William
Christie baigne dans Rameau. Après Les
Boréades à l'Opéra de Paris, Zoroastre
qui vient de sortir chez Erato et en attendant Les Paladins la prochaine
saison au Châtelet, voici ces Indes Galantes à l'Opéra
de Zürich. William Christie a déjà participé
à plusieurs productions de cet opéra-ballet dont l'une d'elles,
à Aix-en-Provence, en 1990, mise en scène par Alfredo Arias
dans un esprit proche du cabaret, avait marqué par sa drôlerie
et son extravagance.
On retrouve dans la mise en scène/chorégraphie
de Heinz Spoerli pour l'Opéra de Zürich le même décalage,
la même folie, le même humour jouant avec les poncifs du genre,
mais toujours en finesse, sans jamais forcer le trait.
De fréquentes allusions à
l'architecture métallique de la fin du XIXe et du début du
XXe (Tour Eiffel, Grand Palais...) semblent placer l'action lors d'une
exposition universelle parisienne où les nations se succèdent
dans un tourbillon de couleurs et de mouvements. Le Prologue se déroule
sous la verrière du Grand Palais et le tableau des Incas dans une
salle d'exposition où prône un immense tableau académique
représentant Machu Pichu (et où Huascar se trouve être
un savant fou, concepteur d'une énorme machine à vapeur qui
finira par se détraquer), tandis que le tableau des Sauvages se
déroule lui en plein far-west avec grand canyon, totems, cactus,
scorpion... et calumet de la paix bien entendu ! Au milieu de cela, le
tableau du Turc généreux est celui qui se rapproche le plus
de l'univers XVIIIe avec sa perspective de toiles peintes (mais qui se
retrouvent complètement emportées par la tempête qui
anime le tableau !).
Cette mosaïque bigarrée
ne choque aucunement et se rapproche certainement des productions de l'époque
de Rameau où le public venait pour être émerveillé
par ces civilisations éloignées et étranges qu'on
ne savait alors caractériser que par les décors et les costumes
et non encore par la musique.
On sourit donc beaucoup dans cette
production grâce aussi à la chorégraphie extrêmement
inventive et souvent drôle, qui fait par exemple passer le long ballet
des fleurs sans sentiment de longueur. La qualité des danseurs joue
aussi beaucoup dans la réussite des séquences chorégraphiques.
Musicalement, nous sommes moins à
la fête, surtout du fait d'une distribution très moyenne,
pour ne pas dire plus, dont aucun chanteur ne sauve véritablement
l'autre. Certes, on sent que le style a été travaillé,
la prononciation aussi (pour certains), mais ce sont les voix qui font
souffrir, soit qu'elles sont inadéquates pour ce répertoire
(Rheinhard Mayr, Rodney Gilfry !) ou bien franchement insuffisantes (intonation,
justesse).
Seul le choeur des Arts Florissants
apporte de la satisfaction sur le plan vocal, bien que nous ayons entendu
ce superbe choeur plus rond et plus homogène par le passé.
L'orchestre " La Scintilla " est un ensemble d'instruments anciens constitué
par des musiciens de l'orchestre " moderne " de l'Opéra de Zürich,
et cela se sent bien dans plusieurs pupitres, les flûtes et les violes
par exemple ne pouvant s'empêcher d'émettre un léger
vibrato. Malgré tout, l'orchestre, fourni, fait montre d'une belle
assurance et d'une séduisante palette de couleurs.
William Christie dirige avec amour
un répertoire dans lequel il semble être de plus en plus à
l'aise et convaincant, notamment sur le plan dramatique. Sa direction est
vivante et contrastée, mais on lui reprochera un soupçon
de maniérisme parfois (certains phrasés, certaines nuances
pianissimo renforcées par un allégement soudain de l'orchestration,
comme la fin de la danse des sauvages jouée en pizzicato...).
Pierre-Emmanuel Lephay