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NEW YORK
03/02/2007
Salvatore Licitra
© Stephen Chernin
Pietro MASCAGNI
Cavalleria Rusticana
Opéra en un acte
Livret de Giovanni Targioni-Tozzetti et Guido Menasci
d’après le roman de Giovanni Verga
Turiddu – Eduardo VILLA
Santuzza – Dolora ZAJICK
Alfio – Mark DELAVAN
Mamma Lucia – Jane BUNNELL
Lola – Sandra PIQUES EDDY
Une paysanne – Linda MAYS
Ruggero LEONCAVALLO
I Pagliacci
Opéra en un prologue et deux actes
Livret du compositeur
Canio – Salvatore LICITRA
Nedda – Krassimira STOYANOVA
Tonio – Lado ATANELI
Beppe – Tony STEVENSON
Silvio – Russel BRAUN
Des villageois – Joseph PARISO et David LOWE
Direction musicale – Marco ARMILIATO
Production – Franco ZEFFIRELLI
Direction de scène – Gina LAPINSKI
Décors et costumes – Franco ZEFFIRELLI
Orchestre et Chœurs du Metropolitan Opera
New York, Metropolitan Opera, 3 février 2007
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Luxueuse routine
663ème Cavalleria Rusticana et 703ème Paillasse
de l’histoire au Met ! C’est dire que les chanteurs de
ce soir s’inscrivent dans la longue tradition du Lincoln center,
dans des rôles qu’ont illustrés, entre autres,
Caruso, Domingo, Milnes, et j’en passe. Plus
précisément, un bon nombre de ces 663 et 703
soirées ont été assurées par cette
production zeffirellienne qui accuse désormais 37 ans
d’âge. 37 ans, vous me direz, c’est la force et la
plénitude de l’âge adulte ; je sais de quoi je
parle (!). Mais pour une production d’opéra, quand
même… Alors, comment susciter la curiosité du
public, à part en mettant sur scène cracheurs de feu et
animaux presque dignes du zoo du Bronx ?
Par exemple en proposant les débuts de Salvatore Licitra en
Canio et en lui confiant même - les 26 janvier et 7
février - le soin de chanter Turiddu pour pallier les
défaillances de ses collègues malades (1). Le 3 février, pas de chance, Eduardo Villa se portait bien.
Un mot encore de la production. Couchers de soleil dégoulinants,
charrette et tissus siciliens, église pittoresque (2),
linge au fenêtre, animaux donc, tout y est. Des clichés,
à tous les sens du terme, de luxe mais qui ont assez bien
vieilli. On frôle souvent le « too much »
sans sombrer dans le ridicule. Peut-on même suggérer, au
cas où des reprises seraient envisagées, d’ajouter
quelques vieux siciliens devisant sur la place de
l’église, ou quelques maffieux locaux à lunettes et
chaîne en or, pour moderniser un peu le tout !
Le drame de Mascagni, d’abord, bénéficie d’un
(un seul ?) atout dans une distribution à 100 %
américaine : la présence de Dolora Zajick en
Santuzza. 20 ans après ses débuts au Met, dans Azucena,
la mezzo native de Salem dans l’Oregon, conserve des moyens
vocaux impressionnants, qu’elle sait aussi moduler pour de
très beaux moments de musique. Certes, son couple avec Turiddu
ne fonctionne pas, surtout à cause du manque de
crédibilité des deux chanteurs qui n’ont pas
vraiment le physique de deux jeunes premiers. Mais là où
la prestation de Zajick force le respect et appelle même un
début de standing ovation au moment des saluts, celle de son
ténor de partenaire soulève de nombreuses
réserves. La « sicilienne »
interprétée depuis la coulisse laisse plutôt bien
présager de la suite. Mais l’émission est ensuite
forcée et le timbre pas particulièrement
séduisant. Quant à son jeu sur scène, il est
réduit à sa plus simple expression. Rien ne justifie que
Lola et Santuzza se passionnent pour ce lourdaud provincial.
Le reste de la distribution est au diapason. Marck Delavan,
habitué du New York City Opera, campe un Alfio bien frustre, qui
certes fait claquer le fouet (et encore)… mais avec des aigus
vraiment tendus. Bonne nouvelle : M. Delavan a manifestement
décidé de faire toute sa carrière aux Etats-Unis,
à quelques rares exceptions bavaroises près. Pourvu que
cela dure.
Dernière note négative : l’ensemble des
chanteurs et les chœurs, parlent un étrange sabir à
peu près incompréhensible, ce que n’explique
évidemment pas les quelques sicilianismes du livret.
Au total, une Cavalleria rusticana que la grande Dolora Zajick vient sauver de la médiocrité.
Heureusement pour la soirée, le meilleur vient après
l’entracte – au cours duquel on peut admirer une jolie expo
des bijoux réalisés par Swarovsky pour Maria Callas. La
mise en scène des Pagliacci est bien différente de celle que le même Zeffirelli a mis à jour pour Los Angeles, Washington et Londres, après avoir réalisé en 1981 un film bien connu. Comme avec Cavalleria, on est dans la pure tradition.
Chanté devant le rideau de scène astucieusement
éclairé, le prologue permet à Lado Ataneli, dont
on connaît la voix très saine, de démontrer une
bonne forme vocale, malgré – en deuxième partie
d’air - un la bémol et le sol conclusif un peu brefs. Mais
sa présence sur scène emporte la conviction :
Ataneli campe un parfait méchant, vil et lâche, bossu et
dégingandé, à l’air hagard dès que
Nedda paraît. Il faut dire que Nedda est incarnée par
Krassimira Stoyanova. Le rôle est sans doute à la limite
de ce que la soprano bulgare peut aujourd’hui accepter, sa
vocalité me semblant davantage correspondre à Mimi ou
même à Violetta, qu’elle reviendra
interpréter à New York le mois prochain. Mais son timbre
est très beau et elle chante avec beaucoup de goût.
Venons-en au héros de la soirée, le ténor
Salvatore Licitra. Né en Suisse de parents siciliens, en 1968,
ses débuts en Canio sont indéniablement réussis et
la critique, ô combien pertinente, de Forum Opéra sur les
débuts de la Netrebko en Elvira
(pour ceux qui – honte à eux – ne l’aurait pas
encore lue, l’idée était qu’Anna Netrebko
aurait pu faire une Elvira magnifique au Met… si elle avait
travaillé le rôle, en le rodant par exemple dans des
théâtres de moindre envergure), ne peut pas être
appliquée à Licitra. C’est un patron de troupe
jeune, plein d’élan, dès l’annonce du
spectacle vespéral (« A ventitre ore »),
mais aussi plein d’autorité et de fierté. Nedda
sait à quoi s’en tenir, lorsque Canio annonce qu’il
ne faut pas plaisanter avec lui (« Un tal gioco, credetemi,
è meglio non giocarlo con me, miei cari »).
Vocalement, le contraste avec le pauvre E. Villa joue à plein.
La voix de Licitra est bien projetée dans l’immense
enceinte du Met et son « Vesti la giubba » est
très musical – trop peut-être ? L’accueil
du public manque d’enthousiasme. Certaines réserves sur la
voix de Licitra peuvent au demeurant être formulées :
certaines notes, dans le haut médium, sont presque toujours
détimbrées. Mais son Canio est très engagé
et jamais excessif. Dans une interview au Met (3),
il souligne que le danger qui guette tout ténor se frottant au
rôle est de « céder à la
musique » et de « pousser ». Il a
parfaitement maîtrisé le risque. « La commedia
è finita » fait même passer le frisson dans la
salle.
Le reste de la distribution est honorable, avec une mention pour le baryton canadien Russell Braun en Silvio.
Marco Armiliato est à la baguette. Il fournit aux chanteurs un
tapis sonore appréciable, dans une lecture pépère,
qui n’exclut pas quelques beaux moments salués par le
public, évidemment dans les deux intermezzi.
Zajick avant tout, Licitra ensuite, sont les deux triomphateurs
d’une soirée de routine pour les New Yorkais… Une
routine bien luxueuse.
Jean-Philippe THIELLAY
(1)
Thomas Salignac, Frederick Jagel, Kurt Baum, Plácido Domingo et
Ermanno Mauro avaient déjà réussi, au Met, dans le
passé cette performance d’enchaîner les deux
rôles.
(2) Enna ? Piazza Armerina ? Je dirais Raguse.
(3) que l’on peut consulter, dans un anglais … abordable, ici :
http://www.metoperafamily.org/metopera/news/interviews/salvatore.aspx
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