L'âme
d'un enfant
"...Et alors, on dirait que les arbres
s'envoleraient et qu'on trouverait des échelles rouges sous leurs
troncs et qu'on pourrait monter sur le toit de la maison pour y manger
les gâteaux qui seraient les tuiles du toit". Et, sur scène,
les troncs s'élèvent, révélant des échelles
rouges planquées à l'intérieur... Le discours d'un
enfant inventant son histoire au fur et à mesure qu'elle se déroule,
c'est l'esprit qui anime Yannis Kokkos dans la narration de ce conte
de fée. Du haut de sa soixantaine, le metteur en scène reste
un émerveillé, avec l'âme d'un enfant, avec sa pureté,
sa fraîcheur, sa candeur, ses éclats de rire, ses tristesses
et ses joies débordantes. Avec ses décors de carton-pâte,
ses colorations vives, ses personnages montant et descendant des cintres,
ses jeux de lumière, ses notes d'humour, sans jamais forcer l'imagination,
le metteur en scène grec transforme ce conte en un spectacle enchanteur.
Usant des mêmes artifices scéniques qui l'avaient vu triompher
l'an dernier au Grand-Théâtre de Genève avec le rarement
monté Les Oiseaux (voir notre critique)
de Walter Braunfels, il raconte cet Hänsel und Gretel avec
une si belle et calme ingénuité qu'on a peine à croire
que cet homme dirigeait une terrifiante, mais splendide Elektra
de Strauss, en 1986, reprise en 1989, sur cette même scène
genevoise.
© Isabelle Meister
Sous le charme, Armin Jordan,
à la tête de l'Orchestre de la Suisse Romande, fait merveille.
Si l'aspect scénique est juvénile et empreint d'insouciance,
sa musique se projette dans des profondeurs straussiennes et wagnériennes.
Il crée l'inexplicable. Jamais les violons n'ont été
aussi chatoyants, les bois aussi clairs et les cuivres aussi superbement
présents.
Pas étonnant dès lors
que le plateau vocal s'identifie à l'excellence. Le couple des enfants
est magique. Anke Vondung (Hänsel) réfrénant
son vibrato est un parfait garçon alors que Camilla Tilling
(Gretel) minaude magnifiquement pour incarner l'insouciance de la petite
soeur suivant son grand frère dans l'aventure. Admirables personnages
moulés dans l'amour de leurs enfants, l'inépuisable Nadine
Denize (Gertrud, la mère) prête une voix sans faille à
son rôle pendant que l'exemplaire prononciation et la vocalité
impeccable de Franz-Joseph Kapellmann (Peter, le père) expriment
avec superbe une autorité paternelle sans aigreur. L'idée
d'offrir à un ténor le rôle de la sorcière Grignote,
généralement tenu par une voix féminine, s'avère
être un choix judicieux. Surtout quand le rôle est offert au
ténor Pierre Lefebvre, capable de mouler sa voix dans des
registres plus théâtraux que strictement lyriques. La projetant
jusqu'à l'éraillement, il ose l'extrême. Composant
un personnage d'une théâtralité exacerbée, ce
transformiste diabolique et d'un comique très réussi, sorte
de Dr. Jeckyll and Mr. Hyde, ne peut que précipiter l'heureux dénouement
du conte.
Du théâtre lyrique qui
fait rêver. Quel bonheur !
Jacques SCHMITT