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METZ
30/09/03
Gustave III ou Le Bal masqué

Opéra historique en cinq actes
de Daniel François Esprit Auber
(création à l'Académie Royale de Musique le 27 février 1833)

Livret de Eugène Scribe
 

Gustave III : Marc LAHO
Amélie : Georgia JARMAN
Ankastrom : Didier HENRY
Mme Arvedson : Patrizia PATELMO
Oscar : Cécile DE BOEVER
Christian : Paul KIRBY
Ribbing : Philippe CASADO
Dehorn : Guillaume ANTOINE

Choeurs et Ballet de l'Opéra-Théâtre de Metz
Ensemble Mille e tre
Orchestre National de Lorraine

Direction : Jacques MERCIER

Mise en scène : Laurence DALE
Décors : Hartmut SCHÖRGHOFER
Costumes : Katrin KÖHLER
Éclairages : Dominique BORRINI
Chorégraphies : Patrick SALLIOT

Nouvelle coproduction avec l'Opéra de Dijon

Opéra Théâtre de Metz, le 30 Septembre 2003



Chapeau, Monsieur Dale !
 

On attendait avec impatience l'ouverture de cette première saison messine conçue par Laurence Dale. Le choix des oeuvres affichées témoignait d'une originalité et d'un courage certains ; il restait à juger des réalisations. On peut désormais l'affirmer : si les spectacles à venir sont à la hauteur de ce Gustave III inaugural, l'Opéra Théâtre de Metz deviendra rapidement une étape incontournable dans le paysage lyrique français. Quel contraste en l'espace de quarante-huit heures entre une reprise parisienne de Tosca d'une effroyable routine et cette représentation enthousiasmante ! Pourtant, on pouvait légitimement se poser des questions. Cet ouvrage, disparu des scènes depuis 130 ans et que nous ne connaissions que par l'enregistrement issu des représentations de concert données à Compiègne en 1991, méritait-il une nouvelle chance ? Oui. Peut-il être représenté avec les moyens restreints dont dispose l'Opéra de Metz, en rien comparables avec les fastes de la création parisienne en 1833 ? Oui, quand on agit avec intelligence et passion. Laurence Dale a pleinement réussi ses débuts messins en tant que directeur artistique et en tant que metteur en scène, et c'est d'autant plus méritoire qu'il n'avait pas choisi la voie de la facilité.

Gustave III est le frère aîné du Bal masqué verdien, qui emprunte la même trame conçue par ce très habile faiseur qu'était Eugène Scribe. L'intrigue est toutefois développée ici sur cinq actes selon les règles du Grand Opéra français, avec forte présence des choeurs et ballet obligatoire. La partition n'est pas dénuée de facilités parfois et elle ne possède indiscutablement pas le potentiel dramatique de sa petite soeur verdienne, mais elle n'est pas avare de beautés sonores. En effet, Auber déploie ici une veine mélodique et des qualités d'orchestration et d'instrumentation qui méritent le respect. L'oeuvre se déroule sans temps mort avec un allant et une profusion de rythmes parfois irrésistibles, un brio qui ne laisse que peu de place à la manifestation des sentiments. Ajoutons qu'elle est donnée dans une version pratiquement aussi complète que celle de Compiègne, avec le ballet dans son intégralité, ce qui devrait satisfaire les puristes, mais aussi légèrement ennuyer les réfractaires à la danse classique, à une époque où - bien heureusement - les vieux messieurs fortunés ne sont plus admis à venir lutiner dans le foyer des danseuses.
Laurence Dale connaît bien l'ouvrage pour avoir interprété le rôle-titre à Compiègne. Il s'appuie sur de beaux costumes et un dispositif scénique ingénieux, qui permet notamment des précipités très rapides après les premiers et troisièmes actes. J'ai aussi apprécié l'utilisation astucieuse de panneaux mobiles permettant d'isoler les scènes intimistes. Laurence Dale se montre respectueux des indications du livret et n'éprouve le besoin d'aucune transposition, confiant dans les vertus de la musique. A l'ouverture du rideau, lorsque Gustave descend des cintres sur un char doré, on sourit à l'évocation des fastes baroques. Le char réapparaîtra en compagnie d'animaux légendaires du même métal pendant le ballet, au moment où la musique se fait clairement parodique : une illustration parmi d'autres de l'humour et de l'intelligence de Laurence Dale, artiste qui s'affirme aussi talentueux et intègre comme metteur en scène qu'il l'était en tant que chanteur. On se laissera encore surprendre par l'étonnant cylindre dont sort Mme Arvedson ou le théâtre en miniature dans lequel Gustave fait son apparition au dernier acte, tenant tel Hamlet un crâne dans sa main. Le travail du metteur en scène, très évocateur et très lisible, repose également sur une mise en place et une direction d'acteurs remarquables.

Le rôle-titre fut créé par Nourrit et nécessite une voix solide sur toute l'étendue de la tessiture. Bien moins périlleuse que celle d'Arnold par exemple, son écriture est toutefois beaucoup plus ardue qu'on pourrait l'imaginer. C'est donc tout à l'honneur de Marc Laho d'en triompher avec une surprenante aisance. Le ténor belge affiche un instrument vigoureux, un style châtié et une diction exemplaire, et il use habilement de la voix mixte dans son air d'entrée qui culmine au contre-ré. Il constitue la grande satisfaction vocale de cette soirée. Le joli soprano lyrique de Giorgia Jarman est davantage en difficulté avec la tessiture d'Amélie, un rôle créé par Cornélie Falcon. La chanteuse ne manque cependant pas de qualités - un physique séduisant, un timbre agréable, une musicalité certaine - mais le volume de la voix reste mince. Elle parvient à conférer à Amélie une belle sensibilité, en particulier dans sa cavatine, mais elle est contrainte de beaucoup marquer dans les ensembles.

Cécile de Boever possède un organe plus solide, quoique d'un grain assez commun. Elle a le physique juvénile qui sied à Oscar et son aigu est bien en place. Habitué de la scène messine depuis une dizaine d'années et spécialiste reconnu du répertoire français, Didier Henry aborde crânement la tessiture assez grave d'Ankastrom, auquel il apporte beaucoup de noblesse et dont il parvient à exprimer la violence dans son face à face avec Amélie à l'acte IV. Il partage avec Marc Laho un style et une diction irréprochables (dans un spectacle donné sans surtitrage). Leur duo du premier acte est un bon exemple de ce que l'on aimerait plus souvent entendre dans le répertoire français.

Dans le rôle de la sorcière Arvedson, Patrizia Patelmo séduit par sa prestance, son timbre profond et jusqu'à cet accent italien assez prononcé qui souligne l'étrangeté du personnage. Mais la diction en souffre, et l'on a connu des voix plus stables et homogènes. Les seconds rôles sont fort correctement distribués avec une mention pour le Christian élégant de Paul Kirby, qui mérite incontestablement d'être entendu dans des rôles plus étoffés.

J'ai été conquis par la direction enthousiaste et engagée de Jacques Mercier. Il a eu le mérite de prendre cette partition très au sérieux et la conduit avec compétence et conviction. Dès l'ouverture joliment enlevée, on sait que le chef gagnera son pari. Il mène tous les ensembles avec énergie et prend plaisir à souligner le moindre trait d'instrumentation (cette étonnante sonnerie de trompettes dans la partie terminale du ballet !). Le chef tire le meilleur parti d'un orchestre qui, inexplicablement, s'est toujours montré beaucoup plus satisfaisant au concert que dans la fosse. L'ouvrage a également permis de mobiliser toutes les forces du théâtre. Les choeurs, fort sollicités, se sont montrés à la hauteur, tout comme le ballet qui évolue sur les simples et charmantes chorégraphies de Patrick Salliot.

Je l'ai écrit en préambule, ce spectacle est une franche réussite, qui prouve qu'il n'est pas nécessaire de posséder des moyens énormes pour créer l'évènement. L'intelligence, l'audace, l'originalité y suppléent totalement. Il est cependant regrettable que le public de Metz, que l'on dit à raison exagérément traditionaliste, n'accompagne pas encore pleinement Laurence Dale dans cette entreprise passionnante. La salle était en effet clairsemée mardi et c'était bien injuste au vu du superbe engagement de tous les acteurs de cette production. Certes, les absents ont eu tort, mais il ne faudrait pas que ce conservatisme remette en cause à long terme la politique courageuse menée par l'ancien ténor. Ce Gustave III valait tout de même bien un énième Rigoletto ! Il semble hélas que l'originalité n'ait plus guère de prix dans notre société standardisée et abrutie par la distribution de masse.

Monsieur Dale, un seul mot : Chapeau !
 
 
 

Vincent Deloge
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Pour aller plus loin, lire  dans la revue Forum Opéra :

* l'article consacré Auber dans le dossier "Opéra Comique"

* l'article "Conventions et innovations" dans le dossier le "Grand Opéra"

* le dossier consacré au Gustavo III de Verdi

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