UNE
SAINT BARTHELEMY MASSACREE
Etonnant Huguenots... On ne
les monte plus guère ; quand on les donne, on les charcute, on les
défigure... mais rien n'y fait : le succès est toujours au
rendez-vous.
Pour cette édition liégeoise,
l'Opéra Royal de Wallonie n'y est pas allé avec le dos de
la cuillère : 2h50 de musique, soit près d'une heure de coupures.
Et quelles coupures ! Ce n'est même pas un "best of" puisque certains
des plus beaux passages passent à la trappe : un couplet de " La
Blanche Hermine ", un de la " Chanson Huguenote " de Marcel, une grande
moitié du duo Marguerite / Raoul, le début de l'acte III
(ronde bohémienne entre autres), la totalité du duo Valentine
/ Marcel (un des sommets de la partition), une partie du septuor du duel,
la première scène de l'acte V et une partie de la seconde...
sans compter de multiples coupures dans les reprises, choeurs, cadences,
etc. Un vrai massacre.
Coupures en longueur... mais aussi
en hauteur !
Transposition de la "Blanche Hermine"
d'un ton en dessous, aigus supprimés (en particulier la célébrissime
cadence du duo de l'acte IV sur "Ah viens !" : qui songerait pourtant à
couper les "Wälse" de Siegmund ou le "Amami Alfredo" de Violetta ?).
Bref, Meyerbeer n'y retrouverait pas
ses doubles croches. "Mais de qui est-ce ?" aurait même dit Rossini.
Et pourtant, au finale, un public enchanté
et ravi se lève spontanément pour une standing ovation. Un
public surpris et heureux de cette découverte (1).
Le plus rageant, c'est que bon nombre
de ces coupures ne sont pas motivées par la volonté de limiter
la durée de l'ouvrage (ce qui serait déjà contestable
pour un théâtre qui donne sans mollir La Tétralogie
de Wagner), mais surtout pour dissimuler les faiblesses d'une distribution
insuffisante (2).
Champion toute catégorie, la
basse Branislav Jatic : où était l'équipe dirigeante
du Théâtre Royal le jour de l'audition ? Au bar du Théâtre
? Ce serait la seule explication crédible pour avoir laissé
un artiste aussi médiocre se produire sur cette scène (3).
Chantant faux, dépourvu de graves et d'aigus, incapable de vocaliser
ou même de rester en rythme, respirant trois fois par phrase, l'individu
(car on peut difficilement parler d'artiste) est responsable d'une bonne
partie des coupures mentionnées.
Si Gilles Ragon déçoit,
ce n'est pas là où on pouvait le craindre : on est loin du
chanteur incapable de finir une seule Lakmé à l'Opéra-Comique.
La voix s'est élargie tout en gardant le contre-ut et ce qui lui
reste de rôle peut même faire croire au spectateur moyen, qui
ne connaît pas l'ouvrage, que sa prestation est digne.
Or, que de libertés coupables
avec la partition, et jusque dans les détails : dès son entrée,
Raoul conclut " Quel honneur d'être admis " sur un modeste aigu qui
contraste avec les choeurs qui eux descendent. Fi des contrastes et le
chanteur d'accompagner les choeurs dans leur note grave. Ne parlons alors
même plus de la cadence déjà mentionnée.
Le timbre n'a rien de captivant, l'acteur
est gauche : que diable allait-il faire dans cette galère ?
On pouvait attendre beaucoup de la
Marguerite d'Annick Massis. Hélas et peut-être en raison de
l'absence de concurrence, la chanteuse accommode elle aussi la partition,
demeurant sur une réserve prudente. Or, il n'y a pas de colorature
efficace sans prise de risque : en restant constamment dans sa zone de
sécurité, l'artiste délivre une prestation indigne
de ses moyens réels. D'autant que la chanteuse manque naturellement
d'aura avec un timbre trop blanc et un jeu de soubrette ; le duo avec Raoul
est d'ailleurs un modèle du genre : en fait de reine de France,
on songe à une institutrice grondant un papa négligent.
Passons également sur l'Urbain
assez insipide de Marie-Belle Sandis (comme le nom l'indique, elle n'est
pas branchée en 220) qui délivre une version hybride entre
les éditions mezzo et soprano de l'ouvrage, c'est à dire
en choisissant ce qu'il y a de plus facile dans l'une et l'autre.
Nous sauverons du désastre la
Valentine de la jeune Barbara Ducret. Non que la prestation soit exceptionnelle,
mais les moyens sont là, utilisés au maximum ; et si la technique
ne suit pas toujours, on ne peut qu'être impressionné par
un engagement total au service du rôle.
Pour des raisons qui m'échappent,
Philippe Rouillon n'a pas fait la carrière qu'il méritait
(4). Les années ont un peu passé sur sa
voix, mais la prestance est certaine et le personnage se tient.
Enfin, Didier Henry fait un tabac
en Nevers, rôle pourtant sacrifié, réussissant à
créer un personnage attachant malgré quelques limites vocales
(là aussi le temps a commis son irréparable outrage).
Je ne m'attarderai pas sur la ribambelle
des nobliaux, chantés avec des bonheurs divers par la troupe locale
et manquant surtout de cohérence (il s'agit de rôles à
la fois de solistes et de choristes).
Les choeurs valent en revanche qu'on
s'y arrête : peu ou pas de ténors audibles, des sopranos aux
abonnés absents... on a l'impression que Meyerbeer a écrit
uniquement pour le registre des basses. Certes, une partie des chanteurs
intervient dans la coulisse, mais de là à paraître
à ce point inaudibles !
Comme si tout cela ne suffisait pas,
le texte est occasionnellement changé ; quant au surtitrage, il
est parfois surréaliste : sans doute une version flamande du livret
retraduite en français (5).
La direction de Jacques Lacombe est
efficace et bien dans le style : un des rares atouts musicaux de la production.
La mise en scène de Robert Fortune
est en revanche une belle réussite malgré des moyens qu'on
imagine limités. Beaux décors, superbes costumes, direction
d'acteur soignée : cette production mériterait une reprise
avec une distribution de qualité.
Un rendez-vous manqué donc.
Les
Huguenots de Metz ont amplement démontré que l'ouvrage
" se tenait " sans qu'il soit nécessaire d'avoir recours à
un plateau uniquement composé de stars, et sans le défigurer
par des coupures excessives. Encore faut-il être capable de choisir
ses chanteurs : c'est le principal reproche que nous ferons au Théâtre
Royal, tout en le remerciant d'avoir monté cet ouvrage.
Placido CARREROTTI
Notes
1. 1. Il suffisait
de prêter attention aux commentaires des spectateurs à l'entracte,
ou même entre les précipités. J'aurai une pensée
particulièrement émue pour mes deux voisins qui discutèrent
avant le lever de rideau des mérites comparés du Così
de Liège et de celui de Bruxelles avant de décider de voir
les deux et qui ne furent pas les moins enthousiastes au finale, non sans
avoir échangé des propos étonnés et louangeurs
au fil de la représentation. Les bons ouvrages transcendent les
chapelles.
2. Une partie des coupures
a été décidée après la générale
: le programme de salle n'a pas eu le temps de les mentionner dans son
édition du livret (au contraire de la suppression de la scène
1 de l'acte V décidée bien avant).
3. Et qu'on ne me parle
pas de restrictions budgétaires : l'excellent Philippe Kahn entendu
à Metz ne doit pas coûter bien cher.
4. il chantait régulièrement
les seconds rôles à l'Opéra de Paris dans les années
80 ; il eut l'honneur de faire l'inauguration du Théâtre Impérial
de Compiègne avec un saisissant Henry VIII et depuis rien
ou presque.
5. "Le voici ! C'est
mon maître ! Le voici, le voici" est rendu par "Le voilà".
"Attentifs et muets à ce signal d'alarme, dans l'ombre préparez
vos soldats et vos armes" donne quelque chose comme "Restez immobiles".