Cela
faisait une quinzaine d'années que Norma n'était pas
à l'affiche à Vienne. Ajoutons à cela que la
diva se produisait devant son public et on aura compris à
quelle vitesse les billets se sont vendus. Depuis plusieurs années,
Edita Gruberova se plaint de certaines mises en scènes, de la "dictature"
à laquelle presque tous les chanteurs doivent se soumettre. Lors
de la reprise de Don Giovanni quelques jours plus tôt, elle déclarait
que la production de Zefirelli, même vieille, tenait plus la route
que certaines propositions modernes. Nous n'aurons donc pas à critiquer
de mise en scène pour aujourd'hui.
Le mélomane aimerait parfois
assister à une représentation avec une oreille vierge de
toute référence. Ceci est possible quand un théâtre
propose des raretés, mais comment assister à une représentation
de Norma sans avoir en mémoire les illustres incarnations passées
de la druidesse?
Celui qui écrit ces lignes n'est
ni un fanatique ni un contempteur d'Edita Gruberova. La soprano slovaque
possède des qualités et des défauts qui ne laissent
pas indifférents. Parmi les qualités, citons une voix d'une
intégrité miraculeuse à son âge. Ce n'est pas
manquer de respect que de rappeler qu'elle chante depuis bientôt
37 ans. Qui l'écouterait "en aveugle" ne pourrait deviner l'âge
de l'interprète. Cette intégrité nous permet de l'entendre
chanter "Casta diva" dans la tonalité originale de sol ou le duo
du deuxième acte avec Adalgisa en fa. Autre qualité : une
technique à toute épreuve l'autorisant à tenir de
longues phrases sur le souffle (Ah! padre! un prego ancor"), à émettre
des pianissimi impalpables (fin du "Casta diva", fin du "Qual cor tradisti",
"son io"...) et des vocalises brillantes. Voilà pour les qualités.
Il est juste d'aborder les défauts.
Certains maniérismes bien connus entachent le phrasé : ports
de voix (limités, heureusement), coups de glotte. Pour éviter
de poitriner et d'être accusée de froideur dans les passages
graves ou dramatiques, la diva voile son émission dans les graves
ou se met à susurrer là où d'autres chantent à
pleine voix. Elle abandonne le chant pour "parler" à 2 ou 3 reprises,
ne chante pas les trilles demandés sur "Adalgisa fia punita" et
conclut son duo avec Pollione sur une avant dernière note tellement
fausse qu'on ne peut parler de contre-mi bémol pour la désigner.
Pour synthétiser, disons que certains procédés tournent
à l'artifice systématique. C'est parfois très beau,
parfois irritant, très habile mais factice. Le personnage est-il
vraiment émouvant ?
Le Pollione de Salvatore Licitra se
défend bien, même si la voix devrait être mieux chauffée
dans son air d'entrée. L'Adalgisa de Nadia Krasteva est honorable
à défaut d'être mémorable, tout comme sa Favorite
de septembre dernier. A l'instar de Pollione avant elle, elle écrête
la partition de Bellini de tous les contre-ut qui sont pourtant écrits.
Oroveso et les choeurs sont satisfaisants. La direction de Marcello Viotti
est vive, attentive aux chanteurs, jamais vulgaire. Autant la Lucia ou
la Donna Anna de Gruberova nous avait convaincus (voir forumopera 7/11/2001),
autant sa Norma laisse une impression d'artifice. Pour l'émotion,
on préfèrera le souvenir laissé par une chanteuse
moins connue (voir forumopera 19/12/2004).
Valery FLEURQUIN