Au physique, pour ceux qui ne l'ont
jamais vue en scène, Felicity Lott a tout d'une Anglaise : la taille,
l'allure bourgeoise (robe de velours noir à bustier brodé
en première partie, elle arbore pour la seconde un fourreau de mousseline
rose bonbon décolleté de plumes d'autruche...) vite démentie
par un regard moqueur - mais le récital qu'elle proposait vendredi
soir à la Monnaie montre surtout une culture qui dépasse
de beaucoup les limites nationales, un professionnalisme exemplaire et
une façon toute simple d'être là qui vous fait adhérer
à tout ce qu'elle propose .
Prudente, la grande dame commence par
rappeler qu'on ne peut garder éternellement ses dix-sept ans ; sans
aigreur aucune, avec un charme suave, alternant rire et nostalgie, pochades
grivoises et purs moments de poésie, elle déploie son programme
dans un bonheur parfait, un évident plaisir du chant.
Très hétéroclite
à première vue, l'affiche de son récital balaie les
siècles et les cultures ; de Haydn ou Mozart à Kurt Weill,
en passant par Duparc et Poulenc, tout un pan de mélodies anglaises
et quelques lieder allemands en bonne et du forme. C'est que la
trame du récital se trouve non pas dans la musique mais dans les
textes : autant de portraits de femmes glanés dans les littératures
allemande, française ou anglaise, femmes vertueuses, provocantes
ou déchues, passionnées ou résignées, femmes
mûres ou tendrons, mais toutes profondément femmes, en proie
à l'infinie diversité des sentiments humains. Cette manière
originale et cohérente de composer un programme permet à
la soprano anglaise d'explorer des contrées qui lui sont sans doute
moins familières, comme par exemple l'expressionnisme allemand ;
parcours néanmoins jalonné de nombreux repères connus,
choisis dans le vaste répertoire qu'elle a conquis au fil des ans.
Certes la voix avoue timidement l'épreuve
du temps, se montre un peu vulnérable dans Strauss et laisse passer
quelques couleurs plus ternes dans le registre grave; on ne peut pas fêter
trente années de carrière sans avoir un peu vécu.
Mais ces réserves sont si peu de chose à côté
d'un métier parfaitement maîtrisé, d'un sens aigu du
texte et de la scène, de l'évident plaisir d'être là
et de chanter. Et quelle poésie. Quel humour !
La prononciation est parfaite, en anglais,
bien sûr, mais aussi en allemand et surtout en français, une
langue qu'elle aime manifestement, et dont elle déguste chaque syllabe
avec délices. A chaque texte elle donne sens, sollicitant la partition
avec force imagination et esprit d'à propos, captivant un public
conquis d'avance.
Au piano, Graham Johnson se montre
un complice très attentif et très sûr. Mais ce partenaire
qu'elle domine d'une tête, Felicity Lott ne lui demande jamais de
se mettre en avant. Ils se connaissent depuis leurs études au conservatoire,
s'entendent à merveille, ont parcouru la terre ensemble, mais en
scène, c'est elle qui mène la barque, même si les gens
bien informés vous expliqueront que c'est lui qui choisit le répertoire
et compose les programmes. Le duo respire d'ailleurs l'équilibre,
même si on pourrait souhaiter chez le pianiste une plus grande variété
de style, des couleurs plus contrastées, un peu moins de flegme.
Et si, lorsqu'en bis elle chante
"mon Dieu, que les hommes sont bêtes" en lorgnant du côté
du piano, c'est avec la plus grande complicité et sans malice aucune.
So british !
Claude JOTTRAND
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Récital en tournée
:
Le 9 Mai 2005 au Théâtre
des Champs-Elysées (lire la critique
de Juliette Buch)
Le 6 Juin au Wigmore Hall de Londres
Le16 Juin 2005 à l'Opéra
de Lille