......
|
MARSEILLE
10/04/2007
Lucia (Patrizia Ciofi) et Enrico (Fabio Maria Capitannucci)
© Christian Dresse
Gaetano DONIZETTI (1797-1848)
LUCIA DI LAMMERMOOR
Opéra en trois actes
Livret de Salvatore Cammarano d’après le roman de Sir Walter Scott La Fiancée de Lammermoor
et la tragédie tirée du roman par Victor Ducange
Nouvelle production en coproduction avec l’Opéra de Lausanne
Mise en scène, Frédéric Bélier-Garcia
Coréalisatrice, Caroline Gonce
Décors, Jacques Gabel
Costumes, Katia Duflot
Lumières, Franck Thévenon
Lucia, Patrizia Ciofi
Edgardo, Salvatore Cordella
Enrico, Fabio Maria Capitanucci
Raimondo, Wojtek Smilek
Arturo, Sébastien Guèze
Alisa, Murielle Oger-Tomao
Normanno, Christophe Berry
Chœur de l’Opéra de Marseille
Chef du chœur, Pierre Iodice
Orchestre de l’Opéra de Marseille
Luciano Acocella
Marseille, 10 avril 2007
|
Ciofi au sommet de son art
Mission accomplie pour la direction de l’Opéra de Marseille : la nouvelle production de Lucia di Lammermoor
a comblé les attentes. Non seulement l’interprète
du rôle titre a subjugué le public par
l’intensité de son incarnation, mais l’ensemble des
prestations musicales s’est révélé
satisfaisant et la mise en scène, fidèle au livret
malgré une transposition à l’époque de la
création de l’oeuvre, dénote une recherche
pertinente sur les situations et les personnages.
Naguère Lucia à Orange, Patrizia Ciofi était
précédée à Marseille des échos de
représentations houleuses à Milan et à Barcelone.
Cette cantatrice généreuse aurait-elle abusé de
ses forces ? N’aurait-elle pas compromis
irrémédiablement son potentiel en chantant trop souvent
des rôles très lourds ? Rassurons ses nombreux
admirateurs : la Patrizia Ciofi entendue ce 10 avril semble avoir
retrouvé la plénitude de ses moyens. La voix sonne
à nouveau dans toute sa fraîcheur, exempte du moindre
voile, et les aigus, loin d’être des cris douloureux qui se
brisent, ont la netteté voulue. Les moindres nuances du
sentiment colorent les volutes charmeuses d’un instrument ductile
à souhait. Sous nos yeux, le personnage palpite et se
débat, revêtu des élégantes toilettes
conçues par Katia Duflot, de la robe corail de l’amoureuse
dans sa première scène à la robe de noces de forme
princesse, en passant par le déshabillé pudique ou les
dessous vaporeux. L’interprétation allie pathétique
et sobriété, dans un équilibre délicat qui
repousse le vérisme, ici hors de propos. C’est très
beau.
Raimondo (Wojtek Smilek), Lucia & choeur
© Christian Dresse
Peut-on
voir là l’influence de Frédéric
Bélier-Garcia ? Ce metteur en scène de
théâtre, auteur d’un Don Giovanni
particulièrement intense en 2005, aborde l’opéra
avec son expérience de l’analyse des situations. Il en
découle une approche de Lucia qui, sans être
révolutionnaire, réussit la gageure d’introduire un
frémissement dans la convention. Ainsi sa robe rouge est un
signe qu’elle n’est plus en proie à la tristesse,
contrairement à ce que répètent le chapelain et
son frère. Mais s’ils semblent ne pas voir ce qui
dément avec éclat leurs affirmations, est-ce leur
indifférence aux désirs de la jeune fille qui les aveugle
ou leur obsession de pouvoir ? Evidemment on n’en saura
rien, mais la question est posée et enrichit l’approche
d’une œuvre que l’on croyait rabâchée.
De même l’apparition de Lucia au troisième acte,
après le drame, surprend agréablement : sa robe de
mariée n’est pas le sempiternel vêtement
dégouttant de sang ; seules quelques traces au bas de la
robe suggèrent que ses bords ont trempé dans le sang
présent sur le sol. Est-elle restée figée
près du cadavre ? Ou a-t-elle dû l’enjamber ?
Mais voilà qu’elle arrache sa robe et ses dessous
vaporeux, eux, sont ensanglantés. Quel est ce sang ? Celui
d’Arturo ? Ou celui de Lucia, violée encore
revêtue de sa robe nuptiale? Est-ce cette violence insupportable
qui l’a poussée au meurtre ? Là encore il
n’y a pas de réponse, mais on voit comment l’oeuvre
est sondée et ce que le spectacle y gagne. De façon
générale, comme c’était le cas pour Don Giovanni,
cette production ne sacrifie rien de la complexité des enjeux
tout en restant limpide, la transparence n’empêchant pas la
profondeur.
Lucia (Patrizia Ciofi) et Edgardo (Salvatore Cordella)
© Christian Dresse
Le décor est un lieu unique, demi-cercle bordé
d’arbres partiellement dépouillés (en projection)
qui, au moyen de précipités, d’accessoires et
d’éclairages passe du statut de clairière
destinée à l’entraînement militaire à
celui de fontaine abandonnée, puis à celui de salon
intérieur avant de devenir cimetière. Du fond une
passerelle oblique tour à tour escalier, ponton, plate-forme,
met en valeur les numéros de protagonistes (duo Lucia-Edgardo,
début de la folie de Lucia) et détermine deux espaces. Le
sol est jonché de feuilles mortes jusqu’à
l’avant-scène. Ce dispositif, ressemblant à
d’autres déjà vus, est-il bien fondé ?
Il contraint parfois les partenaires à des acrobaties peu
convaincantes. C’est à notre avis le point faible du
spectacle.
Mais c’est bien le seul. Au risque de nous répéter,
la distribution est remarquable. Outre Patrizia Ciofi, sur laquelle
nous ne reviendrons pas, Salvatore Cordella lui donne en Edgardo une
réplique honorable. Une fois oubliées quelques
coquetteries avec la justesse, il compose un personnage noble et
nuancé, comme son chant, et assume crânement les passages
ardus en voix mixte. Son lamento
final mêle avec succès contrôle et émotion.
Les deux autres ténors sont également dignes de
compliments ; grâce à Christophe Berry, Normanno
échappe pour une fois à l’anonymat.
Sébastien Guèze, un peu desservi – paradoxalement
– par un physique juvénile et avenant auquel on associe
guère la brutalité, prête son timbre lyrique
à Arturo. On souhaite qu’il résiste à la
tentation de grossir sa voix. Quant à Alisa, Murielle Oger-Tomao
lui confère une stature et une séduction aussi bien
physiques que vocales qui changent agréablement des matrones
parfois employées.
Le mauvais frère de Lucia est le baryton Fabio Maria
Capitanucci. Déjà remarqué à Pesaro dans
Rossini, on le découvre avec plaisir dans cette prise de
rôle ; la clarté de la diction, la netteté de
l’émission et la couleur sombre de la voix en font un
interprète des plus convaincants, qu’un physique imposant
rend tout à fait crédible dans son emportement
obsessionnel. Son chapelain est incarné par Wojtek Smilek avec
son autorité et sa maîtrise coutumières ; il
fait évoluer le personnage de l’intransigeance au
désarroi très efficacement. Seul regret, un italien
parfois un peu relâché.
Pas de réserve en revanche pour le chœur,
particulièrement applaudi. Et, cerise sur le gâteau, un
orchestre qui non seulement a réagi avec docilité aux
sollicitations de Luciano Acocella, mais encore l’a applaudi
à la fin ! Manifestement l’époux de Patrizia
Ciofi a su mettre dans sa poche la phalange redoutée. Il livre
une version à la fois nerveuse et équilibrée dans
ses contrastes entre dynamisme et cantabile
qui épouse parfaitement le rythme du drame.
Particulièrement attentif aux chanteurs, il met le plateau dans
les meilleures conditions pour assurer une représentation
particulièrement homogène. Cela lui vaut un beau
succès au rideau final, comme à tous les artistes, en
particulier Edgardo et Enrico, le triomphe personnel de Lucia la
mettant hors concours.
|
|