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LIEGE
18/03/05
© Opéra de Wallonie
DER FREISCHÜTZ
Opéra romantique en trois
actes créé à Berlin, le 18 juin 1821
Musique de Carl Maria Von WEBER
Livret de Friedrich KIND
Friedrich PLEYER (direction musicale)
Guy JOOSTEN (mise en scène)
Johannes LEIACKER (décors)
Jorge JARA (costumes)
Davy CUNNINGHAM (lumières)
Nancy WEISSBACH (Agathe)
Anja VAN ENGELAND (Ännchen)
Patrick RAFTERY (Max)
Jaco HUIJPEN (Kaspar)
Wojtek SMILEK (l'Ermite)
Guy GABELLE (Killian)
Léonard GRAUS (Kuno)
Bernhard SPINGLER (Ottokar)
Ines Agnes KRAUTWURST (Samiel)
Orchestre et Choeurs de l'Opéra
Royal de Wallonie
Théâtre Royal de Liège,
18 mars 2005
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Le Freischütz
mis en scène par Guy Joosten arrive à l'Opéra Royal
de Wallonie, coproducteur du spectacle, après avoir été
créé à Leipzig au mois d'octobre 2003 puis repris
à Montpellier en janvier 2004. Est-ce bien raisonnable ? Le maître
d'oeuvre de ce spectacle s'est incontestablement livré à
une réflexion approfondie sur l'ouvrage et nous invite en premier
lieu à suivre le processus de maturation de Max. Son approche se
veut essentiellement psychanalytique, ce qui le conduit à gommer
non seulement le rapport fondamental à la nature de cet opéra
romantique, mais aussi, dans une certaine mesure, sa dimension fantastique.
Faire fi de l'imagerie traditionnelle, pourquoi pas, mais à condition
de nous proposer une lecture cohérente et substantielle. Est-ce
le cas ? Pas totalement, car quelques idées remarquables voisinent
ici avec des incongruités, comme l'exécution de l'ermite
par les sbires d'Ottokar : le Freischütz n'est pas Don Carlo
et le conflit entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux n'est
dans cet ouvrage qu'une hypothèse qui vient quelque peu polluer
la fin de la représentation. Je préfère retenir l'intelligente
(mais pas forcément inédite) mise en évidence d'un
univers féminin intérieur et fermé, en opposition
avec celui des chasseurs, et la non moins intelligente approche du personnage
d'Agathe. Malheureusement, il faut aussi en passer par quelques procédés
aussi rebattus que vains, comme la transposition de l'opéra entier
dans un froid décor d'abattoir, où on dépèce
le gibier abattu. Ceci permet quelques images tout à fait réussies,
mais occulte totalement la présence de cette forêt tantôt
amicale et tantôt menaçante qui tient dans l'oeuvre un rôle
de véritable protagoniste, et confère à la lecture
de Guy Joosten une crudité parfois trop exempte de mystère.
De même, la scène de la Gorge aux Loups se déroule
dans un lupanar et le fantastique en est banni au profit d'une bacchanale
luxurieuse. Au départ, on se laisse seulement distraire par la plastique
des demoiselles, mais la précision de la mise en place finit par
nous entraîner dans cette vision efficace et, lorsque le rideau se
baisse sur un Kaspar saisi de convulsions diaboliques, nous avons fini
par adhérer à ce très habile détournement.
Cette scène résume assez bien le travail de Guy Joosten :
intéressant et irritant tout à la fois, maniant le contresens
avec une maîtrise certaine. La conception du spectacle est contestable,
mais sa réalisation est digne d'un grand professionnel et la direction
d'acteurs, souvent inspirée, offre à certains personnages
généralement sacrifiés, comme Ottokar ou l'ermite,
un relief inhabituel.
© Opéra de Wallonie
La distribution, presque entièrement
renouvelée, offre de belles satisfactions, à commencer par
l'Agathe de Nancy Weissbach. Physiquement, l'actrice a de faux airs de
June Anderson et un joli jeu de jambes ; vocalement, la chanteuse apporte
au rôle un timbre dense et une séduisante sensibilité,
elle aborde ses airs en musicienne accomplie. Formée au régime
des troupes allemandes, elle semble désormais promise à un
bel avenir dans les héroïnes straussiennes et les blondes wagnériennes.
Anja Van Engeland séduit par son impétuosité et son
engagement scénique mais ses moyens vocaux paraissent encore un
peu verts. En termes d'oenologie, je dirais qu'il y a là une bonne
structure demandant quelques années de vieillissement. La jeune
Natacha Kowalski, récent oiseau de la forêt ici même,
parvient à capter l'attention dans la brève intervention
de la première demoiselle. Du côté masculin, Jaco Huijpen
emporte la palme haut la main avec son Kaspar mauvais garçon, inquiétant
mais pas forcément antipathique ; excellent acteur, il possède
de surcroît l'ampleur vocale et la noirceur exigées par un
rôle dont il tire un excellent parti. A défaut de séduction
vocale, Patrick Raftery, ancien baryton devenu un bon succédané
de fort ténor, possède le format de Max et lui prête
de bonnes intentions musicales et scéniques. Bernhard Spingler dessine
avec succès un Ottokar transformé en dandy suffisant et décadent,
aux côtés de quelques sociétaires de l'Opéra
Royal de Wallonie : Guy Gabelle, Killian seulement tonnant, Léonard
Graus, Kuno digne malgré un vibrato un peu encombrant, et
Wojtek Smilek qui, depuis la salle, campe avec autorité un ermite
contestant avec ironie un pouvoir temporel déliquescent.
Friedrich Pleyer et son orchestre ne
retrouvent pas la plénitude qui les habitait récemment dans
le Ring. Le chef nous offre
une lecture précise et équilibrée, bien en place mais
dépourvue de mystère et entachée de quelques défaillances
parmi les cuivres. Quant aux choeurs, ils interviennent avec une générosité
un peu brouillonne dans ce spectacle qui, par-delà d'indéniables
motifs d'intérêt et en dépit du bon accueil que lui
a réservé le public, ne devrait pas entrer dans les annales
de l'Opéra Royal de Wallonie. Je n'ai dit mot du personnage de Samiel,
campé par une actrice, initiatrice perverse et omniprésente,
dont l'emprise jamais démentie sur Max contredit l'habituelle perception
de l'ouvrage. Nous n'assistons donc pas cette fois au triomphe de la puissance
divine, mais il faut parfois accepter de se laisser déranger...
VINCENT DELOGE
Prochaines représentations :
20 mars à 15h ; 22, 24 & 26 mars à 20h
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