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BRUXELLES
20/04/2008
© Maarten Vanden Abeele
Luigi Cherubini (1760-1842)
Médée
Opéra en trois actes, version originale française
Livret de François-Benoit Hoffman
Créé au Théâtre Feydeau, Paris, le 13 mars 1797
Direction musicale : Christophe Rousset
Mise en scène : Krzysztof Warlikowski
Video : Denis Gueguin
Décors et costumes : Malgorzata Szczesniak
Eclairages : Felice Ross
Chef des chœurs : Piers Maxim
Dramaturgie : Miron Hachenbeck
Collaboratrice artistique : Saar Magal
Maquillage, perruques et coiffures : Catherine Friedland
Médée : Nadja Michael
Jason : Kurt Streit
Néris : Ekaterina Gubanova
Créon : Philippe Rouillon
Dircé : Virginie Pochon
Première servante : Violet Serena Noorduyn
Deuxième servante : Rachel Frenkel
Les Talents Lyriques
Chœur de La Monnaie
Bruxelles, le 20 mai 2008
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Médée rock
Proposée il y a peu de temps à Toulouse dans sa version italienne habituelle, avec récitatifs, la Médée
de Cherubini était attendue à Bruxelles, car
restituée dans sa version française et
« authentique ». Côté musique,
c’est la première incursion de Christophe Rousset dans le répertoire XIXe siècle. Côté scène, on attend indubitablement Warlikowski
au tournant : lui qui conjugue si bien le scandale,
jusqu’où n’ira-t-il point avec un tel thème,
descente aux enfers d’une mère infanticide ?
Pour patienter et mettre en bouche, le rideau de scène
s’anime de projections vidéo années soixante et
« actualité heureuse », mariages chics,
enfants bien sages, dimanches en famille, et autres bonheurs de
façade sur des musiques de Paul Anka ou de Procol Harum, sous le
regard des deux enfants de Médée. Ainsi clairement
prévenus, on n’est pas surpris au lever de rideau :
Médée est de toutes époques. Pourquoi pas les sixties ? Jason, bellâtre aux dreadlocks
d’or, a réussi dans les affaires grâce à la
complicité crapuleuse de sa femme Médée ;
mais il s’agit de se ranger, et de devenir un brave bourgeois
bien sous tous rapports. Il demande en mariage une jeune et
fortunée oie blanche, Glauce, jeune fille bien propre sur elle.
Créon, le père, manage tout cela avec efficacité,
ravi de caser sa fille devant un parterre très Jours de France.
Patatras, arrive Médée, rock-star déjantée
et tatouée, arabe de surcroit, qui réclame son
dû : statut officiel, naturalisation en quelque sorte, et
enfants. D’humiliations en dérives alcooliques,
Médée se disloque, et finit par commettre le pire, le
meurtre de l’épouse puis de ses propres enfants, pied de
nez radical à ce monde de dupes.
Si l’on souscrit sans problèmes à cette vision du
mythe, la perception en est mitigée. Côté
réussite, avant tout le personnage de Médée,
auquel Warlikowski donne une force magnifique, jusqu’à sa
sortie de scène dans le silence d’une partition qui semble
renoncer devant l’indicible douleur. Une femme détestable
et touchante, campée de façon magnifique par Nadja Michael,
habitée par son rôle : une voix de mezzo puissante,
projetée, une présence scénique exceptionnelle,
passant par toutes les passions, de plus en plus hallucinée et
violente. Une prise de rôle réussie de
vérité et de vocalité, y compris dans les aigus
hurlés dans l’urgence de sa folie destructrice. A ses
côtés, le Jason de Kurt Streit
rend justice à un rôle difficile de lâche
égocentrique. Se détachent également les belles
prestations de Philippe Rouillon en Créon, et de Ekaterina Gubanova en Néris, très beau timbre.
Au chapitre des agacements, des actions
téléphonées et mille fois vues : prise
à partie du public en bourgeois complices reflétés
par de grandes glaces de fond de scène, se levant parfois pour
faire apparaître sur des gradins le
« faux » public du chœur ; allusions
un peu lourdes à la pesanteur de la religion ; abus de
néons en guise d’orages ; costumes
sur-signifiants… mais surtout, dialogues parlés
réécrits d’une plume ahurissante de nullité.
On a bien compris le message : les personnages sont
d’aujourd’hui quand ils parlent, sont d’hier, ou
plutôt intemporels comme le mythe, quand ils chantent. Sauf que
le hiatus entre tutoiement parlé et vouvoiement chanté,
entre quotidienneté parlée (et - mal -
sonorisée) et raffinement chanté, ne passe pas.
D’un « Casse-toi » sarkozien, ou
« Tu voulais cette merde et tu l’as »,
à un « Vous voyez de mes fils la mère
infortunée », il y a un fossé que la mise en
scène ne peut combler, et qui détruit par la
dérision la pertinence des épisodes chantés. Dans
une interview publiée avant les représentations
Warlikowski disait vouloir jouer à la fois sur
« la convention et le vrai » (mais la recherche
du vrai n’est-elle pas depuis longtemps une convention
théâtrale de plus…) : « Comparé
au théâtre qui sollicite prioritairement
l’intelligence, l’opéra sollicite tous les sens, sa
force est incroyable, j’ai parfois l’impression que tout le
fatras de conventions qui l’entoure ne sert qu’à
protéger le public de cette force ». D’une
grande force dans sa radicalité, la vision de Warlikowski se
piège elle-même quand elle en vient à surajouter
les signes en direction d’un public que l’on suppose a
priori conventionnel.
Reste à parler de la plus grande réussite de la soirée : une direction musicale superlative de Christophe Rousset,
dans la fosse surélevée de la Monnaie. Tendre ou
incandescent, il anime de bout en bout la partition, attentif au
moindre détail, au moindre timbre (le basson de l’air
« Ah ! Nos peines seront communes »),
attentif aussi à la progression dramatique du personnage de
Médée. De Cherubini, il valide magnifiquement le
rôle de passeur, de Glück à Beethoven.
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