C O N C E R T S
 
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LONGJUMEAU
09/05/2004

© DR
LE POSTILLON DE LONJUMEAU

Opéra en 2 actes d'Adolphe Adam
Livret d'Adolphe de Leuven

Production : Patrick Abéjean

Chapelou / St-Phar : Bruno Comparetti
Madeleine / Mme de Latour : Isabelle Poulenard
Le marquis de Corcy : Laurent Alvaro
Biju / Alcindor : Jean Vendassi
 

Orchestre et Choeurs du Metropolitan Opera de Longjumeau
Direction : Philippe Cambreling
 

Longjumeau, le 9 mai 2004 (matinée)



RAFRAÎCHISSANT POSTILLON

Le postillon Chapelou a une belle voix de ténor et c'est aussi le coq du village, fier de ses succès féminins. Le soir de ses noces avec Madeleine, il est entendu par le Marquis de Corcy, alors qu'il chante le fameux air du Postillon. Directeur de l'Opéra à la cour de Louis XV, Corcy, accidentellement bloqué à Lonjumeau par une roue de carrosse brisée, est à la recherche de nouveaux talents pour son théâtre ; il engage aussitôt Chapelou, mais à une seule condition : il devra le suivre immédiatement, abandonnant la jeune épousée. Le jeune homme se laisse vite convaincre et s'enfuit avec Corcy, sitôt la réparation faite par le maréchal-ferrant Biju.
L'acte II nous permet de retrouver nos protagonistes 10 ans plus tard. Madeleine a hérité d'une vieille tante et peut se faire passer pour la riche et noble Madame de Latour dans laquelle ni Corcy, ni Chapelou, ni Biju (devenu choriste sous le nom d'Alcindor) ne l'ont reconnue.
Courtisée à la fois par Corcy et Saint-Phar, elle accepte les avances de ce dernier, sous la réserve d'un mariage secret... dont elle connaît bien la valeur. Craignant d'être poursuivi pour bigamie, Saint-Phar convainc Alcindor de lui servir de prêtre. La supercherie est découverte par Corcy qui neutralise Alcindor : c'est un vrai mariage qui aura lieu et le marquis compte bien faire emprisonner son rival qu'il sait déjà marié. Mais on n'est pas bigame en épousant deux fois sa femme et l'acte III se termine sur un happy-end : époux réconciliés et marquis dupé.

Sur cette trame bien ficelée, Adam a composé une petite merveille de partition, typique de ce répertoire : légère sans vulgarité, sensible sans niaiserie, délicieusement parodique sans lourdeur. Il s'agit bien d'un chef-d'oeuvre, chef-d'oeuvre d'un art mineur peut-être (et encore) mais un chef-d'oeuvre tout de même.

Cette "folle décennie" est servie par la mise en scène respectueuse, mais toujours originale de Patrick Abéjean qui en revendique avec justesse la modernité : "[...] Cette fable écrite en 1836 (100 ans avant les congés payés) pourrait nous paraître désuète. Croit-on encore aux fabuleux destins ? Un inconnu peut-il devenir une vedette du jour au lendemain ? Un homme peut-il encore abandonner sa jeune épouse pour quelqu'un qui lui promet monts et merveilles ? Les chanteurs lyriques sont-ils capricieux ? Les choristes font-ils encore grève ?".
Les décors, stylisés au premier acte et plus réalistes aux suivants, sont simples et pleins de poésie : rideau d'avant-scène reproduisant une carte postale ancienne de l'auberge de Longjumeau (avec un "g" cette fois), quelques têtes de chevaux multicolores (façon "enseigne de boucherie chevaline") pour la salle de banquet, coulisses de théâtre vus tantôt à l'endroit, tantôt à l'envers, garnis de vieilles affiches d'opérettes...
Les costumes des solistes sont sobres et bien typés ; ceux des choristes sont un peu plus délirants, notamment quand lesdits choristes interprètent... les choristes qui menacent de faire grève : toges, péplum, couronnes en corbeille de fruits ; le tout, soit trop grand (et ça plisse), soit trop petit (et le ventre dépasse), soit de la mauvaise couleur (une imitation "chair" d'un parfait rose bonbon). 
La dramaturgie fonctionne à la perfection : les textes parlés sont compréhensibles (indispensable dans ce genre d'ouvrage où l'esprit des réparties est capital), les deux époques  bien caractérisées (le ton un peu familier du premier acte est bien rendu, évitant la vulgarité), enfin, l'ensemble constitue un spectacle homogène et bien rodé, huilé comme une mécanique de précision (élément clé de tout vaudeville).
Côté chanteurs, le bilan est satisfaisant, à défaut d'être excellent.
Bruno Comparetti a certainement un très grand potentiel dans ce répertoire, même si la voix gagnerait à être plus corsée dans le medium et le passage mieux négocié ; les suraigus sont impressionnant, bien qu'ils flirtent souvent avec l'accident (trac ou carence technique ?) : le contre-ré de "L'air du Postillon" se révèle plutôt instable ; mais l'artiste se montre généreux ("A la noblesse je m'allie" nous vaut une vocalise conclue sur un contre-mi bémol quasiment suicidaire) et on lui pardonne volontiers ces imperfections de jeunesse. Avec ça, bon acteur et plein d'humour (il intercale un "Carmen tu m'aimeras" dans son duo avec Mme de Latour) : très probablement un chanteur à suivre, s'il ne s'égare pas dans d'autres répertoires.
Isabelle Poulenard incarne Madeleine / Mme de Latour en technicienne accomplie : vocalises et suraigus ne lui font pas peur,  le tout dans un parfait respect du style de l'opéra-comique. Enfin, l'actrice est crédible dans les deux facettes du rôle. Seule réserve, un volume vocal un peu confidentiel heureusement compensé par une diction exemplaire.
Les deux barytons sont de tout premier ordre : Jean Vendassi en Bijou semble même appartenir à une école des "rondeurs" qu'on croyait disparue (les Trempont et Bastin ayant laissé la place à des Le Roux et Naouri pour ce type de rôle). Quoique dépourvu de grand air, Laurent Alvaro séduit par une voix solide et bien timbrée, un chant impeccable, au service d'une interprétation ironique qui ne force jamais la caricature.
L'orchestre est dirigé par Philippe Cambreling (frère de Sylvain : il y a des brebis galeuses dans toutes les familles et je ne dirai pas laquelle) : quelques décalages et canards en seconde partie, mais un rythme vif et une attention particulière aux chanteurs (facilement couverts) qui contribuent à la réussite de cette représentation.
Car il s'agit bien d'une réussite et on ne peut qu'espérer revoir ce spectacle dans une Salle Favart rendue à son répertoire de prédilection (comme disait mon voisin : "On a eu moins bien pour plus cher... et souvent !").
Pourtant, aux saluts, on a failli friser le scandale : à l'apparition du metteur en scène, un vieillard furibond se met à pousser des hués ; tout rouge, il fulmine, lançant à la cantonade : "Bientôt ici ce sera comme à Bastille" !
Mon pauvre ami, si vous saviez...
 
 
 

Placido CARREROTTI

Voir également notre dossier consacré à Adolphe Adam

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