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TORONTO
21/10/2007
Acte I Le Comte Almaviva (Russell Braun) le Choeur
© COC Michael Cooper 2007
Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791 )
LE NOZZE DI FIGARO
Opéra en quatre actes
Livret de Lorenzo Da Ponte
d’après Le Mariage de Figaro de
Pierre Augustin Caron de Beaumarchais
Nouvelle production de la Canadian
Opera Company de Toronto
Direction musicale : Julia Jones
Mise en scène : Guillaume Bernardi
Décors : Morris Ertman
Costumes : Ann Curtis
Éclairages : Kevin Fraser
Chef de chœur : Sandra Horst
Chœur et Orchestre du
Canadian Opera Company
Figaro : Robert Gleadow
Susanna : Isabel Bayrakdarian
Le Comte Almaviva : Russell Braun
La Comtesse Almaviva : Jessica Muirhead
Marcellina : Megan Latham
Bartolo : Donato Di Stefano
Cherubino : Sandra Piques Eddy
Barbarina : Lisa Di Maria
Don Basilio/Don Curzio : Jonathan Green
Antonio : Andrew Stewart
Four Seasons Centre for the Performing Arts
Amphithéâtre Richard Bradshaw
Toronto, le 21 octobre 2007
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Amour et lutte de classes
En mettant les pieds dans l’Amphithéâtre Richard
Bradshaw du Four Seasons Centre for the Performing Arts (FSCPA) pour
cette représentation de Le Nozze di Figaro,
on voit sur scène un théâtre vide et on pense
aussitôt à une possibilité de mise en abyme. Le
procédé n’est pas nouveau et peut-être
carrément agaçant lorsque rien ne le justifie. Quel parti
Guillaume Bernardi
veut-il en tirer ? Il s’est expliqué sur la question dans
une émission consacrée à l’opéra sur
les ondes de la chaîne Espace Musique de Radio-Canada. Il dit
qu’une de ses sources d’inspiration pour cette production
est l’approche pirandellienne du théâtre dans le
théâtre et qu’il insiste sur
«l’éminente théâtralité de
l’œuvre». La scène se construira donc petit
à petit sous nos yeux en exposant toutes «les
transformations qui nous feront passer d’un monde à
l’autre, d’une atmosphère à
l’autre». Mine de rien on oublie vite les contraintes que
cette approche impose pour entrer de plein pieds dans le jeu des
acteurs.
Le metteur en scène apporte une contribution intéressante
à l’étude des caractères. Il exacerbe la
relation tumultueuse entre le Comte et son épouse en lui
conférant une grande force émotionnelle. Il complexifie
ce conflit au point de le rendre violent et presque insoutenable.
À la fin, le pardon demandé et accordé n’en
sera que plus émouvant. Malgré la confrontation des
classes forcément présente dans cette mise en
scène, il nous fait oublier les origines du Comte dans son
conflit avec Figaro en le rabaissant au niveau d’un simple
mortel. Cet homme ne tient plus son rang tant il est obnubilé
par son attirance pour Susanna. On aura compris que Guillaume Bernardi
en fait le principal personnage de cette production, sans toutefois
nous laisser croire qu’il néglige l’apport important
des autres protagonistes et les aspects buffa de l’opéra.
Un décor carton-pâte chambranlant et grisâtre, style
façade de théâtre de marionnettes plusieurs fois
élargi, occupe l’avant-scène pendant toute la
soirée. De chaque côté, des portes
remplacées par des grilles aux deux derniers actes. Des
changements de fonds peints figurant les différentes
pièces et quelques accessoires complètent la
scénographie. La sobriété en est le maître
mot. À titre d’exemple, un seul fauteuil occupera ce
théâtre pendant tout le troisième acte. Guillaume
Bernardi replace l’action vers la fin de l’ère
victorienne pour nous rapprocher, prétend-il, d’un monde
qui ne nous est pas coutumier et pour actualiser un peu plus la notion
de conflit des classes. Il n’est toutefois pas évident, du
fait de la transposition, que cela nous familiarise davantage avec le
concept pas plus d’ailleurs qu’avec la
réalité qu’il suppose étant donné la
distance qui nous sépare malgré tout de
l’époque choisie.
Acte II La Comtesse Almaviva (Jessica Muirhead) - Le Comte Almaviva (Russell Braun)
© COC Michael Cooper 2007
Depuis sa prestation du Comte à l’Opéra de Montréal en 2003 Russell Braun
a beaucoup accentué le côté hargneux du personnage,
son trait caractéristique en quelque sorte. Son charisme et la
qualité de sa prestation en font ici un titulaire idéal
de ce rôle riche en affects. La voix est belle et alerte, les
registres sont surs et bien soudés, la projection souple et la
caractérisation toujours aussi ardente. La conjugaison de ces
atouts donne au troisième acte un «Vedrò,
mentr’io sospiro» complètement
déchaîné avec une saisissante clarté des
trilles à la fin de l’air pour marquer la colère.
À tout seigneur tout honneur, il est le grand triomphateur de
cette représentation.
La forte personnalité de Jessica Muirhead donne
beaucoup d’intensité à sa caractérisation de
la Comtesse. Il faut noter un jeu très réussi, une
superbe ligne de chant, une bonne projection et un grand respect des
nuances. Rarement a-t-on pu entendre un «Porgi, amor» et
surtout un «Dove sono» aux déchirements aussi bien
articulés. Le Figaro de Robert Gleadow
ne déçoit pas en ce qui concerne l’engagement
scénique; de tous les protagonistes, c’est celui qui fait
le plus rire en particulier lorsqu’il feint de ne pas
reconnaître Susanna au quatrième acte et qu’il lui
présente son postérieur pour recevoir une autre
volée de coups. Bien sûr, c’est ce que veut la mise
en scène, mais la façon de jouer porte la signature du
comédien. La voix est chaleureuse, mais on ne sait pourquoi il
lui arrive d’émettre quelques très légers et
presque imperceptibles "kouacks" dans certains aigus notamment dans
«Non piu andrai»; méforme passagère sans
doute du moins espérons-le, parce qu’il s’agit
d’un jeune artiste plein de promesses. Le jeu d’Isabel Bayrakdarian
est très convaincant, mais c’est sa voix qui nous laisse
un peu perplexe. Elle est très belle, mais au delà de la
zone de passage elle s’éraille légèrement.
Curieux ce problème pour une artiste dont on dit pourtant le
plus grand bien et qui fait une carrière internationale. Comme
d’autres chanteuses, aurait-elle besoin d’un temps de repos
voire de ressourcement ? Le Cherubino de Sandra Piques Eddy rappelle d’autres chanteuses qui avant elle ont établi leurs marques dans ce rôle, notamment Frederica Von Stade.
Son jeu naturellement souple et son mezzo-soprano aux effluves
capiteuses font merveille dans les sautillements juvéniles de
«Non so piu cosa son» au premier acte et dans les
désirs amoureux de «Voi che sapete» au
deuxième.
Acte III Bartolo (Donato di Stefano) Figaro (Robert Gleadow) Marcellina (Megan Latham)
© COC Michael Cooper 2007
Barbarina (Lisa di Maria), le couple fort bien assorti Marcellina / Bartolo (Megan Latham / Donato Di Stefano) ainsi que leur complice Basilio (Jonathan Green)
sont vocalement et scéniquement très adéquats.
Notons au passage l’éclat de fureur de «La
vendetta» chanté avec passion. Les autres petits
rôles sont également bien distribués.
Le Chœur du Canadian
Opera Company, très en forme vocalement et très
sollicité dramatiquement, se voit attribuer une fonction active.
Loin de n’être que des figurants, les choristes jouent
comme les autres chanteurs, en montrant surtout leur agacement envers
le Comte toujours manifestement maussade. Venant d’eux, un geste
du pied, de la main, un haussement d’épaule, un regard
acerbe sur lui revêtent une signification nettement hostile.
Quant à Julia Jones
à la direction musicale, elle donne une lecture analytique de la
partition en soulignant de façon particulière
l’extraordinaire séduction de l’orchestre mozartien
qui se love aux moindres émotions de l’âme humaine.
Elle porte également un soin particulier à la
clarté de la ligne vocale, à l’équilibre des
masses et au raffinement des nuances. Merci pour tant
d’élégance !
Réal BOUCHER
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