Dans les
années trente, Albert Willemetz et Arthur Honegger s'associent pour
un ouvrage irrévérencieux : Les Aventures du Roi Pausole.
A la création, la pièce a tenu l'affiche pendant deux saisons
consécutives. Un triomphe donc, puis un long oubli jusqu'à
ce que Renée Auphan la remonte à Lausanne en 1989 et lui
donne ainsi une nouvelle carrière.
En fait, Pausole est le type
même des oeuvres montées dans l'univers lyrique de l'entre-deux
guerres : le lyrique léger. Solution hybride car pour les amateurs
de théâtre il y a trop de musique et pour les amateurs de
chant trop de texte parlé. Mais, ce qui est original dans cette
pièce, c'est le côté revue cochonne des années
trente avec en contrepoint une composition très sérieuse
d'Honegger avec ses clins d'oeil à l'opéra français,
ses rythmes jazzés et même beuglants. Un tout composite et
étrangement... coquin, car dans Pausole il n'est question que de
fesses et de bagatelle du début à la fin ! On y trouve pêle-mêle
: un roi ubuesque et son harem de 365 femmes (l'amour est la valeur essentielle
dans ce royaume de pacotille !), un éloge du travesti et de l'homosexualité
des deux bords, un eunuque sorti tout droit de la Cité Interdite,
une course poursuite surréaliste, et, clé de voûte
du spectacle, une ballerine lesbienne qui va essayer de se taper... une
princesse nunuche. Ouf !!!
Dans ce crossover salace, que
les moralistes de la Ville se rassurent. Après moult poursuites
et quiproquos à la chaîne, la morale restera sauve à
la fin du spectacle pour le plus grand bonheur de tous ! A commencer par
celui du spectateur, grâce d'abord à la mise en scène
de Mireille Laroche, bourrée d'anachronismes qui dans les fonctionnels
décors de Buren ne tombent jamais dans la vulgarité ni la
trivialité.
Le piège était pourtant
facile. Et si Mireille Laroche venait d'inventer la fesse érudite
? Qu'il nous soit permis de poser la question.
A Nice, le rôle-titre a été
confié à Marc Barrard. Cet excellent baryton nîmois
chante on ne peut mieux Pausole, un tantinet grippé, de sa voix
de bronze. Inénarrable quand il danse, ce diable d'homme sympathique,
habitué, lui aussi, à l'opérette, vient de faire une
prise de rôle réussie.
Bonnes réparties pleines de
malices chez Thomas Morris (Taxis) et de chant italien chez Leonardo de
Lisi (Giglio véritable obsédé sexuel).
A leurs côtés, une équipe
féminine jeune à l'enthousiasme réjouissant, à
la crédibilité scénique indéniable. Gisèle
Blanchard en véritable fausse oie blanche qui finalement roulera
son monde dans la farine chante une pétulante Princesse Aline qui
succombe facilement aux avances d'Elodie Méchain, Mirabelle travestie
plus vraie que nature.
Nous avons gardé la meilleure
pour la fin : Annie Vavrille. D'un érotisme torride, habituée
à Carmen, Dalila, Judith et autres mezzos d'envergure, elle se fourvoie
avec euphorie et un aplomb vocal réjouissant dans le musical
et fait fondre le public avec un languissant "si vous saviez combien c'est
long d'attendre" tout de sensualité retenue. On ne manquera sous
aucun prétexte sa Grande Duchesse de Gerolstein au printemps prochain
sur la même scène !
Impossible de citer ici tous les interprètes,
qui s'en donnent à coeur joie dans le sous-entendu et la gauloiserie.
Il serait injuste de ne pas associer au triomphe mérité des
mimes, danseurs, chanteurs et acrobates, la direction d'une franche vitalité
d'Attilio Tomasello. Point d'emphase inutile, discret et efficace lorsqu'il
le faut, le chef arrive à nous faire croire que nous sommes dans
un beuglant et non dans un théâtre où se joue le grand
répertoire. Montmartre sur la Prom en quelque sorte... Quand
la fesse va, tout va ! Fallait y penser.
Christian COLOMBEAU