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PARIS
05/02/2008
Anne Schwanewilms (credit: Johanna Peine)
Richard WAGNER (1813 – 1883)
Lohengrin
Opéra romantique en 3 actes
Poème de Richard Wagner
Créé à Weimar, le 28 août 1850
Lohengrin, Klaus Florian Vogt
Elsa von Brabant, Anne Schwanewilms
Friedrich von Telramund, Eike Wilm Schulte
Ortrud, Marianne Cornetti
Le roi, Heinrich Ronnie Johansen
Le héraut, Geert Smits
Orchestre Philharmonique de la Radio Néerlandaise
Chœur de la Radio Néerlandaise
Udo Mehrpohl, chef de chœur
Jaap van Zweden, direction
version de concert
Salle Pleyel, Paris, le 5 février 2008, 20h
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La revanche d’une blonde
C’est un Lohengrin inhabituel que vient de proposer la Salle Pleyel,
inhabituel non parce que présenté en version de concert -
la pratique est désormais passée dans les mœurs et
Wagner n’échappe plus à la règle –
mais inhabituel parce qu’interprété de
manière originale.
L’œuvre est souvent considérée comme un opéra de transition, entre Tannhäuser et Tristan.
La partition, tout en adoptant une structure à numéros,
porte en elle le germe des drames lyriques à venir.
L’orchestre ne se trouve pas encore investi d’une fonction
narrative mais, à défaut d’éloquence,
possède déjà l’essentiel du vocabulaire. Il
commente peu ; il préfère illustrer,
s’épancher en un flot de sonorités qui,
inédites à l’époque, impressionnèrent
l’auditeur. Plus d’un siècle et demi après,
elles continuent d’émerveiller, à condition que le
chef se révèle capable d’en exprimer le
foisonnement.
Au premier abord, Jaap van Zweden, chef principal et directeur artistique de l’Orchestre Philharmonique de la Radio Néerlandaise,
ne fait pas l’effet d’une révélation. De la
lumière bleu-argent qui selon Thomas Mann nimbe le
prélude, on perçoit mieux le safre que le scintillement.
Puis vite on révise son jugement. Dès
l’entrée du héraut, le son se diapre et prend de
l’ampleur – trop presque pour les spectateurs des premiers
rangs .La disposition des cuivres répartis de part et
d’autre au dessus de la scène ajoute au relief. Le chef
devient alors architecte plus que simple coloriste, bâtisseur de
cathédrale même si l’on s’en remet à la
foi qui l’anime. Les chœurs, excellents, apportent leur
pierre à la religiosité de l’édifice ;
ils témoignent de la même ferveur. Evidemment,
l’interprétation perd en romantisme ce qu’elle gagne
en mysticisme ; c’est en ce sens qu’on la qualifiait
plus haut d’inhabituelle. Elle surprend donc mais elle n’en
est pas moins captivante. Le public ne s’y trompe pas, lui qui,
une fois le concert terminé, se lève pour applaudir
à tout rompre malgré l’heure tardive (minuit et
demi en pleine semaine, une gageure !).
Lohengrin,
opéra de transition mais aussi opéra d’opposition,
vaste champ de bataille entre le bien et le mal,
représenté par les deux couples, Elsa et Lohengrin
d’un côté, Ortrud et Telramund de l’autre. Au
delà du manichéisme, s’affrontent également
l’homme et la femme, le divin et l’humain. Bref ça
castagne sec pour qu’à l’arrivée, triomphe
toujours la même : Ortrud, qui, même si elle ne
s’empare pas de la couronne du Brabant, parvient à
anéantir sa rivale. Ortrud, premier des grands monstres
wagnériens. Plus tard viendront Fricka, Hagen, Klingsor,
Kundry… Ortrud à laquelle Richard Wagner réserve
la plus large palette de sentiments, du charme insidieux à la
fureur sauvage, et l’écriture la plus moderne (quand Elsa
au contraire renvoie plus d’une fois vers le passé en
faisant songer à Agathe dans Le Freischütz).
Marianne Cornetti
se montre un peu dépassée par l’ampleur de la
tâche. Ce n’est pas une question de tempérament,
elle n’en manque pas (on se souvient encore de son Azucena
volcanique à Parme.
Ce n’est pas une question de vocalité ; elle
possède l’étendue du rôle et, malgré
un large vibrato, ses
origines latines lui confèrent une souplesse et une chaleur
originales mais bienvenues. C’est plus une question
d’interprétation, sa façon de présenter le
personnage d’un bloc, comme une virago quand le caractère
d’Ortrud s’affirme autrement complexe.
Le Telramund d’Eike Wilm Schulte
pêche par le même manque d’ambigüité. La
voix ne se laisse jamais prendre en défaut, malgré les
tensions et les violences de la partition. Mais sa vaillance,
inébranlable, modifie le visage du mari d’Ortrud. Pas de
murmures enragés, de chuintements, de grognements
maléfiques mais une efficacité à tout crin
couplée d’une franchise déconcertante qui
brouillent un peu les cartes.
Avec Klaus Florian Vogt,
étoile montante du chant wagnérien applaudie
l’été dernier à Bayreuth, on retrouve le
qualificatif d’inhabituel qu’on employait tout à
l’heure. Si Lohengrin, contrairement à certaines
idées reçues, ne se pose pas en heldentenor,
on a néanmoins dans l’oreille une certaine bravoure. Klaus
Florian Vogt, par la pureté du timbre et la hauteur de
l’émission, évoque plus Tamino, voire
l’Evangéliste de La Passion selon Saint-Jean,
qu’un preux chevalier. Peu de métal donc mais un
angélisme qui rend miraculeux « num sei bedankt, mein
lieber Schwan », l’air d’entrée au
premier acte, et « In fernem Land », les adieux
du troisième. Pour le reste, on préfère davantage
de virilité.
On n’émet aucune réserve en revanche sur Anne Schwanewilms que certains parisiens avaient déjà pu découvrir en Maréchale
à l’Opéra de Paris et dont le chant, subjugue
d’un bout à l’autre de la soirée. L’air
d’entrée « Einsam in trüben
Tagen », exhalé comme on l’attend, met en
valeur la longueur du souffle et la beauté de la voix. Elle
n’est d’ailleurs pas sans rappeler, par sa caresse, sa
pulpe et ses sons flûtés, celle de Margaret Price. Lors du
duo avec Ortrud et encore plus avec Lohengrin, la soprano allemande
sait se départir de cette douceur céleste pour trouver
l’âpre assurance qu’exige la situation.
L’expression est non seulement vocale mais aussi physique. Le
regard, la grâce, la noblesse du geste et de l’attitude,
tout signifie pour, finalement, composer une Elsa idéale,
incarnée, à l’opposé de la blonde aux deux
tresses qu’on pourrait avoir à l’esprit, une Elsa
révélée donc qui pour une fois, n’en
déplaise à Ortrud, emporte la partie.
Christophe RIZOUD
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