Ce spectacle
est une reprise de la production créée lors de la saison
2002-2003, production dont nous avions rendu compte ici
même et que nous avions grandement appréciée.
Trois ans après, le spectacle
a gardé tout son charme, avec notamment son superbe décor
magnifiquement exploité (un cube penché, symbolisant un univers
étouffant mais s'ouvrant sur une colline verdoyante et de magnifiques
ciels ennuagés). Les climats des différents tableaux, et
surtout la distinction entre le milieu de la petite bourgeoisie provinciale
des Larina et celui de la haute société de Saint Pétersbourg,
avec entre les deux ce glaçant tableau hivernal, sont parfaitement
campés.
Mais est-ce parce que nous connaissions
déjà cette production que nous avons ressenti un certain
agacement face à quelques détails ? Ou est-ce simplement
dû à de petites modifications dans la mise en scène
?
© Alain KAISER
Nous n'avons pas retrouvé toute
la finesse de caractérisation des personnages qui nous avait enthousiasmé
à l'époque. Le jeu d'Oniéguine est ce qu'il y a de
plus agaçant : vivant tout l'opéra comme un flash-back, et
donc rongé par le remords, Oniéguine ne cesse ici de tituber
ou de se retrouver à genoux. Le systématisme des jeux de
scène est franchement lassant (voire insupportable dans la scène
de la lettre). Oniéguine perd ainsi toute distinction et toute dignité,
nul trace du dandy dans cet Oniéguine-là, d'autant plus que
le chanteur, Evgueniy Alexiev en rajoute quelque peu et manque parfois
également de classe, malgré une voix belle et solide.
Par contre, sa Tatiana est toute frémissante,
toute sensible, toute fine, toute distinguée, elle affiche surtout
une voix - typiquement slave - absolument magnifique et se distingue de
son partenaire par un chant d'un suprême raffinement. Une éblouissante
réussite d'une chanteuse à suivre, notamment à l'Opéra
du Rhin où elle sera Elisabeth dans Don Carlos, ce dont on se réjouit
grandement.
Nous retrouvons le Liensky de la création
de la production, Andrej Dunaev. A l'époque, il nous avait déçu
et nous le trouvions un peu trop léger. En trois ans, le chanteur
a acquis de l'assurance et la voix est plus corsée et puissante.
Il fait donc ici merveille et convainc amplement.
L'Olga de Karine Motyka est sympathique
et très à l'aise scéniquement mais la voix manque
de corps et surtout de graves. Parfaites sont la Larina de Doris Lamprecht
et la Niania de Zlatomira Nikolova. Dmitri Ulyanov, quant à lui,
campe un solide Grémine. Léonard Pezzino semble par contre
bien fatigué en Monsieur Triquet. Le chant manque là encore
de distinction et de classe pour un personnage qui ne doit être que
cela. Un chanteur comme Michel Sénéchal était parfait
dans cet emploi.
© Alain KAISER
Les choeurs sont vaillants et l'Orchestre
Philharmonique de Strasbourg également (malgré quelques légers
accrocs aux cors, aux violoncelles ou quelques décalages).
La direction de Kirill Karabits surprend
par ses tempi très alertes mais qui emportent totalement l'adhésion
: le frémissement amoureux des premiers tableaux, l'urgence dramatique
des suivants supporte parfaitement de tels emportements. Une grande clarté
de la texture sonore et une certaine finesse parachèvent ce travail
très intéressant.
In fine, une belle réussite
que l'Opéra du Rhin a eu raison de représenter. On espère
que cette politique de reprises nous permettra de revoir des spectacles
qui ont marqué les mémoires ces dernières années
comme Peter Grimes (mis en scène par Alfred Kirchner), Simon
Boccanegra ou encore Dialogues des Carmélites (mis en
scène par Marthe Keller).
Pierre Emmanuel LEPHAY