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PARIS
11/04/2004
Un Messager a fait le printemps

Musique : André Messager
Texte : Benoît Duteurtre et Yves Coudray

Mise en scène : Mireille Larroche
Décors : Nicolas de Lajartre
Costumes : Danièle Barraud
Chorégraphie : Nathalie Van Parys

Sarah Vaysset et Elsa Vacquin, sopranos
Yves Coudray, ténor
Jean-Michel Ankaoua et Jean-Marc Salzman, barytons
Jean-Yves Aizic et Claude Lavoix, piano

Péniche-Opéra, le 9 avril 2004
(représentations jusqu'au 2 mai)



Unique manifestation parisienne de l'année Messager avec une représentation concertante de L'Amour masqué à l'Opéra-Comique (qui faisait légèrement redite après un concert de l'Ensemble orchestral de Paris donné voici quelques années au Théâtre des Champs-Elysées...), ce spectacle a d'abord été présenté au Théâtre de Montluçon, ville natale du compositeur et initiatrice du projet. Ecrit à deux mains par l'écrivain et journaliste Benoît Duteurtre, inlassable défenseur de l'opérette sur France-Musiques, et par le ténor et metteur en scène Yves Coudray, le texte vise avant tout à faire découvrir l'univers d'André Messager (1853-1929) à un public actuel pas forcément très familier, et pour cause, de ce répertoire naguère si populaire.

L'argument a pour point de départ une émission de radio au cours de laquelle une jeune soprano d'aujourd'hui tente de faire partager à un journaliste un brin narquois sa passion pour l'opérette (dialogue off illustré par des projections, inénarrables, de photographies d'époque et de films d'opérettes provenant des archives de l'ORTF). L'interview est interrompue par l'intervention d'un sociologue post-marxiste d'obédience sérielle (comme Benoît Duteurtre les aime bien...) qui se lance dans un réquisitoire en règle contre l'opérette, émanation périmée d'une société bourgeoise étriquée, colonialiste et nageant dans l'hypocrisie sexuelle ! La chanteuse prend la défense du genre, qui incarne pour elle le charme, l'élégance, la finesse... vertus trop peu honorées de nos jours et illustrées au suprême degré, bien entendu, par la musique de Messager, peintre infiniment subtil des variations du sentiment amoureux.

Si l'on souscrit bien volontiers, sur le fond, au discours de Duteurtre, on reste un peu perplexe devant son adaptation théâtrale, qui n'échappe ni à la facilité ("Cette musique, ce n'est quand même pas du Schoenberg ou du Boulez..." soupire le sociologue d'un air extasié) ni à une certaine lourdeur didactique. Heureusement, ces séquences alternent avec de bien plus divertissantes scènes de genre, que les auteurs ont situées dans les coulisses du Théâtre Marigny en 1928, à la veille de la création de Coup de Roulis. S'y côtoient le baryton vedette, un chanteur mûrissant, une divette aux dents longues, une débutante naïve et un dandy fortuné. On répète un morceau, on flirte, on intrigue pour décrocher un rôle... Ces menues péripéties servent de prétexte à un choix fort habile d'extraits d'oeuvres du maître, parfois parmi les moins fréquentées. Qui a souvent entendu Le Bourgeois de Calais, La Fauvette du temple, Miss Dollar ?... Toutes les facettes de l'art de Messager sont ici bien représentées, de l'opérette Belle époque (Véronique, Les P'tites Michu) à la comédie musicale de l'entre-deux-guerres (Passionnément, L'Amour masqué, Coup de roulis), en passant par les ouvrages plus "nobles", apparentés à l'opéra-comique (La Basoche, Isoline).

On a beau être un admirateur fervent de Messager, on reste médusé à l'écoute de cet éblouissant florilège : intarissable veine mélodique dont la qualité ne se dément jamais, perfection d'une écriture dont le raffinement extrême est constamment au service d'une expression juste et naturelle, à l'opposé de tout intellectualisme... On rage que seules quelques scènes de province restent aujourd'hui fidèles à ce musicien de génie. La jeune cantatrice dont les auteurs ont fait leur porte-parole explique que son amour pour l'opérette lui vient des enregistrements de sa grand-mère, en son temps une célèbre interprète de Véronique. Il faudra sans doute attendre encore une ou deux générations pour que l'oeuvre de Messager perde son image, précisément, de "musique de grand-mère"... et pour qu'un large public redécouvre, sans préjugés, son extraordinaire beauté.

Dans une mise en place efficace de Mireille Larroche, la directrice des lieux, une troupe de comédiens-chanteurs-danseurs d'une cohésion irréprochable enlève l'affaire avec un entrain communicatif. Tous font preuve, qualités essentielles ici, d'une diction parfaite et d'un talent de diseur qui leur permettent de donner toute leur saveur aux vers facétieux ou nostalgiques d'Albert Willemetz et de Sacha Guitry. Sarah Vaysset séduit par sa fraîcheur vocale et scénique, Elsa Vacquin joue les pimbêches avec esprit, Yves Coudray cabotine délicieusement, Jean-Michel Ankaoua est un jeune premier racé et Jean-Marc Salzmann campe un Monsieur Loyal plein d'autorité. Au piano, Jean-Yves Aizic et Claude Lavoix font montre d'une musicalité à la hauteur du propos, et ce n'est pas le moindre atout de ce spectacle. A ne surtout pas manquer !
 
 

Geoffroy BERTRAN
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