir. 

Le chant s'écoule si parfaitement, si naturellement qu'on en oublie presque l'intention poétique, sinon l'émotion qui semble parfois manquer. Pourtant, chaque mot, chaque phrase est un joyau de précision. Puis, tout à coup, l'étincelle, sortie de nulle part, rappelle que le chant n'est pas une science exacte et qu'aussi parfait qu'il soit, le plus petit accroc le ramène à sa dimension humaine. Ainsi, dans "V tak mnohém srdci mrtvo jest" (La nuit envahit bien des coeurs) de Dvorak, quel est le mot, l'intention, l'incident qui soudain fait que le coeur se serre, que le frisson se fait sentir ? Reste que les derniers vers, à peine susurrés, s'envolent comme un rêve, comme une mélodie céleste dont on voudrait que jamais elle ne finisse.

Sans cesse habitée par les poèmes qu'elle chante, Bernarda Fink conduit son récital avec une extraordinaire maîtrise, ne laissant qu'à ses mains délicieusement jointes le plaisir de moduler une intention vocale. C'est alors Brahms qui illumine son discours avec un soin si particulier de la ligne de chant. Sa "Sapphische Ode" (Ode saphique) est un modèle de lente indolence et de respiration poétique. Puis Dvorak revient clore le récital. Au détour de "Skrivanek" (L'Alouette), l'accompagnement du piano de Roger Vignoles révèle soudain l'une des clés de la réussite de ce récital. Toujours en ligne avec le chant, en concordance musicale avec le poème, le pianiste anglais s'avère l'indispensable coloriste de ce récital. La force de son piano, travaillé dans une discrète dentelle d'harmonies, souligne le plaisir complice que les deux compères ont à se couler dans la perfection d'un récital admirablement bien préparé.

Le Nachtlied de Schumann, donné en bis et en guise d'adieu au public, fut un modèle d'émotion qui laissa le public muet d'admiration pendant de longues minutes, avant qu'il n'ose rompre le charme de la musique pour réserver aux deux artistes une chaleureuse ovation.
 
 

Jacques SCHMITT
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