C O N C E R T S 
 
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PARIS
25/06/04
Annette Dasch - Angelika Kirschlager
© DR
Wolfgang Amadeus MOZART

LE NOZZE DI FIGARO

Opéra en quatre actes sur un livret de Lorenzo Da Ponte

Il Conte Almaviva : Pietro SPAGNOLI
La Contessa Almaviva : Annette DASCH
Susanna : Rosemary JOSHUA
Figaro : Luca PISARONI
Cherubino : Angelika KIRCHSCHLAGER
Marcellina : Sophie PONDJICLIS
Don Basilio : Enrico FACINI
Bartolo : Antonio ABETE
Barbarina : Pauline COURTIN
Antonio : Alessandro SVAB
Don Curzio : Serge GOUBIOUD

Choeur du Théâtre des Champs-Élysées

CONCERTO KÖLN
Direction : René JACOBS

Mise en scène : Jean-Louis MARTINOTY
Décors : Hans SCHAVERNOCH
Costumes : Sylvie de SEGONZAC
Lumières : Jean KALMAN

Paris
Théâtre des Champs-Elysées,
les 15, 17, 19, 21, 23 et 25 juin 2004

(Représentation du 25 juin 2004)



MORNES NOCES
 

Les applaudissements sont plus que nourris, et les acclamations généreuses, alors que tombe le rideau sur la dernière représentation des Noces de Figaro en ce dernier vendredi de juin ; et pourtant c'est avec un certain agacement que l'on quitte la salle une fois les saluts terminés.

Lourdeur et contresens

La faute en incombe principalement à la mise en scène de Jean-Louis Martinoty, qui, en dépit d'un postulat plutôt "classique", accumule contresens et lourdeurs. Dès le lever de rideau, on est écrasé par un décor surchargé qui fatigue les yeux en même temps qu'il fait soupirer de par son symbolisme lourdingue (on notera l'omniprésence, particulièrement irritante, de bois de cerf). Les tons bruns en sont plutôt monotones et lassants, et discordent allègrement avec ceux des costumes par ailleurs quelconques, peu esthétiques aussi bien que mal déterminés -la Comtesse semble partager la garde-robe de Barberine tandis que Marcelline se pavane dans une robe qui évoquerait plutôt la Clairon de Capriccio...
Ces inadéquations s'étendent malheureusement à la direction d'acteurs. Les personnages s'agitent sur scène et brassent beaucoup d'air pour pas grand-chose, puisque aucune évolution n'est perceptible au cours de la soirée. Figaro et Susanna papillonnent d'un bout à l'autre du décor, Cherubino se comporte en ado attardé, le Comte reste un mari et patron odieux qui refuse de se mettre à genoux pour demander le pardon de son épouse ; quant à la Comtesse, sa première apparition fausse immédiatement la donne : en envoyant valser d'un geste rageur le plateau de chocolat que lui présente Susanna, Rosina se présente instantanément comme une cousine de Dorabella, jeune fille gâtée et capricieuse copinant avec sa servante pour tromper son ennui - elle dont le livret de Da Ponte fait, au contraire, une grande soeur de Fiordiligi... 

Le principal problème posé par une telle "décaractérisation" des personnages est qu'elle gomme totalement la charge politique et sociale de la pièce, transformée ainsi en une simple comédie de boulevard remplie de quiproquos à tout va et saupoudrée d'un pseudo humour plutôt vulgaire. En ce sens, le très ambigu quatrième acte est particulièrement mal géré par Martinoty, trop pressé de souligner l'aspect burlesque de la scène de confusion générale (et peu aidé par des éclairages prosaïques d'un Jean Kalman que l'on a connu par le passé bien plus inspiré), et qui rend l'action tout simplement indéchiffrable... en passant totalement à côté du sommet dramatique et émotionnel que devrait être la scène de pardon général. D'un seul coup, cette jeune Comtesse qui a passé la soirée à se comporter comme une gamine caractérielle, et que l'on s'attend à tout instant à voir gifler son Casanova à la manque de mari dans un accès d'hystérie, décide de lui demander de pardonner à ses serviteurs impertinents ; et celui-ci, aussi médusé (d'avoir été pris la main dans le sac) que raide de dépit (de n'avoir pu exercer son droit de cuissage) dans son habit d'un rouge violent, met un genou en terre, d'un geste robotique, et lui demande alors pardon à son tour. Résultat : la salle entière éclate de rire. On doute que cela ait été l'effet escompté...

Panique dans la fosse

Côté direction musicale, le constat est tout aussi mitigé. Après un Così fan Tutte d'une théâtralité anthologique, Jacobs, à la tête d'un Concerto Köln en petite forme, se fourvoie dans cette journée bien peu folle : cordes rêches, bois verts, cuivres mal dégrossis se disputent la suprématie décibelique (toute relative) dans un micmac criard (aux pics cependant curieusement rabotés) qui, pas un instant, ne semble gêner le chef, trop occupé à cravacher ses solistes -travers récemment relevé lors la reprise d'Agrippina au même Théâtre des Champs-Élysées... Pressé de finir la soirée, Jacobs ? Toujours est-il qu'il bouscule arias, ensembles et transitions et enfile à la va comme-je-te-pousse les changements de tempo de la façon la moins organique qui soit (Antonio Abete en a fait tout particulièrement les frais dans l'air de Bartolo), laissant au final une impression fort désagréable de "vite fait mal fait". Toutes les qualités (certes controversées) de son Così se muent en travers dans ces Noces, où le vivace devient précipité, l'acerbe vire à l'acide, et l'énergie se retranche dans l'agressivité brouillonne ; quant aux ornementations, elles tournent au système... Tant le spectateur que les solistes en viennent vite à manquer d'air et d'espaces de réflexion, tandis que les décalages entre scène et fosse se multiplient. Dommage, et particulièrement décevant de la part d'un chef dont on aurait pensé que son sens inné du théâtre et du drame ne pouvait que s'épanouir dans cet opéra. S'il est certain que tout artiste a droit à l'échec, celui-ci est d'autant plus cuisant que l'artiste est grand...

Cherubino débraillé

Hélas, le désappointement ne se limite pas à la fosse, la scène révélant un autre sujet d'amères lamentations : le Cherubino incroyablement décevant d'Angelika Kirchschlager, elle aussi en petite forme. Voix débraillée et hétérogène, intonation instable : on a peine à reconnaître la jeune mezzo qui avait pris pour habitude de nous éblouir avec ses travestis mozartiens et straussiens à l'Opéra de Paris. Pire encore : son interprétation est curieusement atone, dénuée d'expression et de caractère. Oubliés la fièvre adolescente, la fougue octavianesque, les assauts d'hormones et la troublante adoration pour la comtesse ; ce page-là est une peste tête à claques qui récite ses vers à grands renforts de grimaces façon mauvaise sitcom américaine du samedi soir, car non contente de bâcler l'aspect musical, la belle Autrichienne s'applique, en revanche, à en faire des tonnes sur le plan scénique, ce qui malheureusement n'arrange rien au caractère monolithique de son personnage.

Autour de ce Cherubino vulgaire et plus qu'irritant, les autres interprètes font de leur mieux pour animer des personnages de carton-pâte. Las ! Si la distribution s'avère plutôt solide, elle n'est guère passionnante. Certes, Pietro Spagnoli assure crânement sa grande scène au IIIe acte, Luca Pisaroni chante propre et joli, et les trois conspirateurs s'acquittent avec professionnalisme de leurs airs respectifs. Mais qu'ils sont  piètres acteurs ! Et surtout qu'ils sont livrés à eux-mêmes ! Seule la Susanna mutine de Rosemary Joshua parvient à égayer quelque peu la soirée grâce à un jeu tout en finesse et en espièglerie, agréablement pimenté par un chant frais et élégant ; et son Deh vieni, non tardar au IV, d'une sensibilité et d'une sobriété sans faille, aurait atteint la grâce... n'était l'intonation redoutable (et la platitude) des vents. La Comtesse d'Annette Dasch, en revanche, frise la catastrophe ; on se demande d'ailleurs de qui vient l'idée saugrenue de la distribuer dans ce rôle, tant il semble peu adapté à ses moyens vocaux actuels - registres hétérogènes, tendance à l'aigreur dans les extrêmes, et surtout un manque d'engagement émotionnel qui transforme de ses airs (déjà alanguis jusqu'au déraisonnable par les tempi mollassons du chef) des monuments d'ennui.

Ennui : c'est bien d'ailleurs le terme qui résume le mieux, en définitive, ces Noces vides de sens et de substance, privées de sel et de sève ; en un mot : bien mornes.

Après un Così bêtement gâché par une mise en scène totalement hors de propos et ces Noces en tous points frustrantes, René Jacobs doit boucler son cycle Mozart/Da Ponte en 2007 avec le redoutable Don. Croisons les doigts pour que, cette fois, les surprises soient enfin bonnes.
 
 

Mathilde BOUHON
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