Jeanne
d'Arc au Bûcher : voilà bien un chef-d'oeuvre de la littérature
française, un de ceux que l'on ne peut écouter sans un léger
pincement pour peu que l'on soit un tant soit peu sensible à la
poésie, la vraie, celle qui vient du coeur.
Puisant ses sources dans la chanson
populaire et les mystères médiévaux, cet oratorio
dramatique atteint sans vergogne la grandeur du théâtre antique.
Et cela, sans jamais chausser les cothurnes, avec simplicité, naïveté.
Honegger l'a proclamé haut et fort : " composer une musique d'aujourd'hui,
qui touche le coeur et l'esprit du plus large public d'aujourd'hui et de
partout ". Pari tenu !
Faisant fi de tout ce qui a été
fait jusqu'à ce jour, dans un cadre anthracite où les choeurs
charbonneux sont enfouis à mi-corps dans des tranchées amovibles,
Jean-Paul Scarpita décape texte et partition et nous livre une sublime
réflexion sur le triomphe de l'âme sur la vie.
Au lever de rideau, les braises brûlent
encore... Jeanne se relève, revêt ses habits de guerre et
l'histoire de la Pucelle d'Orléans en de saisissants flash back
peut commencer...
S'avance alors Sylvie Testud, physique
et voix d'enfant, en symbiose totale avec son héroïne. Quittant
enfin les projecteurs du cinéma pour ceux du théâtre,
cette délicate artiste incarne de manière unique une petite
fille qui est en même temps un personnage d'une grandeur surhumaine.
De l'incarnation grandiose du Prologue au pur sanglot extatique de la fin,
en passant par ce moment ineffable de l'horreur eschatologique qui nous
met tant mal à l'aise, Sylvie Testud ne cesse de nous bouleverser,
car toujours d'une simplicité absolue. Inoubliable dernier quart
d'heure avec cet insoutenable supplice qui la voit en croix !
© DR Festival de Montpellier
Le Frère Dominique d'Eric Ruff
lui donne dignement la réplique, fervent, chaleureux, sobre, simple.
Les onze scènes s'enchaînent
donc sans un temps mort, dans une théâtralité sans
excès. Pour le procès, Porcus affublé d'une rigolote
hure de cochon, soulève l'hilarité par ses propos et attitudes
absurdes. La partie de Cartes (ou le pouvoir finalement appartient aux
valets) restera aussi un morceau de bravoure avec ses acrobatiques évolutions.
Lors de l'évocation du Sacre
de Charles VII, fantomatique, majestueux, imposant, passe un alezan brûlé...
Saisissant !
Rien à jeter donc dans ce travail
d'une noirceur démoralisante ou coloré selon les épisodes,
mais qui toujours respire réflexion, intelligence, pur respect à
Claudel et Honegger.
Les solistes vocaux sont tous excellents.
Marie Devellereau donne des versets de la Vierge une interprétation
suave et céleste, Donald Litaker campe un Porcus ténorisant
à souhait et théâtralement très efficace, face
aux interventions percutantes de Vincent Le Texier.
Emmanuel Krivine enfin soulève
la masse orchestrale et chorale avec un immense souffle de vie, de passion,
de ferveur. Très belle mise en place, très belle pâte
sonore et chorale pour une oeuvre finalement très disparate.
Christian COLOMBEAU