"La Pietra del paragone est,
suivant moi, le chef d'oeuvre de Rossini dans le genre bouffe." Elogieuse
et véridique appréciation d'un Stendhal dans sa Vie de
Rossini.
Peu donnée, presque inconnue
(l'enregistrement Nuova era doit être encore au catalogue) cette
Pierre
de touche a effectivement tout pour séduire.
Avec un livret en béton (proche
du Così mozartien et des comédies en vogue au XVIIIe),
des travestissements, des quiproquos, une course poursuite délirante,
le tout sur une musique d'une finesse et d'une richesse sans égale,
un humour de tous les instants avec jeux de langue obligés (Ombretta
sdegnosa del Missipipi, pipi, pipi...), des pages orchestrales somptueuses
(scène de chasse et fameux orage !), l'on comprend l'enthousiasme
soulevé chez un public avide de nouveautés et les cinquante-trois
triomphales représentations successives données au lendemain
de la création milanaise.
Il est vrai aussi que Rossini (qui
ne se gêne pas au passage pour égratigner un microcosme coloré
de parasites et scribouillards vaniteux) avait sous la main le gotha lyrique
du moment et que tous s'en donnaient à coeur joie dans cette histoire
burlesque, sucrée salée, de noble faussement ruiné
mettant à l'épreuve la fidélité de ses nombreux
amis. On pense à Marivaux dessiné par Daumier et parfois
même Dubout.
Pietro Spagnoli (Macrobio), Bruno
De Simone (Pacuvio),
Patrizia Biccirè (Donna Fulvia)
et Laura Brioli (la Baronne Aspasia)
© Opéra de Monte Carlo
- Novembre 2004
Importée
de Pesaro, donnée en première à Monte-Carlo, la
production de Pier Luigi Pizzi - qui, en véritable Protée
signe mise en scène, décors et costumes - ne laisse aucun
souffle au spectateur.
On complote, intrigue, danse, se bat
à l'épée, joue au tennis ou téléphone
dans le jardin avec vraie piscine d'une luxueuse villa. La domesticité
est nombreuse, les pique-assiettes aussi. Passent les ombres d'une certaine
Dolce
Vita mais ici oisive, décadente, fin de siècle.
Aucune trahison pourtant, dans cette
intelligente transposition, tant le courant passe et le public s'amuse
! Combien soudain tous ces pantins nous apparaissent familiers ! Vous l'aurez
compris : la comédie italienne dans toute sa splendeur trouve ici
naturellement sa place. Un vrai moment de bonheur.
L'esprit de troupe, on n'a rien fait
de mieux ! Comme revigorée par tant d'esprit et d'à-propos,
la distribution s'en donne à coeur joie.
Fine comme un saxe, belle, dense, intense,
un physique de star hollywoodienne, une voix rodée aux grands rôles
de bel canto, la Roumaine Carmen Oprisanu (la Marquise Clarice)
se met le public dans la poche dès son entrée en scène.
Satisfecit global pour les deux autres
nobles dames (rouées ou vraies dindes prétentieuses, à
votre choix) : Laura Brioli et Patrizia Bicciré.
Brelan d'as chez les messieurs. Totalement
maîtres des secrets du chant rossinien, Raul Gimenez (Giocondo),
Pietro Spagnoli (Macrobio) Bruno de Simone (Pacuvio) se défoncent
à coup de malices réglées et rivalisent de musicalité.
Le baryton-basse Marco Vinco enfin
(neveu d'Ivo et Fiorenza Cossotto) emporte tout sur son passage. Physique
de jeune premier, ligne de chant irréprochable, aigu facile (il
va chanter Athanaël à Rome !), grave cuivré et chaleureux,
présence de tous les instants.
Dans la fosse, bordée de gazon,
Marco Zambelli, sans ses surcharges qui sont habituellement à la
limite du vulgaire, dirige un Rossini vif, pétillant comme du meilleur
Asti, allègre, crépitant, bon enfant, pour un spectacle à
déguster sans restriction.
Christian COLOMBEAU