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PARIS
29/06/2007
Letitia Singleton et Bartolomiej Misiuda
© Opéra national de Paris / Cosimo Mirco Magliocca
Benjamin Britten (1913-1976)
LE VIOL DE LUCRÈCE
opéra en 2 actes
livret de Ronald Duncan
d’après André Obey
Mise en scène : Stephen Taylor
Décors : Laurent Peduzzi
Costumes : Nathalie Prats
Eclairages : Christian Pinaud
Lucrèce : Letitia Singleton
Collatinus : Ugo Rabec
Junius : Vladimir Kapshuk
Tarquinius : Bartolomiej Misiuda
Bianca : Cornelia Oncioiu
Lucia : Elena Tsallagova
Female Chorus : Yun Jung Choi
Male Chorus : Johannes Weiss
Atelier Lyrique de l’Opéra national de Paris
Ensemble de Basse-Normandie
Direction : Neil Beardmore
Paris, Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, 29 juin 2007
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Même le plus bel amour est trop fragile
Pour supporter le poids des ombres.
Disons-le d’emblée, l’Atelier Lyrique de
l’Opéra national de Paris nous a offert une
représentation exemplaire du Viol de Lucrèce, œuvre
tout en demi-teintes qui nécessite un travail en profondeur pour
permettre d’en faire miroiter toutes les facettes. Comme à
la création, il y a ici deux distributions. Celle qu’il
nous a été donné de voir, réunie pour une
relativement courte durée et formée de jeunes chanteurs
venus des quatre coins du monde, y fait merveille. Chacun, qui le plus
souvent a déjà une carrière naissante, s’est
intégré avec bonheur dans l’aventure, et s’y
sent totalement concerné. Musicalité et justesse sont
parfaites, les voix sont globalement belles et s’accordent bien
– même si certaines sont trop fortes pour ce petit
théâtre –, et l’art de la scène
paraît déjà bien maîtrisé.
L’œuvre pourtant n’est pas facile. Tout s’y
déroule de manière implacable, et n’offre que peu
d’échappatoires. Et même l’orchestration fine
et précise de cet opéra de chambre nécessite douze
exécutants de grande qualité. Lorsque Britten demande en
1946 à son ami Ronald Duncan, qui avait déjà
travaillé sur son premier opéra Peter Grimes,
un livret sur le thème du Viol de Lucrèce, la question du
pacifisme était bien évidemment sous-jacente. Mais le
musicien a été visiblement fasciné par
l’espèce de huis clos qui finit par étouffer (ou
exacerber ?) les sentiments. On connaît le sujet
emprunté à Tite-Live : Lucrèce, qui se
présente comme le parangon des épouses
fidèles, est violée par le Romain Tarquinius que sa
vertu a excité. Elle se donne la mort au moment où son
mari, de retour, souhaite avant tout la consoler.
Elena Tsallagova, Letitia Singleton et Cornelia Oncioiu
© Opéra national de Paris / Cosimo Mirco Magliocca
Bien sûr, sans bouder son plaisir, on peut facilement trouver que
tel élément aurait pu être traité
différemment, ou que tel autre aurait mérité un
plus grand approfondissement. Ainsi, de prime abord, aurait-on
plutôt pensé à une certaine intemporalité,
tant le sujet est universel. Ici, le choix a été au
contraire de replacer l’action dans un cadre militaire de
l’époque de la création. De ce fait, intimisme et
compassion, constituants majeurs de l’œuvre, n’ont
plus tout à fait le même sens. Peut-être aurait-il
fallu suivre plus précisément Britten, dans son
exploitation de toutes les formes de désirs,
« l’amour réciproque et le désir
néfaste, les envies coupables et la frustration »,
auxquels s’oppose « le lyrisme de l’innocence,
le courage de la résistance et la force de la
dignité ». Car l’inquiétude de Britten,
ses interrogations sur l’emprise du sexe sont ici, comme dans
bien d’autres de ses œuvres, très présentes.
Et donc tiraillé entre son agnosticisme et sa sensibilité
imprégnée de christianisme, il en arrive à
mêler à l’œuvre des ambiguïtés qui
toutes n’ont peut-être pas été saisies, ni
donc traduites, par des interprètes un peu trop jeunes :
est-il possible de jouer Phèdre à 25 ans ?
Parmi les interprètes, on mettra en exergue tout
particulièrement Letitia Singleton, en regrettant justement son
caractère un peu trop monolithique, Bartolomiej Misiuda pour une
interprétation plus empreinte de doutes et
d’hésitations, et Johannes Weiss pour sa voix
idéalement adaptée au « male
chorus ». Mais aucun des autres membres de la troupe
n’a démérité, à un degré ou
à un autre. La direction de l’orchestre est excellente. Il
faut dire que Neil Beardmore est un bon spécialiste de
l’œuvre, qu’il a déjà dirigée
à l’opéra de Lyon, avec Nora Gubisch.
Letitia Singleton et Ugo Rabec
© Opéra national de Paris / Cosimo Mirco Magliocca
La mise en scène est particulièrement lisible, et la
direction d’acteurs efficace. Le rôle du chœur
antique (homme et femme) a notamment été très bien
vu dans ses relations avec chacun des groupes hommes / femmes en
scène. Ils ne sont en effet à aucun moment
détachés de l’action, et leur costume militaire les
met bien en situation de participation, selon la volonté du
compositeur, opposée au traditionnel « chœur
antique ». Tout au plus peut-on regretter le dispositif
scénique sur tournette de Laurent Peduzzi, un peu lourd et
d’une autre époque. Apparente facilité,
puisqu’il ménage rapidement deux espaces distincts, il
nuit paradoxalement à la fluidité de la
représentation en occupant tout l’espace central
d’une scène au demeurant petite. Des cloisons plus mobiles
auraient pu mieux convenir, en s’adaptant également
à une certaine rigueur antique. Peut-être aussi aurait-on
pu souhaiter plus de finesse dans les éclairages, chose sans
doute difficile à améliorer dans une salle à
l’équipement traditionnel.
Au total, l’œuvre a donc été fort bien
servie, par de jeunes talents qui ont l’étoffe
nécessaire pour contourner les embûches de cette
œuvre plus complexe qu’il ne paraît de prime abord.
Jean-Marcel Humbert
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