Fidèle
à sa politique, le Festival de Montpellier comble à nouveau
une lacune importante en assurant la création française des
Königskinder
de Engelbert Humperdinck et en convoquant pour l'occasion une distribution
susceptible d'offrir une nouvelle chance à cet ouvrage injustement
négligé, grâce à la publication annoncée
d'un enregistrement en CD.
Des sept opéras composés
par Humperdinck, seul Hänsel und Gretel (1893) s'est maintenu
durablement au répertoire et bénéficie d'une discographie
appréciable où de grands noms se sont illustrés. Pourtant,
Die Königskinder semblait promu à une carrière plus
prestigieuse encore : en effet, l'ouvrage, conçu dans un premier
temps sous la forme d'un mélodrame musical, reçut un accueil
extrêmement favorable à Munich où il fut représenté
en 1897. Cosima Wagner, qui était restée en relation avec
Humperdinck depuis que celui-ci avait été l'assistant de
son époux pour la création de Parsifal, l'incita à
remanier son oeuvre pour en faire un véritable opéra. Cette
deuxième mouture voit le jour à New-York, sur la scène
du Metropolitan, le 28 décembre 1910 deux semaines après
la première de La Fanciulla del west. Le succès est
considérable et la partition soulève également l'enthousiasme
de Puccini. Cependant, elle sombre rapidement dans l'oubli, malgré
quelques reprises sporadiques au cours du XXème siècle et
deux gravures discographiques restées confidentielles.
Le livret s'inspire très librement
de contes d'Andersen et de Grimm (1). L'action est centrée
autour du personnage de la Gardeuse d'oies, une orpheline élevée
dans la forêt par une sorcière acariâtre qui la retient
prisonnière par ses sortilèges. Ainsi lorsque paraît
un Prince dont elle s'éprend, elle ne peut s'enfuir avec lui. Arrive
ensuite le Ménétrier qui explique à la Sorcière
que les habitants de Hellabrunn cherchent un nouveau roi. Celle-ci lui
annonce ironiquement que règnera sur la ville qui en franchira les
portes aux douze coups de midi le lendemain. Le Ménétrier
aperçoit alors la Gardeuse d'oies et questionne la sorcière
à son sujet. Soudain, un prodige brise le maléfice et la
jeune fille délivrée part avec le Ménétrier.
Le deuxième acte nous entraîne
à Hellabrunn : le peuple réuni sur une place attend son souverain.
Dans la foule on reconnaît le Prince qui s'est fait embaucher comme
porcher. A midi, la Gardeuse d'oie, conduite par le Ménétrier,
franchit les portes de la cité et se précipite vers le Prince.
Les
habitants, furieux, s'indignent qu'une souillon et un porcher puissent
être leurs monarques et chassent les deux jeunes gens. Seuls les
gosses de la ville ont reconnu dans ce couple "les enfants royaux".
Le troisième acte nous ramène
dans la forêt. Le Ménétrier s'est réfugié
dans le repaire de la sorcière que les habitants de Hellabrunn ont
brûlée vive. Les enfants viennent lui demander de partir avec
eux à la recherche du couple royal. Paraissent alors les deux héros,
épuisés de faim et de fatigue, qui se jurent un amour éternel
avant de mourir empoisonnés par une miche de pain que la sorcière
avait confectionnée.
Sur ce livret quelque peu décousu
qui exalte la clairvoyance des enfants face à des adultes obtus,
Humperdink a composé une partition ambitieuse, aux vastes proportions
-près de trois heures de musique- dans laquelle l'influence de Wagner
se fait sentir à plus d'un titre : au premier chef, l'usage du leitmotiv
au sein d'une mélodie continue et le recours aux préludes
qui créent au début chaque acte le climat qui lui est propre.
Le traitement des choeurs au second acte n'est pas sans rappeler Die
Meistersinger, la fuite éperdue des deux héros au trois
évoque celle de Siegmund et Sieglinde tandis que l'ombre de Tristan
plane sur leur duo final où l'extase amoureuse précède
leur mort inéluctable. En dépit de ces réminiscences,
l'écriture d'Humperdinck est résolument tournée vers
l'avenir et semble annoncer celle des dernières oeuvres de Richard
Strauss.
La distribution, sans faille, se révèle
d'un très haut niveau jusque dans les seconds rôles tenus
avec justesse et conviction : citons le Marchand de balais opportuniste
de Fabrice Mantegna et le Bûcheron aux graves solides de Jaco Huijpen.
Nora Gubisch & Ofelia Sala
© Marc Ginot
Grande habituée du Festival,
Nora Gubisch sait trouver dans sa voix sombre les accents incisifs qui
lui permettent d'incarner cette Sorcière sarcastique et inquiétante
dont on regrette seulement que le rôle soit si court.
Detlev Roth interprète avec
beaucoup de sensibilité et d'émotion le Ménétrier
dont la tessiture est voisine de celle de Wolfram qu'il a également
à son répertoire.
Le timbre exquis et lumineux d'Ofelia
Sala fait merveille dans le rôle de la Gardeuse d'oies dont elle
restitue avec bonheur la fragilité et la douceur. Cette soprano
lyrique qui chante régulièrement Pamina ou Gilda est dotée
d'une belle projection qui lui permet ici d'affronter un orchestre pléthorique
même si, au premier acte, les écarts de son rôle lui
arrachent quelques aigus à la limite du cri. Sa prestation culmine
au trois dans le grand duo d'amour où elle se révèle
particulièrement bouleversante.
Jonas Kaufmann & Ofelia Sala
© Marc Ginot
Jonas Kaufmann est sans conteste l'un
des grands triomphateurs de la soirée. Ce ténor au physique
de jeune premier est déjà bien connu des mélomanes.
Membre de la troupe de l'Opéra de Zurich, il a participé
sur cette scène à de nombreuses productions dont Tannhäuser
(rôle de Walther) et Nina de Paisiello (aux côtés
de Cecilia Bartoli) sont disponibles en DVD. Son Cassio, à l'Opéra
Bastille en 2004, n'est pas passé inaperçu. Enfin il incarne
Huon de Bordeaux dans la version d'Obéron
qui vient de paraître sous la direction de Gardiner. Die Königskinder
lui offre un rôle à la mesure de ses beaux moyens. Sa voix
de ténor lyrique, aux accents virils exerce une séduction
immédiate et le timbre, égal sur toute la tessiture est capable
de vaillance tout autant que de suavité sans une once de mièvrerie.
Autant de qualités qui font de lui l'incarnation idéale du
prince de conte de fée.
© Marc Ginot
L'autre atout maître de ce concert
est Armin Jordan qui porte à bouts de bras cette partition qu'il
dirige avec fougue et conviction, à la tête d'un Orchestre
National de Montpellier dont il sait tirer le meilleur, comme en témoignent
notamment les superbes interludes orchestraux. L'excellent Choeur de la
radio lettone offre une prestation à la hauteur de celles qu'ils
ont données les années précédentes. Mention
spéciale pour le choeur d'enfants Opéra Junior et sa soliste
Nelly Lawson qui nous a gratifiés d'interventions délicatement
poétiques.
Nul doute que l'enregistrement discographique
annoncé surclassera sans peine les deux versions qui existent déjà,
malgré la présence d'Hermann Prey et Helen Donath dans celle
de Wallberg (EMI), disqualifiée par un ténor bien falot.
Christian PETER
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Note
(1) La Gardeuse d'oies de Grimm
et La Princesse et le Porcher d'Andersen, notamment.