Si le festival de Pesaro n'existait
pas, il faudrait l'inventer, car sans lui, que de chefs-d'oeuvre rossiniens
seraient injustement restés dans l'oubli !
Et c'est bien de chef-d'oeuvre qu'il
s'agit lorsque l'on évoque cette Pietra del Paragone qui
est sans conteste l'une des meilleures partitions de Rossini, à
ranger au même niveau qu'une Italienne à Alger ou qu'une
Gazza
Ladra.
De plus, la production "pesarienne"
a été une réussite totale, tant sur le plan musical,
avec un chef, Carlo Rizzi, parfaitement rompu au style rossinien, dirigeant
l'orchestre de Bologne avec toute la vivacité voulue et en phase
avec l'ensemble des chanteurs, que de la mise en scène, signée
Pier Luigi Pizzi, qui avait choisi de transposer l'oeuvre à l'époque
actuelle, malgré tous les dangers qu'une telle option peut représenter.
Ainsi, le comte Asdrubale est devenu
un play-boy recevant ses nombreux invités dans sa luxueuse villa,
Giocondo et Macrobio s'affrontent en duo au sortir d'une partie de tennis,
Pacuvio finit son air en tombant dans la piscine. Tout cela est fait avec
un tel bon goût et un tel souci esthétique (comme par exemple
ces superbes arbres géants qui entourent la villa) que jamais le
spectateur n'a été gêné ni choqué par
l'optique du metteur en scène, d'une fidélité absolue
à l'esprit du compositeur et de son librettiste. Après tout,
cet opéra se voulait une satire de la société bien-pensante
de l'époque, et la charge demeure très actuelle, notamment
les caricatures de l'écrivain minable et imbu de sa personne ou
du critique littéraire mégalomane.
Le plateau vocal s'est lui aussi révélé
enchanteur, dominé par Carmen Oprisanu qui, dans le rôle de
Clarice, charme les auditeurs par sa voix chaude et sensuelle de contralto
coloratura
et son physique des plus avenants. Tout au plus pourra-t-on lui reprocher
un léger manque de puissance, mais l'intelligent Pizzi a tout fait
pour la mettre en valeur, s'arrangeant notamment pour qu'elle chante ses
airs à l'avant-scène. Laura Brioli (la Baronne Aspasia) et
Patrizia Biccirè (Donna Fulvia), délicieuses pimbêches,
lui donnent la réplique de manière fort plaisante. Les hommes
ne sont pas en reste, à commencer par le comte Asdrubale de Marco
Vinco, magnifique basse dont le timbre n'est pas sans rappeler celui de
Samuel Ramey, alliant une vocalità sans faille à un
physique de Don Juan. Mais il faudrait aussi évoquer l'émouvant
Giocondo de Raul Gimenez qui eut une véritable ovation au terme
de sa romance, et les irrésistibles buffi, Pietro Spagnoli
(Macrobio) et Bruno de Simone (Pacuvio), parfaitement en situation.
Bref, ce fut un spectacle enchanteur,
tel qu'on en voit trop rarement. Souhaitons qu'il redonne à La
Pietra del Paragone ses lettres de noblesse, amplement méritées.
Antoine Bernheim
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Lire aussi la critique de l'Equivoco
Stravagante (Pesaro,, 22 Août 2002) et Il
Turco in Italia (Pesaro, 23 Août 2002)