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TOULON
05/12/2007
Maxime Mironov © DR
Christoph Willibald Gluck (1714-1787)
Orphée et Eurydice (1774)
Drame lyrique en trois actes
Livret de Ranieri de Calzabigi adapté par Pierre-Louis Moline
Création à l’Opéra de Toulon Provence Méditerranée
Nouvelle production
Mise en scène, Numa Sadoul et Luc Londiveau
Décors et costumes, Luc Londiveau
Chorégraphie, Erick Margouet
Lumières, Marc Vellutini
Orphée : Maxim Mironov
Eurydice : Henrike Jacob
Amour : Joanna Malewski
Assistants de l’Amour : Mélanie Hren et Mickaël Bailleux
Orchestre, chœur et ballet de l’Opéra Toulon Provence Méditerranée
Direction musicale, Giuliano Carella
Toulon, le 5 décembre 2007
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Amour et désillusion
Avec la création à l’Opéra Toulon Provence Méditerranée de l’Orphée et Eurydice
de Gluck la direction de cette institution confirme sa volonté
d’enrichir une offre longtemps limitée au
XIX°siècle. En proposant un éventail ouvert du
baroque au XX°siècle elle répond à sa mission
artistique et donne à ce théâtre magnifiquement
rénové une personnalité qui fait apparaître
singulièrement coupés de la réalité les
projets récurrents visant à
« rationaliser » - c'est-à-dire
réduire - l’offre lyrique dans la région par
« concentration ».
Les puristes pourront regretter une exécution sur instruments
modernes et le diapason correspondant. Si les couleurs y ont
sûrement perdu, si l’orchestre sonne çà et
là « romantique », disons sans tarder que Giuliano Carella
obtient de ses musiciens, parmi lesquels harpe, hautbois et flûte
se distinguent, une légèreté de touche, une
netteté des accents, une cohésion des ensembles, un
dosage sonore qui font de l’exécution musicale une grande
réussite et un plaisir permanent.
Belle performance du chœur,
qui surmonte bravement l’écueil de la disposition dans les
loges d’avant-scène qui le divise et conserve
précision - un seul infime décalage – justesse et
musicalité dans les nombreuses interventions qui en font un
personnage à part entière.
Pour les personnages, celui de l’Amour est conçu comme le Deus ex machina,
ce qui biaise le livret où il n’est que le porte-parole
des Dieux et précisément celui de Jupiter. Dans
l’opéra, il intervient en entremetteur compatissant.
L’image qui en est donnée ici, dans son habit doré
XVIII°, dérive de l’adolescent narquois et du
témoin sceptique. Il est vrai que dans le programme de salle
nous sommes avertis, par MM. Sadoul et Londiveau, qu’entre
Orphée et Eurydice, « le ver est déjà
dans le fruit, la discorde est déjà dans la
pomme ». Bref, depuis des siècles tout le monde
s’était trompé sur le mythe. Dès lors quoi
de plus nécessaire, à la fin de l’œuvre,
lorsque Orphée chante : « L’amour
triomphe… Sa chaîne agréable est
préférable à la liberté » que de
dénouer l’étreinte entre lui et Eurydice et de les
faire partir chacun de leur côté en haussant les
épaules ? Grâce à nos deux
exégètes nous ne mourrons pas idiots !
Dommage que ce parti pris indispose à l’égard
d’une production élégante et réalisée
avec soin, qu’il s’agisse des costumes, des lumières
et des décors. Quatre tableaux correspondent aux étapes
de l’action : le premier représente une pinède
stylisée avec en arrière-plan la mer
éclairée par un ciel d’orage et au premier plan des
tombeaux dont l’un, ouvert, va accueillir Eurydice. C’est
à la fois sobre et beau. Le deuxième figure
l’entrée des Enfers sous l’aspect d’une
muraille de bronze (?) au bas de laquelle s’ouvre une bouche
d’ombre qui oblige sortants et entrants à
s’accroupir ; les esprits infernaux qui s’en
échappent et malmènent Orphée sont plus risibles
qu’inquiétants, et on craint que lorsque le dernier
à regagner les espaces souterrains se cogne la tête il
s’agisse d’un gag.
Le troisième, censé représenter le séjour
agréable des bienheureux, est une plage déserte sans
attrait particulier. On y voit élus avancer indéfiniment
dans une ronde morne, à l’image
d’aliénés qui déambuleraient inlassablement
sous l’effet de tranquillisants. Pourquoi pas ? Le
problème est que la danse des ombres heureuses est
rythmée ; le hiatus entre ce que l’on entend et ce
que l’on voit est vraisemblablement voulu ; cela le rend-il
plus pertinent ? Pour le dernier tableau, c’est une
réplique du plafond de l’opéra de Toulon, dans le
goût du XVIII° siècle, qui sert de toile de fond
à l’apothéose des amants ;
l’exécution des danses du divertissement final, pour
lesquelles Erick Margouet s’est
inspiré des règles de la chorégraphie baroque,
remarquablement composées et exécutées, y trouve
un support du plus bel effet.
Joanna Malewski
s’acquitte avec brio du rôle de l’Amour ;
malheureusement son timbre et son émission évoquent
irrésistiblement pour nous une divette d’autrefois, de
celles qui régnaient dans les opérettes dans les
années soixante. Sa divinité en pâlit. Henrike Jacob est une Eurydice convaincante et sans problèmes d’émission. Son Orphée est Maxim Mironov
que nous avions découvert il y a trois ans à Pesaro lors
de l’Academia Rossiniana réentendu au Théâtre
des Champs Elysées dans Cenerentola et à nouveau à Pesaro l’an dernier dans L’Italiana in Algieri.
Ce ténor est doté d’un registre aigu
extrêmement étendu qui lui permet de chanter les parties
de haute-contre sans la moindre difficulté et
d’émettre les notes les plus aiguës avec aisance. Il
a soutenu la longueur du rôle sans faiblir et confirmé la
prétendue facilité des Slaves pour pratiquer les langues
étrangères en articulant exactement la nôtre, dont
il ne savait rien il y a trois mois. Sa fréquentation du
répertoire rossinien lui a donné ou a
développé une souplesse qui lui permet de briller dans
« L’espoir renaît en mon âme »
le seul air à vocalises de la partition, exécuté
presque impeccablement. En fait, un boulevard semble s’ouvrir
pour cet interprète de 27 ans à peine dans le
répertoire français. Si l’on ajoute que son
physique est avenant et sa présence scénique efficace, on
peut sans risque lui prédire les plus grands succès,
d’autant qu’il semble décidé à mener
sa carrière avec prudence.
Belle soirée donc, au-delà des agacements dus à la
volonté des metteurs en scène de jouer leur jeu,
fût-il en porte-à-faux avec l’œuvre. Le public
nombreux malgré l’ « exotisme »
du titre l’a accueilli chaleureusement. Longs applaudissements
pour les interprètes, auxquels nous associons celui qui a choisi
de présenter ce chef d’œuvre aux Toulonnais.
Maurice SALLES
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