Enthousiasmante
production
Depuis bientôt vingt ans, les
passionnés dirigeants de l'Opéra de Fribourg se dépensent
sans compter pour présenter le spectacle lyrique de la ville. Une
saison d'opéra se limitant à un seul spectacle annuel. Une
production qui ne peut se dérouler que pendant les vacances universitaires,
le théâtre de l'opéra de Fribourg prenant ses quartiers
dans l'Aula de l'Université ! Un jour, peut-être, Fribourg
pourra offrir à sa culture un théâtre digne de ce nom.
Ne serait-ce que pour sa seule programmation annuelle, il le mériterait
largement, tant sa qualité est remarquable. Les moyens économiques
de l'Opéra de Fribourg ne sont pas, loin s'en faut, ceux des grandes
maisons lyriques. Par conséquent, la fidélisation du public
est primordiale et le choix des oeuvres s'avère délicat.
Ne pas donner dans les grands classiques, dont les grandes maisons font
leurs "choux gras ", ni dans les spécialités dont tout le
monde parle et que personne ne va voir. Juste entre les deux.
C'est le défi auquel l'Opéra
de Fribourg répond avec succès. Entre Les
aventures du roi Pausole d'Arthur Honegger l'an dernier et un Mondo
della Luna de Josef Haydn en 2006, c'est la rare La pietra del paragone
de Rossini que les spectateurs fribourgeois (avant les Franc-Comtois et
les Rennais) ont pu goûter cette année. Goûter est le
mot, parce que ce spectacle est un délice d'humour, de fantaisie
et de musicalité.
Un délice d'humour et de fantaisie
avec la mise en scène de François de Carpentries. Dans cet
imbroglio amoureux très bien ficelé par le livret de Luigi
Romanelli, le metteur en scène utilise ses chanteurs avec ce qu'ils
ont de naturel pour les projeter dans l'intrigue. Ainsi chacun est à
sa place, comme lorsqu'il profite de la stature imposante de "son" Fabrizio,
le confident du comte, pour réussir une scène admirablement
comique avec "sa" minuscule Donna Fulvia, une de ses prétendantes.
De Carpentries excelle dans le détail. Et l'annonce de la ruine
du Comte qu'il découvre sur un papier noir en est un exemple parmi
d'autres. Cela n'empêche pas la simplicité du décor
(Emmanuel Clolus). Un mur blanc flanqué de deux escaliers amovibles,
au milieu d'un parterre de lettres monumentales (pourquoi avoir abandonné
cette belle idée dans le deuxième acte ?), permet à
l'action de se dérouler sans anicroches. Improvisé accessoiriste,
le choeur déplace les lettres du décor pour composer un mot
éclairant le propos ou, retournant les escaliers, il érige
une tribune de déclamation. Inhabituelle, mais néanmoins
très efficace, l'idée de dire les récitatifs les plus
importants à la compréhension de l'intrigue en français.
Un délice de musicalité
avec un Orchestre de Chambre de Genève en incessants progrès.
Sous la baguette de Laurent Gendre, l'ensemble sait doser ses élans
pour maintenir l'équilibre avec les chanteurs et ne pas assourdir
le public, un risque engendré par la disposition particulière
de l'Aula de l'Université qui ne dispose pas d'une véritable
fosse d'orchestre.
Le plateau réuni à l'occasion
de cette production est certainement le plus homogène jamais présenté
à l'Opéra de Fribourg. Aucun protagoniste ne ravit la vedette
aux autres. Certes, le plus habile et le plus complet reste le baryton
italien Bruno Taddia (Macrobio). Baryton typiquement rossinien, sa faconde
vocale et son aisance scénique font merveille. De son côté,
le baryton genevois Sacha Michon (Pacuvio) développe un admirable
talent théâtral. Sa voix très bien placée et
dotée d'un timbre flatteur devrait bientôt le conduire sur
le chemin de beaux succès. Vocalement moins caractérisé
que ses collègues, la basse Till Fechner (Il Conte Asdrubale) soutient
pourtant la plus grosse part de l'opéra avec une présence
scénique quasi continuelle. Si on reste un peu sur sa faim avec
la "petite" prestation d'acteur du ténor Benjamin Hulett (Giocondo),
celle-ci se trouve relevée par une voix extrêmement bien conduite.
Chez les dames, si les deux prétendantes,
Mélanie Boisvert (Donna Fulvia) et Mona Somm (La Baronessa Aspasia),
ont des rôles plus effacés, elles apparaissent néanmoins
vocalement très à l'aise. Le contralto de Delphine Galou
(La Marchesina Clarice) reste la révélation de cette production.
Remarquablement homogène sur toute la tessiture, son léger
manque de puissance reste largement compensé par une vocalité
troublante et touchante. La technique vocale est irréprochable,
et le charme de sa voix n'est pas étranger au vibrato rapide qui
l'habite.
Certes, l'enthousiasmante production
fribourgeoise doit une grande partie de son succès à la superbe
musique de Rossini. Quelle verve pour un compositeur d'à peine vingt
ans qui, en cette même année 1812, avait présenté
pas moins de six opéras !
Jacques SCHMITT
Prochaines représentations
:
Fribourg, Aula de l'Université
: les 7, 8, 12, 14 et 16 janvier 2005
Düdingen, Podium : les 21 et
23 janvier 2005
Besançon, Opéra Théâtre
: le 3 février 2005
La Tour de Trême, Salle CO2
: les 9 et 11 février 2005
Rennes, Opéra : les 3, 4, 6
et 8 mars 2005