Et
voilà pourquoi la critique est muette !
Les amis de l'opéra français
que nous sommes ne saurons trop louer l'association "La
Clef des Chants" d'avoir permis la résurrection de cet ouvrage
quasiment oublié de Charles Gounod.
Composé presque en même
temps que Faust, ce Médecin malgré lui nous
permet en effet de découvrir une facette inconnue d'un compositeur
plutôt réputé pour son sérieux.
L'ouvrage tranche sur la production
habituelle d'opéra-comiques. Certes, l'argument est typique du genre
(1), mais le traitement de Barbier et Carré est
très respectueux de l'oeuvre originale : coups de bâton, grivoiseries
sont autant d'éléments d'un humour anachronique, assez éloigné
de cette légèreté affectée caractéristique
de ce répertoire.
Musicalement, ce n'est pas le charme
spontané d'un Auber, ni ces mélodies qu'on retient dès
la première écoute telles qu'en compose Adolphe Adam, ni
encore l'énergie et la folie d'un Offenbach. La musique de Gounod
est plus recherchée et complexe, d'un humour plus fin (avec des
clins d'oeil à Lully qui composa pour Molière). On admirera
son inspiration mélodique, jamais vulgaire, son orchestration soignée
: les airs de Léandre auraient ainsi tout à fait leur place
dans une oeuvre "sérieuse" ; seul l'ensemble "Un médecin
est un devin" (2) (à l'acte II), renoue véritablement
avec le style bouffe : il sera d'ailleurs repris deux fois en bis au rideau
final.
Un tel ouvrage exige une ribambelle
de chanteurs-acteurs et, compte tenu de ses moyens, la Clef des Chants
a plutôt eu la main heureuse : l'ensemble de la distribution se caractérise
par de véritables talents dramatiques et une très bonne prononciation
(3). De fait, signalons qu'on retrouve quasiment le texte
original de Molière.
Omniprésent, Arnaud Morzaroti
est un Sganarelle franchement impayable, à la limite de l'inquiétant
par son côté totalement disjoncté. Vocalement, les
oreilles sont à la fête : la voix est claire, sonore, étendue
sur la tessiture et la prononciation remarquable. Du grand art.
Dans le rôle un peu fade de Léandre,
Cyril Auvity chante avec délicatesse et musicalité, et un
timbre chaleureux ; on peut regretter toutefois une technique qui abuse
un peu de la voix "mixée", mais il est vrai que la tessiture est
plutôt tendue.
Entendu récemment à Compiègne
dans Noé, Matthieu Lécroart
doit se contenter d'un rôle limité en termes d'intervention
musicale. Sans surprise, le baryton se révèle vocalement
impeccable ; plus étonnamment compte tenu de son âge relativement
jeune, sa composition de vieux barbon tient remarquablement la route.
L'épouse de Sganarelle, Martine
(qui ne chante pratiquement qu'au premier acte), est incarnée par
le mezzo Christiane Tocci, bonne actrice et bien chantante, à laquelle
on ne reprochera qu'une diction pas toujours très claire et un peu
nasale.
La nourrice de Karine Godefroy déploie
une voix d'une certaine puissance, avec quelques beaux aigus, malgré
une technique pas toujours très pure. Sans doute une artiste à
suivre compte tenu de sa jeunesse.
Des deux valets, on retiendra surtout
celui du baryton-basse Vincent Billier, le ténor Thierry Cantero
ayant plus de difficultés à négocier ses aigus.
Citons enfin pour mémoire la
Lucinde d'Isabelle Fallot, chanteuse modeste mais bonne actrice (après
tout, on lui demande essentiellement d'incarner... une muette !).
Pour cette soirée, l'Orchestre
du Grand Théâtre de Reims, qui assure la tournée nationale,
laisse la place au très correct Orchestre de Massy : si la sonorité
n'est pas exceptionnelle, l'ensemble est remarquablement en place et sans
problèmes techniques (mais peut-être s'agit-il des mêmes
solistes !).
On doit au chef d'orchestre Bruno Membrey
une grande partie de la réussite de cette soirée : les tempi
sont vifs, la direction attentive aux chanteurs. De l'excellent travail.
Véritable homme-orchestre, Alain
Germain assure mise en scène, décors, costumes, éclairage
et chorégraphie !
La scénographie est élégante,
la direction d'acteur précise et juste. Les idées comiques
abondent sans noyer l'action, Alain Germain assumant la relative vulgarité
(4) des scènes entre Sganarelle et la nourrice.
Au rideau final, un franc succès
pour cet excellent spectacle : voilà qui nous change des éternelles
"nouvelles productions" de La Flûte Enchantée !
Placido CARREROTTI
______
Notes
1. L'année précédente,
Bizet et Lecoq n'ont-ils pas chacun composé une petite merveille
sur un sujet similaire, le Docteur Miracle ?
2. En habile homme
Vous voyez comme
Il met le doigt
Au bon endroit !
La médecine
Voit et devine
Au premier coup
Le fond de tout.
C'est la science
Par excellence :
Un médecin
Est un devin
Et on recommence ad libitum :
ça c'est du livret d'opéra-comique !
3. Seul bémol,
un improbable accent québécois chez certains interprètes,
là où l'on devrait entendre un parlé campagnard.
4. Exemple, le lait
jaillissant du sein de la nourrice lorsque Sganarelle la presse contre
lui : ces paillardises auront au moins eu le mérite de réjouir
le public lycéen, présent en nombre ce soir là. Tout
est bon pour amener les nouvelles générations à l'opéra
!