Les malheurs d'Anne-Sofie
La collaboration d'Anne Sofie von Otter
avec Reinhard Goebel ne date pas d'hier, comme en témoignent les
deux CD, particulièrement remarqués à leur sortie,
qu'ils ont gravés ensemble chez DG : le trop méconnu Cantates
et airs marials de Haendel (1994) et Lamenti (1998), un des
récitals les plus étonnants de la cantatrice suédoise.
Ce sont des extraits de cet enregistrement, agrémentés de
quelques pages orchestrales, que les deux artistes ont proposés
dans une série de concerts qui les ont menés de Metz (le
23) à Bordeaux (le 26), en passant par Lyon (le 24), avant cette
soirée à Paris.
Les dates de ces concerts étaient-elles
trop rapprochées ? Visiblement en petite forme, les cheveux en bataille,
von Otter donnait l'impression de se réveiller d'une sieste prolongée
et d'avoir à peine eu le temps d'enfiler la première robe
venue avant d'entrer sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées
La voix était à l'avenant : instable et par moments détimbrée.
Seul l'art de la cantatrice a pu sauver de l'ennui le "Con che soavitá"
de Monteverdi, susurré avec une émotion contenue, d'autant
que l'orchestre semblait chercher ses marques tout au long de l'aria.
Malgré le temps infini qu'ils
employaient à s'accorder entre chaque page, les musiciens ont paru
quelque peu fâchés avec la justesse dans la sonate de Cavalli
tout comme dans le lamento de J.C. Bach, dont la tessiture a de
surcroît semblé poser quelques problèmes à la
chanteuse, trahissant par instants sa fatigue vocale. Fort heureusement
la mort de Didon de Purcell, déclamée avec une grande noblesse
teintée d'un désespoir subtilement dosé, emporta enfin
l'adhésion des spectateurs restés jusque-là bien sages
!
En seconde partie, Reinhard Goebel
et son ensemble ont donné une rareté absolue : un concerto
en la majeur de Michel Mascitti. Il n'est pas certain que le choix de cette
oeuvre fasse beaucoup pour la renommée de ce musicien napolitain,
qui fit durant la première moitié du XVIIIe siècle
sa carrière à Paris où il mourut presque centenaire,
à moins que l'on ne doive le peu d'intérêt que la salle
lui a accordé à l'inadéquation stylistique de l'orchestre.
Nul doute que la cantatrice a dû
estimer alors qu'il était temps de reprendre la situation en main
! Rentrant sur la scène d'un pas résolu, elle a présenté
avec beaucoup d'humour et un art consommé du second degré
"Cessate, omai cessate" de Vivaldi, avant d'en livrer une interprétation
incandescente, exprimant tous les affects du personnage avec une acuité
et un sens du théâtre stupéfiants qui ont soulevé
l'enthousiasme du public, enfin réveillé par tant de véhémence
déchaînée. Forte de son succès, von Otter a
offert dans la foulée trois bis : un air de la cantate BWV 170 de
Bach, un peu terni par les flottements de l'orchestre, précédé
de deux Haendel somptueux, un extrait de Semele, "Where'er you walk",
et l'aria "Piangerò la sorte mia", tirée de Jules César,
qui a laissé entrevoir la Cléopâtre admirable qu'elle
pourrait incarner. La comparaison avec Danielle De Niese, vocalement scolaire
et appliquée à Garnier
en début de saison, est à ce propos éloquente
et prouverait, s'il en était besoin, qu'à l'opéra,
avoir l'âge et le physique du rôle ne sont pas des atouts suffisants
ni indispensables !
Un concert somme toute contrasté,
sauvé in extremis par le charisme et l'art du chant ineffable
d'une interprète qui ne laissera jamais de surprendre.
Christian Peter