Chapeau, Monsieur Dale !
On attendait avec impatience l'ouverture
de cette première saison messine conçue par Laurence Dale.
Le choix des oeuvres affichées témoignait d'une originalité
et d'un courage certains ; il restait à juger des réalisations.
On peut désormais l'affirmer : si les spectacles à venir
sont à la hauteur de ce Gustave III inaugural, l'Opéra
Théâtre de Metz deviendra rapidement une étape incontournable
dans le paysage lyrique français. Quel contraste en l'espace de
quarante-huit heures entre une reprise parisienne de Tosca d'une
effroyable routine et cette représentation enthousiasmante ! Pourtant,
on pouvait légitimement se poser des questions. Cet ouvrage, disparu
des scènes depuis 130 ans et que nous ne connaissions que par l'enregistrement
issu des représentations de concert données à Compiègne
en 1991, méritait-il une nouvelle chance ? Oui. Peut-il être
représenté avec les moyens restreints dont dispose l'Opéra
de Metz, en rien comparables avec les fastes de la création parisienne
en 1833 ? Oui, quand on agit avec intelligence et passion. Laurence Dale
a pleinement réussi ses débuts messins en tant que directeur
artistique et en tant que metteur en scène, et c'est d'autant plus
méritoire qu'il n'avait pas choisi la voie de la facilité.
Gustave III est le frère
aîné du Bal masqué verdien, qui emprunte la
même trame conçue par ce très habile faiseur qu'était
Eugène Scribe. L'intrigue est toutefois développée
ici sur cinq actes selon les règles du Grand Opéra français,
avec forte présence des choeurs et ballet obligatoire. La partition
n'est pas dénuée de facilités parfois et elle ne possède
indiscutablement pas le potentiel dramatique de sa petite soeur verdienne,
mais elle n'est pas avare de beautés sonores. En effet, Auber déploie
ici une veine mélodique et des qualités d'orchestration et
d'instrumentation qui méritent le respect. L'oeuvre se déroule
sans temps mort avec un allant et une profusion de rythmes parfois irrésistibles,
un brio qui ne laisse que peu de place à la manifestation des sentiments.
Ajoutons qu'elle est donnée dans une version pratiquement aussi
complète que celle de Compiègne, avec le ballet dans son
intégralité, ce qui devrait satisfaire les puristes, mais
aussi légèrement ennuyer les réfractaires à
la danse classique, à une époque où - bien heureusement
- les vieux messieurs fortunés ne sont plus admis à venir
lutiner dans le foyer des danseuses.
Laurence Dale connaît bien l'ouvrage
pour avoir interprété le rôle-titre à Compiègne.
Il s'appuie sur de beaux costumes et un dispositif scénique ingénieux,
qui permet notamment des précipités très rapides après
les premiers et troisièmes actes. J'ai aussi apprécié
l'utilisation astucieuse de panneaux mobiles permettant d'isoler les scènes
intimistes. Laurence Dale se montre respectueux des indications du livret
et n'éprouve le besoin d'aucune transposition, confiant dans les
vertus de la musique. A l'ouverture du rideau, lorsque Gustave descend
des cintres sur un char doré, on sourit à l'évocation
des fastes baroques. Le char réapparaîtra en compagnie d'animaux
légendaires du même métal pendant le ballet, au moment
où la musique se fait clairement parodique : une illustration parmi
d'autres de l'humour et de l'intelligence de Laurence Dale, artiste qui
s'affirme aussi talentueux et intègre comme metteur en scène
qu'il l'était en tant que chanteur. On se laissera encore surprendre
par l'étonnant cylindre dont sort Mme Arvedson ou le théâtre
en miniature dans lequel Gustave fait son apparition au dernier acte, tenant
tel Hamlet un crâne dans sa main. Le travail du metteur en scène,
très évocateur et très lisible, repose également
sur une mise en place et une direction d'acteurs remarquables.
Le rôle-titre fut créé
par Nourrit et nécessite une voix solide sur toute l'étendue
de la tessiture. Bien moins périlleuse que celle d'Arnold par exemple,
son écriture est toutefois beaucoup plus ardue qu'on pourrait l'imaginer.
C'est donc tout à l'honneur de Marc Laho d'en triompher avec une
surprenante aisance. Le ténor belge affiche un instrument vigoureux,
un style châtié et une diction exemplaire, et il use habilement
de la voix mixte dans son air d'entrée qui culmine au contre-ré.
Il constitue la grande satisfaction vocale de cette soirée. Le joli
soprano lyrique de Giorgia Jarman est davantage en difficulté avec
la tessiture d'Amélie, un rôle créé par Cornélie
Falcon. La chanteuse ne manque cependant pas de qualités - un physique
séduisant, un timbre agréable, une musicalité certaine
- mais le volume de la voix reste mince. Elle parvient à conférer
à Amélie une belle sensibilité, en particulier dans
sa cavatine, mais elle est contrainte de beaucoup marquer dans les ensembles.
Cécile de Boever possède
un organe plus solide, quoique d'un grain assez commun. Elle a le physique
juvénile qui sied à Oscar et son aigu est bien en place.
Habitué de la scène messine depuis une dizaine d'années
et spécialiste reconnu du répertoire français, Didier
Henry aborde crânement la tessiture assez grave d'Ankastrom, auquel
il apporte beaucoup de noblesse et dont il parvient à exprimer la
violence dans son face à face avec Amélie à l'acte
IV. Il partage avec Marc Laho un style et une diction irréprochables
(dans un spectacle donné sans surtitrage). Leur duo du premier acte
est un bon exemple de ce que l'on aimerait plus souvent entendre dans le
répertoire français.
Dans le rôle de la sorcière
Arvedson, Patrizia Patelmo séduit par sa prestance, son timbre profond
et jusqu'à cet accent italien assez prononcé qui souligne
l'étrangeté du personnage. Mais la diction en souffre, et
l'on a connu des voix plus stables et homogènes. Les seconds rôles
sont fort correctement distribués avec une mention pour le Christian
élégant de Paul Kirby, qui mérite incontestablement
d'être entendu dans des rôles plus étoffés.
J'ai été conquis par
la direction enthousiaste et engagée de Jacques Mercier. Il a eu
le mérite de prendre cette partition très au sérieux
et la conduit avec compétence et conviction. Dès l'ouverture
joliment enlevée, on sait que le chef gagnera son pari. Il mène
tous les ensembles avec énergie et prend plaisir à souligner
le moindre trait d'instrumentation (cette étonnante sonnerie de
trompettes dans la partie terminale du ballet !). Le chef tire le meilleur
parti d'un orchestre qui, inexplicablement, s'est toujours montré
beaucoup plus satisfaisant au concert que dans la fosse. L'ouvrage a également
permis de mobiliser toutes les forces du théâtre. Les choeurs,
fort sollicités, se sont montrés à la hauteur, tout
comme le ballet qui évolue sur les simples et charmantes chorégraphies
de Patrick Salliot.
Je l'ai écrit en préambule,
ce spectacle est une franche réussite, qui prouve qu'il n'est pas
nécessaire de posséder des moyens énormes pour créer
l'évènement. L'intelligence, l'audace, l'originalité
y suppléent totalement. Il est cependant regrettable que le public
de Metz, que l'on dit à raison exagérément traditionaliste,
n'accompagne pas encore pleinement Laurence Dale dans cette entreprise
passionnante. La salle était en effet clairsemée mardi et
c'était bien injuste au vu du superbe engagement de tous les acteurs
de cette production. Certes, les absents ont eu tort, mais il ne faudrait
pas que ce conservatisme remette en cause à long terme la politique
courageuse menée par l'ancien ténor. Ce Gustave III
valait tout de même bien un énième Rigoletto
! Il semble hélas que l'originalité n'ait plus guère
de prix dans notre société standardisée et abrutie
par la distribution de masse.
Monsieur Dale, un seul mot : Chapeau
!
Vincent Deloge
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Pour aller plus loin, lire dans
la revue Forum Opéra :
* l'article consacré
Auber
dans le dossier "Opéra
Comique"
* l'article "Conventions
et innovations" dans le dossier le "Grand
Opéra"
* le dossier consacré au Gustavo
III de Verdi