C'est à nouveau un superbe spectacle
que nous propose l'Opéra du Rhin, une maison qui favorise toujours
l'homogénéité des distributions associée à
un travail d'équipe remarquable, ce qui nous vaut le plus souvent
des productions fortes et marquantes. A celà s'ajoute une programmation
exigeante, qui permet d'entendre des ouvrages peu donnés. Ainsi,
rien que pour cette saison, après la création européenne
d'Un tramway nommé désir d'André Prévin, sont
proposés Le Prince Igor, et ce Maometto II , production qui est
la création scénique de l'ouvrage en France.
Bien des soins ont ainsi été
apportés pour cette création, tant au niveau scénique
que musical, et le résultat est très probant, on ne sent
pas le temps passer durant ces 3 heures de musique, ce, grâce, à
une direction d'orchestre très allante et dramatique, et une mise
en scène extrêmement vivante. Ce rythme soutenu durant les
2 actes est aussi dû à un certain nombre de coupures. Le chef
d'orchestre, Cyril Diedrich, s'en explique très clairement, et,
je trouve de manière plutôt convaincante, dans le programme.
Pour lui, le rythme dramatique est primordial: "Dans un enregistrement,
il serait impensable de faire quelque coupure que ce soit. Sur scène,
il faut se concentrer sur l'action, sur ce qui la fait avancer". C'est
pourquoi la plupart des reprises sont coupées, notamment celles
avec "d'innombrables vocalises "pyrotechniques" " qui constituent pour
Cyril Diedrich des reprises "superflues, d'autant qu'elles ralentissent
l'action". [ndlr: un avis qui n'est pas du tout partagé par la grande
majorité de nos rédacteurs]
Si d'un point de vue musicologique,
cette option peut choquer, il faut bien admettre que d'une part, elle est
choisie en parfaite entente avec le metteur en scène, et d'autre
part...ça marche ! Cavit, ça avance, c'est trépidant
! La direction de Cyril Diedrich est en effet très allante, sans
lourdeur, sans temps mort, mettant en exergue le formidable aspect rythmique
de cette musique. Je n'avais pas entendu depuis longtemps l'Orchestre Symphonique
de Mulhouse, et il m'a surpris par ses progrès formidables réalisés
depuis quelques années sous la direction de Cyril Diedrich justement.
Des pupitres très sûrs, une belle sonorité, du beau
travail.
Côté voix, celui qui marque
la soirée est le Maometto de Denis Sedov, qui marche sur les pas
de Samuel Ramey: même physique longiligne, même autorité
vocale, même timbre riche et corsé, même insolence des
graves et des aigus, facilité des vocalises: c'est déconcertant
! Et s'il devra peut-être travailler sa présence scénique,
nous tenons là une remarquable basse colorature qui fera certainement
les beaux jours du Festival de Pesaro ! On retrouve pratiquement les mêmes
qualités chez la mezzo Enkelejda Shkosa (déjà habituée,
elle, à Pesaro !): beauté et richesse du timbre, agilité
des vocalises offrant des aigus superbes. Côté voix aiguës,
un autre habitué de Pesaro en la personne de Stephen Mark Brown,
ténor typiquement rossinien (ah ces graves sonores et larges, miam
miam !), avec une souplesse à la vocalise peut-être moins
grande que les précédents, mais ne déméritant
nullement. Il en est un peu de même pour l'Anna d'Irini Tsirakidis,
qui semblait parfois s'économiser vocalement pour certains moments
clés, dont la superbe scène finale, où elle se montra
fort convaincante (il faut bien dire que le rôle est lourd et long).
Son engagement scénique fut par ailleurs remarquable. Bons seconds
rôles, et très beau choeur de l'Opéra du Rhin sous
la direction de Michel Capperon.
Tout comme Cyril Diedrich s'explique
dans le programme sur ses choix face à la partition, le metteur
en scène Daniel Slater fait de même dans une longue interview.
Il a en effet choisi de transposer l'action du XV° au XIX°, dans
les années 1820 précisément, ces années où
le destin de la Grèce, qui se rebellait contre les turcs, attirait
les regards de toute l'Europe (ce mouvement "inspirera" d'ailleurs les
italiens pour leur Risorgimento) Cette transposition, là encore
discutable, permet surtout d'orienter l'esthétique du spectacle
autour des grandes peintures orientalistes de cette époque, notamment
celles de Delacroix dont une superbe reproduction de La Grèce mourante
sur les ruines de Missolunghi fait office de rideau de scène, et
dont la comparaison avec le personnage d'Anna est évidente. C'est
en effet, d'après Daniel Slater, Anna le personnage principal de
cet opéra (il est vrai que, tout comme dans Boris de Moussorgsky
par exemple, ce n'est pas le personnage-titre qui occupe le plus la scène).
Cette esthétique début XIX° va des costumes, sobres et
réussis, à un décor beau et ingénieux, fait
de colonnes mouvantes selon les scènes, formant des images qui faisaient
parfois penser à la production mémorable de Giorgio Strelher
pour Simon Boccanegra à Milan sous l'ère Abbado. Très
réussis cette proue du navire de Maometto II qui pénètre
dans le Palais du premier acte, ces mats qui dépassent en fond de
scène au début du deuxième, les colonnes qui se transforment
en piliers d'église cachant des niches garnies de bougies etc. Le
tout est teinté d'un exotisme discret et de bon goût. La direction
d'acteurs est soignée, même si la gestique paraît parfois
un peu conventionnelle, et se place dans cette volonté que nous
évoquions d'action qui avance. Sur ce point, c'est très réussi.
Un spectacle remarquable donc, qui
ne peut laisser indifférent, et c'est une qualité ! C'est
surtout l'occasion d'entendre un ouvrage où Rossini fait preuve
de grandes qualités d'orchestrateur et d'une maîtrise de l'écriture
vocale superbe. Un grand chef d'oeuvre lyrique du XIXe. Merci et bravo
donc à l'Opéra du Rhin de nous l'avoir fait découvrir
dans de si belles conditions.
- Lire
la critique de Catherine Scholler -