Parmi
les différents mythes que les Français cultivent avec amour,
celui de la Pucelle d'Orléans qui sauva la France n'est pas l'un
des moins tenaces. Enseigné aux enfants des écoles dès
leur plus jeune âge, mille fois représenté à
travers les arts populaires, il a fini par atteindre et émouvoir
la nation tout entière, tout en s'éloignant, très
probablement, de la vérité historique. Revisité par
les réformistes du XIXè siècle pour aboutir à
la béatification de Jeanne juste après la première
guerre mondiale, il est devenu l'histoire codée, teintée
de merveilleux que l'on connaît aujourd'hui, et que quelques historiens
sérieux ont tenté de corriger.
C'est le côté populaire
de cette histoire que retiendra surtout Paul Claudel lorsque à la
fin des années trente, il entreprend avec Honegger et sur la demande
d'Ida Rubinstein, la rédaction d'un livret d'oratorio destiné
à un très large public. Le grand poète français
trempe alors sa plume dans ses souvenirs d'enfance, avec une certaine condescendance,
sans véritable génie me semble-t-il, et livre l'histoire
de Jeanne vue depuis son bûcher, une Jeanne infantile et déjà
au-delà du mauvais procès qu'on lui fait, objet naïf
et docile dans les mains de Dieu.
Pour quelqu'un qui reçoit cette
histoire de l'extérieur, hors contexte franco-français mais
aussi hors du contexte de la religion catholique, appelons cela le point
de vue de Sirius, le mythe se transforme en fable, au mieux. On voit poindre
le ridicule à tous les tournants, on entre difficilement dans l'émotion
ambiante, bref, l'oeuvre paraît inexportable. Il n'en va pas de même
de la superbe musique d'Honegger, âpre, serrée et en même
temps merveilleusement lyrique, concise, remarquablement efficace.
De cet oratorio - mais c'est aussi
un mélodrame, il y a deux rôles parlés : Jeanne et
Dominique - le festival de Montpellier a voulu présenter une version
scénique, et c'est une bonne idée. Le côté narratif
du livret s'y prête volontiers. Investissant le vaste plateau de
la Salle Berlioz, Jean-Paul Scarpitta propose une mise en scène
sobre et émouvante, mais qui n'évite pas certains des écueils
du texte de Claudel : les côtés les plus oniriques, les plus
mystiques, tombent rapidement dans le cliché, jusqu'à la
scène finale où Jeanne, qui tout du long s'est proclamée
fille de Dieu, en petite soeur de Jésus-Christ monte carrément
sur la croix, plutôt que sur le bûcher de Rouen.
© DR Festival de Montpellier
Au premier rang des interprètes
de cette audacieuse entreprise, on trouve la comédienne Sylvie Testud,
qui campe une Jeanne candide et attachante, jouet d'une aventure qui la
dépasse. Diction parfaite, présence remarquable, son comparse
Eric Ruf, sociétaire de la Comédie Française, tient
le beau rôle du frère Dominique, sage et protecteur. Viennent
ensuite les chanteurs : la Vierge (très belle voix de Marie Devellereau),
Marguerite et Catherine ne participent pas vraiment à la mise en
scène puisqu'elles chantent cachées du public, ce qui nuit
à leur pouvoir de communication. Le ténor Donald Litaker,
voix puissante à la prononciation française un peu approximative
et le baryton Vincent Le Texier complètent la distribution. Mais
la palme revient aux choeurs de l'Opéra National de Montpellier
et d'Angers Opéra Nantes qui par leur engagement, leur dynamisme
et la grande qualité technique de leur prestation contribuent pour
beaucoup au succès musical de ce ambitieux spectacle.
Dans la fosse, Emmanuel Krivine dirige
l'Orchestre National de Montpellier, donne le meilleur de lui-même
et réussit une excellente performance musicale.
Claude JOTTRAND