Un
Verdi de lumières
Nabucco de Giuseppe Verdi
est l'un des opéras phares des étés lyriques. Peu
importe ce que l'on raconte, pourvu qu'il y ait du costume, du figurant
et un beau Choeur des Hébreux. Avec ces productions de l'excès,
plus d'un théâtre lyrique a renoncé à monter
cet opéra dans ses murs. Le Stadttheater de Berne relève
pourtant le défi. Plus encore, il prend le risque de proposer vingt
représentations de ce même opéra dans sa saison. Condamnée
à la réussite, la scène bernoise a misé sur
l'art du metteur en scène roumain Pet Halmen pour cette nouvelle
production.
Pet Halmen s'empare de cette épopée
pour construire un spectacle d'une grande valeur esthétique et psychologique.
Avec son goût du beau, cultivant avec intelligence les volumes scéniques,
les éclairages spectaculaires et changeants, il raconte l'univers
infâme de Nabucco. Chez Halmen, pas de tons pastel. Ses couleurs
sont l'apparat de l'horreur. Dans ce Verdi de lumières, ses bleus,
ses rouges, ses blancs électriques dessinent les ambiances contrastées
des protagonistes.
(@Opéra de Berne)
Renonçant aux grandes masses
de figurants chères aux arènes lyriques estivales, le metteur
en scène confine son action dramatique aux symboles. Ainsi Nabucco
n'envahira plus Jérusalem, mais profanera une synagogue. Esclaves
de leur aveuglement pour le pouvoir, Nabucco comme Abigaille limitent leurs
déplacements à une petite portion de l'avant-scène,
juste mesure de leur mesquinerie, alors que Zaccaria, porteur de la sagesse,
occupera l'intégralité de la scène. Mélangeant
les époques avec les costumes, Pet Halmen n'accorde que peu d'importance
à la précision historique, privilégiant plutôt
l'aspect universel du drame du peuple juif. Ainsi peut-on voir ses Hébreux
vêtus de noir, coiffés de hauts-de-forme huit reflets, Fenena
en paletot de fourrure, Nabucco cuirassé d'or sur une redingote
Troisième Empire et les Assyriens en tenue coloniale des années
trente, vestons et pantalons d'équitation rouges, coiffés
de casques coloniaux dorés.
Malgré son caractère
d'opéra à grand spectacle, Nabucco reste une oeuvre
du chant et de la musique. L'ouverture jouée avec une lenteur extrême
laissait craindre que l'héroïsme de la partition disparaisse.
Ce n'était qu'une fausse alerte, probablement due au "timing" de
la mise en place du décor durant cette même ouverture. Par
la suite, le Berner Symphonie-Orchester n'a pas ménagé
sa vitalité sous la baguette fougueuse de Miguel Gomez-Martinez.
Si la mise en scène et les lumières de Pet Halmen en mettaient
plein la vue des spectateurs, le chant leur en a mis plein les oreilles.
Dès sa première scène,
la basse Mihail Mihaylov (Zaccaria) impressionne. Immense stature,
la voix chargée d'harmoniques, il est un grand prêtre irrésistible,
tant scéniquement que vocalement. Un régal. Depuis quelques
années dans la troupe du Stadttheater, Maria Riccarda Wesseling
(Fenena), grâce à une émission vocale exemplaire, impose
un personnage de tendresse face au ténor américain Don
Bernardini (Ismaele). Égal à lui-même, sa générosité
vocale et son beau talent d'acteur excusent sa fâcheuse tendance
aux aigus un peu trop bas.
Il y a quelques semaines sur cette
même scène, la soprano Ursula Füri-Bernhard incarnait
une lumineuse Elisabeth dans la production de Tannhäuser.
Aujourd'hui, elle est une Abigaille incendiaire. Montrant une santé
vocale époustouflante, elle aborde ce rôle avec une voix sans
limites de clarté, de puissance et de couleurs. Furie vocale, elle
galvanise la scène, forçant chacun à se surpasser.
Sa fidélité à la scène bernoise est une chance
pour la ville fédérale, cependant ses qualités vocales
lui vaudraient certainement de chanter dans des théâtres plus
importants, même si une Tosca de Puccini l'attend à
Athènes en 2004. Comme toujours, sa prestation scénique reste
malheureusement bien en-dessous de son talent de chanteuse. De plus, une
robe peu seyante peu n'avantageait pas ses gestes maladroits.
(@Opéra de Berne)
Et Nabucco ? Le baryton australien
David Wakeham donne à son personnage une couleur inhabituelle
dans la tradition du chant verdien. Sa voix engorgée, grise parfois,
ne convient pas toujours au conquérant victorieux, mais elle prend
des teintes émouvantes quand le héros se trouve confronté
à sa propre folie ou au repentir.
Le choeur du Stadttheater semble particulièrement
fier d'apporter sa contribution à cette partition. Il s'en acquitte
admirablement dans le fameux "Va pensiero". Comme un hommage à l'admirable
mise en scène de Pet Halmen, son chant est transcendé dans
un magnifique tableau où, les pèlerins surgissant de terre,
enserrés dans des camisoles de force immaculées, évoquent
le souvenir nostalgique de leur terre natale.
Jacques SCHMITT