C O N C E R T S 
 
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PARIS
29/09/04

Simon Keenlyside
PELLEAS ET MELISANDE

Opéra en 5 actes de Claude DEBUSSY
Poème de Maurice Maeterlinck

Production : Robert Wilson 
Costumes : Frida Parmeggiani
Dramaturgie : Holm Keller 

Pellés : Simon Keenlyside
Mélisande : Mireille Delunsch 
Golaud : José Van Dam
Arkel : Ferruccio Furlanetto
Geneviève : Dagmar Pecková
Yniold : Sébastien Ponsford
Un berger : David Bizic
Un médecin : Frédéric Caton
 

Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris
Direction musicale : Sylvain Cambreling

Paris, Opéra Garnier
29 Septembre 2004



ESSAI A TRANSFORMER

Créé en 1997 au Palais Garnier, la production de Bob Wilson nous revient cette fois sur la scène de l'Opéra-Bastille. On pouvait tout craindre d'un tel choix pour une oeuvre créée en 1902 dans le cadre bien plus intime de la Salle Favart.

La présente réalisation vient dissiper une partie de ces appréhensions : l'esthétique de Bob Wilson, sa froideur, sa distanciation extrême, sont en quelque sorte magnifiées par le vaste vaisseau glacé noir et blanc, de sorte que le spectacle se trouve finalement plus à l'aise qu'à Garnier.

Au passage, la fosse d'orchestre a été surélevée de 40 centimètres, ce qui fait ressortir pleinement les splendeurs orchestrales de la partition, au détriment, hélas, des voix, très souvent couvertes ; d'autant que les contrebasses sont dorénavant en partie centrale, rivalisant avec les chanteurs, et que les bois sont placés sur les côtés, bénéficiant d'une réverbération excessive sur la paroi latérale (1).

Pour qui dispose d'une expérience lyrique suffisante, l'expression "la production est de Bob Wilson" suffira à définir le spectacle. Pour les lecteurs à qui ces 7 mots ne suffiront pas, nous dirons qu'il s'agit d'un spectacle hyper statique, comme d'habitude lointainement inspiré du "Nô", fondé sur des éclairages extrêmement ciblés, des costumes stylisés sans rapport avec le livret, une gestuelle élaborée (mais avec moins de japo-niaiseries que d'habitude) ; pas de duo sans au moins 10 mètres entre les partenaires ; pas de grotte ; pas de tour ; pas de cheveux flottants ; rien du fatras prévu au livret, au profit d'une scénographie extrêmement dépouillée.
Comme pour la Femme sans Ombre lors de la saison 2002-2003, le spectacle fonctionne somme toute assez bien (2), la mise en scène se révélant au diapason d'un livret plutôt elliptique.

La distribution réunie pour cette reprise, un peu vite cataloguée "première production" de l'ère Mortier (3), est globalement remarquable.

Simon Keenlyside est un Pelléas de premier plan. Si on ne l'avait entendu dans des rôles plus lourds, on croirait avoir affaire à un authentique "baryton Martin" : c'est que la technique exceptionnelle de ce chanteur lui permet d'alléger son instrument tout en respectant la tessiture tendue du rôle. Ajoutez à cela une diction parfaite, juste ce qu'il faut d'engagement, et vous avez là un des meilleurs titulaires du rôle. A peine ose-t-on lui reprocher un léger manque de naturel et de spontanéité, qui viendra sans doute avec une fréquentation régulière du rôle, mais qui en fait gêne peu dans le cadre de cette production.

Après ses déboires en Violetta à Aix, on est heureux de retrouver Mireille Delunsch dans un emploi plus conforme à sa typologie vocale. Sa Mélisande alterne de nombreux passages de pure beauté, avec quelques interventions où le timbre se fait plus rêche et ponctués de quelques "trous", signe d'un manque de stabilité de l'émission. Scéniquement, c'est un personnage convaincant, rêveur, plus inaccessible que mystérieux, en adéquation avec la production.

Face à ce couple évanescent, José van Dam campe un Golaud torturé, figure trop humaine comme hantée par les fantômes des deux amants. Golaud apparaît ainsi comme un être tourmenté, prisonnier d'un monde irréel qu'il ne comprend pas et qui lui échappe : une interprétation tout bonnement magistrale. Au contraire de certains commentateurs, je n'ai pas noté de réels problèmes vocaux le soir du 29, si ce ne sont certaines difficultés à passer le torrent orchestral, sujet déjà évoqué.
Sur le papier, Ferrucio Furlanetto pouvait sembler un luxe en Arkel. Malheureusement, ce chanteur (estimable dans son répertoire naturel) fait ici preuve d'une totale inadéquation stylistique : voix engorgée, diction approximative, accent exotique ("rien" prononcé "rienne") ; un moment d'égarement.
On pourrait en dire autant de l'incompréhensible Geneviève de Dagmar Pecková : au moins peut-on espérer que son cachet n'atteint pas celui de la basse italienne ...
Succédant au soprano de Gaëlle Le Roi, voici enfin une vraie voix d'enfant pour Yniold : quand il s'agit d'un jeune artiste de la qualité de Sébastien Ponsford, on ne peut que s'en réjouir.
Pour ses débuts à la tête de l'orchestre de l'Opéra, Sylvain Cambreling offre une lecture très analytique, ample (on a même osé dire "wagnérienne"), jouant sur des contrastes exacerbés, une lecture plus violente que poétique. Les moments les plus forts (et pas seulement au niveau des décibels) sont incontestablement les interventions de Golaud, alors que la scène finale tombe un peu à plat, faute de mystère. Particulièrement mis en valeur, l'orchestre est ainsi un des grands triomphateurs (4) de cette soirée à laquelle il manque finalement peu de choses pour être une totale réussite.
 

Placido CARREROTTI
Notes

1. Il a fallu 10 ans pour trouver une configuration de fosse ménageant les voix, naturellement peu flattées par l'acoustique médiocre de Bastille, sans trop assourdir l'orchestre ; cette nouvelle configuration fait un peu trop rapidement fi de cette expérience laborieusement acquise. On n'ose imaginer le même dispositif pour Tristan.
En ce qui concerne les contrebasses, c'est José van Dam lui-même qui avait signalé (à l'occasion d'une reprise du Faust de Gounod il y a quelques années) que celles-ci résonnaient dans les mêmes harmoniques que les voix, se révélant une barrière particulièrement coriace à franchir.

2. La recette wilsonienne étant appliquée a priori et de manière systématique, sans beaucoup de considération pour l'oeuvre ainsi passée à la moulinette, la réussite a posteriori de ce spectacle tient tout à fait du hasard...

3N'oublions quand même pas qu'il s'agit d'une reprise et que van Dam a déjà incarné Golaud dans cette même production.
S'agissant d'une oeuvre donnée ces 10 dernières années avec succès et à plusieurs reprises à l'Opéra, au Châtelet ou à la Salle Favart (et j'en oublie certainement, surtout en concert), il est un peu osé de la part de la direction de l'Opéra de parler d'un "choix, délibéré, d'une oeuvre mal aimée du public français" et "qu'il n'est pas d'art sans risques". Et d'ajouter : "Il se peut qu'un directeur décide d'en user avec son public comme une sorte de Barbe-Bleue. Les clés dont il dispose ouvrent sur autant de portes où le merveilleux ne va pas sans frayeur". Au risque de surprendre la nouvelle équipe directoriale, on n'a quand même pas attendu Gérard Mortier pour apprécier Pelléas à Paris...

4. Je parle ici de la qualité artistique générale du spectacle car, côté applaudissements, c'était malheureusement un peu chiche.

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