Comment a-t-on pu ainsi méconnaître
Marschner, et particulièrement ce superbe ouvrage qu'est Hans Heiling
? Pour cette exhumation, l'Opéra du Rhin a soigné sa production
et mis tous les atouts de son côté. La réussite est
exemplaire, même si la production scénique peut intriguer
et surprendre. Le jeune metteur en scène Andreas May (voir notre
interview) et son décorateur-costumier David König ont en effet
choisi de placer l'intrigue dans un village typique de la Forêt Noire
(clin d'oeil aux nombreux spectateurs d'outre-Rhin ?) mais en renforçant
le kitsch, les clichés et les images d'Épinal, ce qui apporte
un second degré ironique, voire comique, étonnant à
défaut d'être toujours convaincant (les décors sont
par exemple dignes des jouets Playmobil...). Le monde très coloré
des humains s'oppose ainsi radicalement au monde des esprits, uniforme,
gris et plus statique. Il faut en effet noter une direction d'acteurs remarquable,
qui apporte beaucoup de vie à l'action.
Musicalement, la prestation est dominée
par la direction, en tout point splendide, d'Olaf Henzhold à la
tête d'un Orchestre Philharmonique parfois encore un peu fragile
pour cette première. L'écriture exigeante et très
originale de Marschner (qui fait par exemple entendre au début d'un
monologue des entrées en imitation par les contrebasses divisées
!) est parfaitement mise en valeur, tout comme le rythme et les qualités
dramatiques, indéniables, de l'ouvrage.
La distribution est, quant, à
elle dominée par l'exceptionnel Detlev Roth dans le rôle-titre
qui frise la perfection. Le chanteur possède une très belle
voix de baryton qu'il a l'intelligence de ne jamais forcer même dans
les moments dramatiquement plus intenses - lesquels sont nombreux - , alliée
à une musicalité confondante. Déjà remarqué
l'an dernier à Strasbourg lors d'un concert où il chanta
merveilleusement des Lieder de Mahler, ce jeune artiste est certainement
au début d'une très grande carrière et pourrait marcher
sur les pas d'un Thomas Hampson, par exemple. Anja Kampe séduit
par une riche et puissante voix de soprano. Si la chanteuse est particulièrement
à l'aise dans les scènes de groupe ou dans les face-à-face,
la voix se montre un peu plus dure dans son grand air. L'engagement de
l'actrice est magnifique. Norbert Schmittberg est remarquable dans le rôle
ardu de Konrad. Voix belle et solide, il se tire sans encombres d'une écriture
tendue et d'un personnage parfois ingrat. Anna Schaer est une très
belle Gertrud, seule Marcela de Loa peine à séduire du fait
d'un timbre qui semble quelque peu usé et d'aigus difficiles.
Les rôles secondaires sont excellemment
tenus, comme toujours à Strasbourg et les choeurs signent une très
belle performance.
Au final donc, un grand succès
pour cette production qui ressuscite un ouvrage passionnant.
Pierre-Emmanuel LEPHAY
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Autres représentations :
à Strasbourg : les 8, 11, 13,
15 et 20 mars à 20 h.
à Mulhouse : 26 mars à
20 h et 28 mars à 15 h.
Lire aussi la critique
de Sophie ROUGHOL
représentation du 28 Mars 2004
à Mulhouse