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AVIGNON
19/03/2006
© ACM-STUDIO Delestrade
Giuseppe VERDI (1813 - 1901)
La Forza del destino
Opéra en 4 actes
Livret de Francesco Maria Piave
d’après un drame du duc de Rivas,
Don Alvaro o la Fuerza de Sino
Mise en scène : Claire Servais
Décors : Bernard Arnould
Costumes : Yvonne Sassinot de Nesle
Lumières : Olivier Wéry
Direction musicale : Jacques Lacombe
Donna Leonora di Vargas : Manon Feubel
Preziosilla : Karine Deshayes
Curra : Isabelle Guillaume
Una mendicante : Anca-Violeta Parschiv
Don Alvaro : Maurizio Comencini
Don Carlo di Vargas : Marzio Giossi
Padre Guardiano : Orlin Anastassov
Fra Melitone : Olivier Grand
Il Marchese di Calatrava : Philippe Kahn
Mastro Trabuco : Rodolphe Briand
Un Alcade : Jean-Marie Delpas
Un Chirurgo : Alain Charles
Conseiller artistique : Raymond Duffaut
Orchestre lyrique de région Avignon-Provence
Chœur de l’Opéra-théâtre d’Avignon et des Pays de Vaucluse
Opéra d’Avignon, 19 mars 2006
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La rareté de la flamboyante Force du destin
à l’affiche des théâtres tient sans doute
principalement à la difficulté de monter une œuvre
extrêmement exigeante pour les voix et l’orchestre et
comptant pas moins de six rôles importants. L’avisé
Raymond Duffaut a su réunir un plateau et un chef de haut
niveau, parfaitement capables de restituer à l’œuvre
son fabuleux impact émotionnel - insoupçonnable à
la seule lecture d’un livret aussi riche de
péripéties invraisemblables que pauvre de
vérité psychologique ! Le public de la
première a fini le spectacle en transe.
Manon Feubel, impressionnante, triomphe à juste titre dans
Leonora. Son soprano large et somptueux, électrisant dans les forte, quasi caballéen dans les piani, lui permet d’assumer pleinement et sans effort apparent ce rôle de spinto
écrasant entre tous, et chacune de ses interventions est un
moment de pur bonheur vocal. L’artiste, magnifiquement
engagée, donne en outre beaucoup de relief à son
personnage et se montre d’un dynamisme scénique que son
physique opulent ne laisse pas imaginer a priori. Une stabilité
pas toujours parfaite dans l’aigu, une ou deux notes un peu
basses : broutilles face à tant de
générosité.
Son frère dénaturé, l’élégant
Marzio Giossi, chante au même niveau : les moyens sont moins
amples, le vibrato accentué n’est pas
particulièrement séduisant, mais le phrasé est
châtié, la diction mordante, la voix sûre et
percutante jusque dans les aigus ajoutés (le sol dièse
attendu de la cabalette, voire le plus rare la naturel couronnant la
ballade du 2e acte). Parée de toutes les insidieuses
demi-teintes demandées par Verdi, son Urna fatal donne le frisson.
Maurizio Comencini se situe un cran en dessous, une tension perceptible
(le trac ?) ne lui permettant pas de libérer tout son
potentiel ; précisons que le ténor italien
remplaçait Francisco Casanova initialement annoncé. La
voix est chaude et belle, le grave et le médium de cet ancien
rossinien ont acquis la consistance voulue, mais l’aigu
n’est pas à l’abri de tout accroc et
l’investissement musical reste limité, comparé
à celui de ses partenaires. Solenne in quest’ora est malgré tout un beau moment.
Alliant la légèreté d’un mezzo rossinien
à des tensions toutes verdiennes, le rôle de Preziosilla
est difficile à distribuer. Pour une salle de dimensions
raisonnables comme celle d’Avignon, la piquante Karine Deshayes
est un choix astucieux : si le bas médium n’a pas vraiment
la résonance nécessaire, l’insolente projection de
l’aigu (frappante dans sa récente Mercédès
de Carmen à Orange) lui permet de dominer sans peine les ensembles, et l’intelligence de la musicienne fait le reste.
Habitué depuis plusieurs années des scènes
internationales, le très jeune Orlin Anastassov (né en
1976 !) est un Guardiano de luxe, à la basse somptueuse et
au port majestueux, tant vocalement que scéniquement ; son
duo avec la soprano est l’un des sommets du spectacle.
L’étonnant Olivier Grand est un Melitone de grande classe,
scéniquement pittoresque sans aucune surcharge et vocalement
intègre dans un rôle qui n’a rien de facile ;
la basse chaleureuse de Philippe Kahn donne une réplique solide
à la soprano et au ténor au premier acte, et Rodolphe
Briand campe d’une voix légère un Trabuco cauteleux
à souhait.
Jacques Lacombe offre une lecture rigoureuse et dynamique de cette
partition virtuose, assurant une parfaite cohésion entre la
fosse et le plateau. A peine regrette-t-on parfois une sagesse dans le
tempo qui entame l’impact des pages les plus fougueuses, comme la
fin de l’ouverture ou la cabalette de Carlo ;
peut-être le fort bon orchestre d’Avignon touche-t-il dans
ces moments-là ses limites... Mention au superbe solo de
clarinette, brillant et stylé, qui introduit l’acte III.
Les chœurs, quant à eux, sont parfaitement sonores.
Déjà présenté sur la même
scène en 1995, le spectacle est visuellement classique et
agréable, créant des atmosphères à la
Vélasquez fort bienvenues ; le tableau de la taverne de
Hornachuelos est particulièrement réussi. Claire Servais
y signe une sage mise en place, avec de temps à autre une
idée originale, parfois judicieuse, comme une mort de Leonora
poétique et bien accordée à la partition : au
lieu de gésir inanimée dans les bras d’Alvaro,
l’héroïne s’éloigne lentement vers le
fond de la scène et va se perdre dans les plis d’un rideau
frissonnant au vent, sur les derniers trémolos pianissimo de l’orchestre.
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