Le choix
de l'Opéra de Montréal de terminer sa saison 2002-2003 sur
une note joyeuse était approprié après le dramatique
Rape
of Lucretia du mois d'avril. Mais l'intrigue de L'Italiana in
Algeri est tellement mince que le metteur en scène doit déployer
des trésors d'imagination pour que l'intérêt reste
soutenu jusqu'à la fin. À cet égard, la soirée
n'est qu'une demi-réussite. Les chanteurs, trop souvent laissés
à eux-mêmes, ne sont pas des comédiens convaincants.
Heureusement quelques jeux de scène à la Jean-Pierre Ponnelle
rachètent par moments ce qu'il y a d'un peu anarchique dans l'ensemble.
Sur scène, l'engagement des
chanteurs au plan dramatique est inégal. C'est Peter Strummer qui
réussit le mieux à montrer qu'il est le maître des
lieux. Danièle LeBlanc manque du tempérament nécessaire
pour lui faire face et l'on s'étonne à la fin que Mustafa
revienne avec empressement vers Elvira, Isabella n'ayant pas été
bien méchante envers lui. Patrick Malette en Haly et Phillip Addis
en Taddeo nous font parfois rire. Le jeu des autres chanteurs nous laisse
une assez faible impression.
À l'exception de Benjamin Brecher,
le plateau est plus consistant au plan vocal. Danièle LeBlanc possède
une voix homogène sur toute son étendue ; le legato est enveloppant
et l'émission vocale magnifique. Il ne lui manque que l'expressivité
pour devenir une Isabella crédible. Si vocalement Peter Strummer
manque de profondeur pour Mustafa et qu'il devient quelque peu strident
dans les aigus, il est cependant capable d'attaques en force, surtout dans
la tessiture centrale, ce qui est important pour chanter Rossini lorsqu'il
s'agit de camper un personnage bouffe. On notera aussi la prestation vocale
de Patrick Malette et de Phillip Addis, deux barytons issus de l'Atelier
lyrique de l'Opéra de Montréal, dont les carrières
sont à suivre.
Pour les deux actes, l'Opéra
de Montréal utilise un décor sobre et fonctionnel. Deux hautes
tours percées chacune d'une fenêtre et flanquées de
deux tours plus petites. Une porte de style forteresse placée au
centre est retirée pour laisser voir un moment la proue et les voiles
d'un navire et est ensuite remplacée par le grillage d'un harem.
Le chef Yannick Nézet-Séguin
insuffle à l'Orchestre Métropolitain du Grand Montréal,
dont il est le titulaire, son enthousiasme pour cette musique débordante
de gaieté. Il fait ressortir un ensemble de détails qui ne
m'étaient pas familiers, en particulier chez les bois ; cela donne
plus de scintillement à la couleur orchestrale. Comme c'est souvent
le cas à l'Opéra de Montréal, le choeur est à
la hauteur du travail de l'orchestre, soigné et brillant.
L'Opéra de Montréal arrive
maintenant à un tournant de son histoire. À la direction
artistique de la compagnie montréalaise depuis quelques mois, Bernard
Labadie s'engage dans la voie du renouvellement et du développement
et comme on ne connaît pas à Montréal les Rossini plus
sérieux, pourquoi n'y verrait-on pas Guillaume Tell ? Si
ensuite on pense élargir le répertoire français dans
la deuxième ville française du monde, comment ne pas songer
à La Juive d'Halévy qui renaît de ses cendres
à Vienne depuis quelques années, qui s'en va au Met l'an
prochain et sans doute à Paris dans quelques années ? Le
renouveau ne passe pas uniquement par la production d'oeuvres plus contemporaines,
mais aussi par la renaissance des vieux chefs-d'oeuvre oubliés.
Réal Boucher