(Adolphe ADAM... caricature )
Adolphe Adam (1803-1856)
Adolphe Adam a survécu surtout
grâce à deux titres : Giselle, qui reste pour l'éternité
l'archétype du ballet romantique, et Minuit, Chrétiens,
sans doute l'un des chants de Noël les plus célèbres
du monde, dont on ignore souvent, d'ailleurs, qu'il est de lui. La plupart
des amateurs d'opéra connaissent également l'existence du
Postillon
de Lonjumeau (sans g !) et de sa fameuse Ronde du Postillon, dans laquelle
le ténor doit atteindre le contre-Ré. Ces modestes titres
de gloire suffisent à beaucoup pour cataloguer Adam au rayon des
compositeurs d'airs faciles et de musiquette à deux sous... Vision
bien réductrice d'un musicien qui, pour n'avoir jamais oeuvré
que dans le style léger, n'en fut pas moins l'un des représentants
les plus doués et les plus talentueux de l'opéra-comique
français au 19e siècle, dont la musique n'a rien à
envier en qualité à celle de Boieldieu, Auber ou Hérold,
en général un peu moins méprisés qu'Adam par
la critique "officielle".
Eléments
de biographie
Né à Paris, fils du
pianiste Jean-Louis Adam, concertiste et pédagogue réputé
(il fut entre autres le professeur de la mère de Charles Gounod),
le jeune Adam manifeste dès son enfance des dons rares pour l'improvisation.
Malgré l'opposition de son père, il choisit la carrière
musicale et entre à 17 ans au Conservatoire où il étudie
l'orgue, le contrepoint et surtout la composition dans la classe de Boieldieu.
Au contact de ce glorieux aîné, sa vocation s'impose : il
composera pour la scène ! Tout en cachetonnant dans les théâtres
comme percussionniste ou chef de choeur, il se fait petit à petit
un nom en composant des romances destinées à agrémenter
des vaudevilles. Ses premiers opéras-comiques voient le jour sur
des scènes comme le Gymnase, le Vaudeville ou les Nouveautés.
En février 1829, il fait son entrée à l'Opéra-Comique,
avec Pierre et Catherine, un succès immédiat. Adam
s'impose rapidement comme l'une des principales figures de la vie musicale
parisienne, en partie grâce à sa prodigieuse facilité
d'écriture qui lui permet d'atteindre une productivité exceptionnelle.
En 1834, il triomphe à l'Opéra-Comique avec Le Chalet,
qui deviendra l'un des piliers du répertoire de cette salle. Nouveau
triomphe en 1836 avec Le Postillon de Lonjumeau, demeuré son ouvrage
le plus célèbre avec le ballet Giselle, créé
à l'Opéra en 1841. La carrière d'Adam prend une dimension
internationale, avec des séjours à Londres, Saint-Pétersbourg
et Berlin.
En 1847, brouillé avec le nouveau
directeur de l'Opéra-Comique, il décide de devenir son propre
directeur et achète le cirque du Temple pour en faire l'Opéra-National,
où il souhaite monter ses propres oeuvres et celles de jeunes compositeurs.
Les débuts sont encourageants, mais la Révolution de 1848
met l'entreprise en faillite et laisse Adam couvert de dettes. Pour rembourser,
celui-ci se met courageusement à l'ouvrage : non seulement il continue
de composer, mais il se lance également, avec brio, dans une carrière
de critique musical et de professeur au Conservatoire. Re-joué à
l'Opéra-Comique (dont le directeur a changé), il y obtient
de nouveaux succès avec Le Toréador (1849) et Giralda
(1850). Parmi ses oeuvres les plus importantes de cette époque,
il faut aussi citer La Poupée de Nuremberg et Si j'étais
roi, toutes deux créées au Théâtre Lyrique
en 1852. Adam s'éteint prématurément en 1856, laissant
derrière lui 78 opéras-comiques et 29 ballets. Il était
membre de l'Institut depuis 1844.
Le style d'Adam
Les quelques oeuvres lyriques d'Adam
qui nous sont aujourd'hui connues par le biais du disque s'inscrivent dans
la droite tradition de l'opéra-comique français, et ne se
distinguent guère par la forme ni par le climat de celles des autres
maîtres du genre. Sur des livrets alternant, comme il se doit, dialogues
parlés et passages chantés et dont le comique n'outrepasse
presque jamais les bornes d'un aimable badinage, il écrit une musique
avant tout mélodieuse, facile à comprendre et à retenir.
Les partitions font alterner airs à couplets, grands airs de bravoure
et morceaux d'ensemble, et la virtuosité vocale "à l'italienne"
est fréquemment sollicitée, notamment chez la voix de soprano.
A la suite de Boieldieu et comme Auber, Adam cultive ainsi un système
solidement établi depuis Grétry. A la fin de sa carrière
toutefois, dans une oeuvre comme Le Farfadet, il expérimentera
des structures formelles plus souples, témoignant d'une recherche
de fusion plus poussée entre texte et musique (Voir notre commentaire
ci-dessous).
Ce qui singularise Adam, c'est la richesse
exceptionnelle de sa veine mélodique, l'art avec lequel il sait
trouver l'air, entraînant ou élégiaque, qui charmera
et que l'on fredonnera. Cet art unique et qui frappe dans toute son oeuvre
ne s'apprend sans doute pas, mais le musicien l'a très certainement
développé auprès de son maître, Boieldieu, lui-même
un éminent spécialiste de la mélodie souple, naturelle
et fluide. Deux thèmes d'Adam, celui de Minuit, Chrétiens
et le fameux "Oh oh oh oh, qu'il était beau, le Postillon de Lonjumeau"
sont de véritables "tubes", encore populaires de nos jours : on
ne trouvera que peu d'exemples comparables dans la musique française
de l'époque. Cette facilité enviable n'est sans doute pas
pour rien dans la hargne avec laquelle nombre de ses confrères ont
condamné pour "vulgarité" la musique d'Adam - Berlioz en
tête, qui rappelons-le, entra à l'Institut douze ans après
lui... Pourtant, Adam n'est pas seulement un mélodiste doué
: c'est un compositeur totalement maître des règles de son
art, dont la musique, pour être simple et lisible, n'en est pas moins
parfaitement écrite, élégante et souvent raffinée
-et dénote toujours un sens théâtral infaillible.
L'écriture harmonique d'Adam
est limpide, mais réserve de nombreuses surprises, toujours expressives
: écoutez, par exemple, dans le grand air de Saint-Phar au dernier
acte du Postillon, le passage lyrique "Soyez toujours mes amours"
: après une série de modulations qui nous entraînent
en Si bémol majeur, Adam revient brusquement à la
tonalité initiale, très éloignée, de La
majeur, provoquant un étrange sentiment d'ivresse qui reflète
l'état d'esprit du personnage. Écoutez encore les dernières
mesures de l'air de Madeleine, où il reprend le cycle traditionnel
(sous-dominante, sixte et quarte, dominante, tonique) des cadences italiennes,
mais y remplace astucieusement l'accord de tonique par des septièmes
diminuées qui dramatisent le propos. Adam est également un
orchestrateur varié et brillant, sachant créer aussi bien
l'effervescence (l'ouverture du Toréador) qu'une atmosphère
nostalgique dans l'accompagnement des airs lyriques. Enfin, il sait recourir
avec brio au contrepoint quand la situation le justifie, comme en témoigne
le superbe choeur fugué traduisant l'excitation de la foule dans
le finale du premier acte du Postillon.
Qu'on écoute d'un trait ce finale
: s'y succèdent le trio ou le postillon Chapelou, nouvellement promu
ténor à l'Opéra, exprime son excitation sur un rythme
de valse (sans doute se voit-il déjà danser sur scène)
; en total contraste, l'appel de Madeleine, la jeune épouse qui
ignore encore que son mari vient de l'abandonner pour le théâtre,
est chanté sur un rythme ternaire paisible et bucolique ; suivent,
sur un rythme haletant, la révélation du pot aux roses, le
choeur fugué dans lequel les villageois se demandent d'où
vient ce tapage, la belle phrase lyrique en Mi mineur dans laquelle
Madeleine chante sa douleur et sa résignation (soutenue piano
par des pizzicati animés qui maintiennent la tension), puis
un ensemble final au crescendo vengeur... et une ultime citation
par l'orchestre, comme un pied de nez, de la Ronde du Postillon, le leitmotiv
de l'oeuvre. Dans ce morceau admirablement construit, Adam met en place
une progression dramatique implacable... avec une séduction mélodique
toujours au rendez-vous.
Principaux
ouvrages lyriques :
Présentation et discographie
Le Chalet (1834)
Créé en 1834 à
l'Opéra-Comique, Le Chalet fut le premier triomphe d'Adam
et fit dans ce théâtre la plus brillante carrière puisqu'il
y fut joué plus de 1500 fois au cours du 19e siècle ! Le
livret, que Donizetti réutilisera dans Betly, n'est pas sans
évoquer celui d'un autre opéra du compositeur italien : Betly
(soprano), une coquette villageoise qui fait languir un amoureux naïf,
Daniel (ténor) ; un officier hâbleur, Max (basse), qui courtise
la jeune fille et persuade son rival de s'engager dans l'armée...
Les situations évoquent de près L'Elixir d'amour.
Sans atteindre à la force émotionnelle des mélodies
de Donizetti, Adam écrit une partition pleine de fraîcheur
et d'entrain, à l'invention mélodique constante, et le duo
ténor - baryton, "Il faut me céder ta maîtresse", n'est
pas loin d'égaler le duo Nemorino-Belcore. Le clou de l'ouvrage
est sans doute l'air d'entrée de Max, le patriotique "Vallons de
l'Helvétie", superbe morceau de bravoure que toute basse chantante
sachant vocaliser se devrait d'avoir à son répertoire.
L'unique version du Chalet jamais
publiée à notre connaissance en CD est l'un des nombreux
enregistrements d'opéras-comiques et d'opérettes réalisés
dans les années 50 à 70 par l'orchestre lyrique de l'ORTF.
Un certain nombre de ces gravures ont ensuite été proposées
en CD dans la collection "Gaîté lyrique" qui a malheureusement
disparu du catalogue. Ces enregistrements ne sont pas tous irréprochables,
loin de là... Ces partitions rares, en effet, étaient souvent
montées avec un nombre de répétitions très
limité, l'orchestre radio-lyrique n'était pas le meilleur
de la capitale, et les chanteurs ont les qualités et les défauts
d'une école française qui n'était point à son
apogée en ces années-là : diction en général
parfaite, mais timbres souvent blancs et acides et tendance quasi systématique
à parler au lieu de chanter.
Dans Le Chalet (capté
en 1965), il nous faut ainsi subir en Daniel le calamiteux Joseph Peyron,
insupportable trial qu'on n'accepterait même pas dans les valets
des Contes d'Hoffmann. Totalement incapable d'assumer un rôle
qui, sans être aussi acrobatique que Chapelou dans Le Postillon
de Lonjumeau ou Georges Brown dans La Dame blanche, n'en est
pas moins un vrai rôle de ténor, il se réfugie dans
la caricature, "falsettisant" de la plus laide façon tout ce qui
est au-dessus du Mi (ou presque !) et coupant purement et simplement
la section finale de son air. Effarant, et en plus, pas drôle du
tout... A ses côtés, Denise Boursin n'est pas la plus séduisante
Betly qu'on puisse rêver (en comparaison, le timbre de Mady Mesplé
paraît opulent et sensuel), mais elle garde un minimum de dignité
musicale. Le meilleur élément de la distribution est le Max
de Stanislas Staskiewicz, un tantinet guttural mais qui donne un certain
panache à ses "Vallons de l'Helvétie" ; dans un tempo
plus raisonnable, il aurait même sûrement réussi la
périlleuse roulade finale. L'orchestre, sous la direction d'Albert
Wolff, est très approximatif. Les dialogues parlés sont omis.
Deux extraits du Chalet enregistrés
dans les années 20 ou 30 (dates non précisées) sont
actuellement disponibles en complément de l'intégrale de
Maroûf,
savetier du Caire d'Henri Rabaud récemment parue chez Gala.
Le baryton Etienne Billot est plus correct vocalement que Stanislas Staskiewicz
dans "Vallons de l'Helvétie", mais une interprétation larmoyante,
un tempo bien trop lent et une coupure regrettable disqualifient cette
version. Dans le duo "Il faut me céder ta maîtresse", en revanche,
le ténor Victor Pujol et le baryton Julien Lafont sont excellents
et méritent qu'on passe outre une prise de son vacillante.
Maigre bilan donc pour Le Chalet,
surtout compte tenu de la notoriété de l'oeuvre. Un rêve,
qui ne se réalisera sans doute jamais : entendre Samuel Ramey dans
"Vallons de l'Helvétie"...
Le Postillon
de Lonjumeau (1836)
Ouvrage lyrique le plus célèbre
d'Adam, Le Postillon met en scène un bellâtre de village
du temps de Louis XV, Chapelou, qui est remarqué par le directeur
de l'Opéra et abandonne sa femme le soir de ses noces pour courir
vers la gloire. Après dix ans de patience, celle-ci saura se venger...
et le reconquérir. Par son évocation du monde de l'opéra
au 18e siècle, ce livret offre à Adam l'occasion d'un subtil
pastiche musical (les airs d'Alcindor et Saint-Phar au 2e acte). Quant
au rôle-titre, Chapelou alias Saint-Phar, c'est l'archétype
du ténor plus amoureux de ses notes aiguës que de ses admiratrices,
et il permet à un chanteur doué pour la comédie de
se livrer à une savoureuse auto-caricature !
(Le beau John Aler en Postillon
de Lonjumeau)
L'opéra-comique le plus populaire
d'Adam a naturellement fait l'objet de plus d'attentions de la part du
disque que ses autres ouvrages lyriques. En récital, depuis l'âge
du 78 tours, de nombreux ténors à l'aigu facile ont trouvé
dans la Ronde du Postillon l'occasion de prouver qu'ils "avaient" le contre-Ré
: on pourra ainsi, au hasard des rééditions, comparer les
prouesses de Joseph Schmidt, Nicolaï Gedda (dans son récital
d'airs français EMI, hélas non réédité)
ou, plus près de nous, Luca Canonici, William Matteuzzi... et naturellement
Rockwell Blake dans son superbe récital français (EMI également).
Le premier jalon de la discographie
est la sélection gravée par EMI Allemagne en 1965 autour
de Nicolaï Gedda, qui retrouvait avec Chapelou son premier rôle
à la scène (Stockholm 1952). Des extraits chantés
en allemand font de cet opéra-comique un singspiel à
la Lortzing (ce qui a son charme) et nous rappellent que les théâtres
d'outre-Rhin se sont toujours montrés plus fidèles que la
France au Postillon : notons que l'oeuvre a été montée
dernièrement au Staatsoper unter den Linden de Berlin ! Que fait
l'Opéra-Comique ? (air connu)... Gedda, au charme évidemment
ravageur, exhibe un suraigu éclatant... presque trop, en fait ;
on regrette un peu qu'il n'ait pas enregistré le rôle 10 ans
plus tôt, quand la voix, plus souple et plus légère,
rencontrait l'idéal exact du ténor d'opéra-comique.
A ses côtés, Ruth-Margret Pütz est une exquise Madeleine,
moins virtuose dans son grand air que ne le sera June Anderson, mais plus
subtilement nostalgique. La grande voix de Franz Crass en impose dans l'air
de Biju et Fritz Lehan, à la tête de l'orchestre de l'opéra
d'Etat de Bavière, donne de belles couleurs romantiques à
la partition (écoutez les cordes dans l'air de Madeleine).
En 1985, EMI France décide de
donner sa chance au Postillon, en VO cette fois, et met tous les
atouts dans son jeu en confiant l'intégrale de l'ouvrage à
une équipe américano-française de jeunes stars en
pleine ascension, dont chaque élément possédait déjà
une certaine légitimité dans le répertoire français.
Le résultat est presque impeccable. Incontournable dans les années
80 dans les divers avatars de la haute-contre à la française
(d'Hippolyte à Pâris en passant par Pylade, Nadir et le Comte
Ory), John Aler trouve en Chapelou un emploi à son exacte mesure.
Détesté d'une partie de la critique en raison d'un timbre
très particulier proche de la voix mixte, le ténor américain
possède pourtant toutes les qualités requises : une voix
extrêmement souple au timbre brillant, un suraigu stupéfiant
de facilité, une précision musicale infaillible, une diction
exceptionnelle (on ne perd pas une syllabe) et l'élégance
du style. Sa préciosité convient de plus parfaitement à
ce personnage de ténor vaniteux et narcissique, dont il rend à
merveille la fatuité tout en lui donnant un charme irrésistible.
Nouvelle coqueluche des scènes parisiennes, June Anderson était
elle aussi très présente à cette époque dans
le répertoire français ; la beauté de son timbre,
sa conviction et l'insolence de ses moyens emportent l'adhésion
et son air est d'une époustouflante virtuosité. Auprès
de ce couple de rêve, Jean-Philippe Lafont et François Le
Roux illustrent chacun un aspect de la tradition du chant français
: les beuglements du premier sont une démonstration de l'urlo
francese, tandis que le second parle son rôle d'une voix sans
timbre. Mais peu importe dans ces rôles de pure composition, d'autant
qu'ils sont bons comédiens l'un et l'autre... Thomas Fulton, qui
venait (en compagnie d'Anderson) de recréer Robert le Diable
au Palais Garnier, cravache avec fougue l'orchestre de Monte-Carlo. Rappelons
que ce disque a été récemment réédité
par EMI en série économique. Un incontournable !
Signalons pour mémoire une intégrale
en allemand réalisée il y a quelques années par Capriccio,
plutôt bien accueillie par la critique à l'époque,
avec Robert Swensen et Pamela Coburn, qui n'est plus distribuée
en France.
Le Toréador
(1849)
Le livret du Toréador, dû
à Thomas Sauvage, est d'une grande originalité. Il s'agit
d'un vaudeville pseudo-hispanisant mettant en scène le traditionnel
trio cocu-femme-amant, dont les dialogues sont entièrement écrits
en vers de mirliton dans un esprit quasi-surréaliste. A l'issue
d'une série de quiproquos, l'oeuvre se termine par une étonnante
apologie du ménage à trois (l'ouvrage était initialement
intitulé Le Toréador ou l'accord parfait : le sous-titre,
peu apprécié par la censure, sauta dès la deuxième
représentation...). Bref : on est assez loin du "théâtre
des familles" et des intrigues pour jeunes filles sages auxquels on a tendance
à associer l'opéra-comique avant Carmen ! Adam, ici, annonce
plutôt Offenbach. De la partition, éblouissante d'un bout
à l'autre, l'histoire a surtout retenu le trio "Ah vous dirais-je
Maman", avec ses variations acrobatiques dans lesquelles la soprano rivalise
de virtuosité avec la flûte.
Notons que l'opéra de Montpellier
proposera cette année Le Toréador dans une réduction
pour piano (12 avril 2003).
Deux versions de ce petit chef-d'oeuvre
sont parues en CD. L'enregistrement radio publié par Gaîté
Lyrique avait été salué à l'époque par
la critique comme l'un des meilleurs disques de la série, et il
possède de fait une qualité qui manque souvent aux autres
: les voix sont belles !... Il ne s'agit pas d'une intégrale : les
dialogues sont absents et plusieurs numéros de la partition manquent
à l'appel. Mais cette version mérite indéniablement
le détour, avant tout pour l'étincelante Mady Mesplé
(31 ans), au sommet de son charme mutin et de sa virtuosité, vraiment
impressionnante dans le trio "Ah vous dirais-je Maman" où son agilité
semble illimitée. Raymond Amade, joli ténor toujours un peu
raide, et Charles Clavensy sont parfaitement dans la note.
En 1996, forts du succès de leur
récital French coloratura arias et de leur intégrale
du Domino noir d'Auber, la soprano coréenne Sumi Jo et le
chef australien Richard Bonynge unissent à nouveau leurs forces
sous l'égide de Decca pour une intégrale du Toréador.
La réussite est complète, et ce disque mérite de figurer
dans la discothèque de n'importe quel amateur d'opéra français.
Le maestro est chez lui dans cet univers frivole et fait briller l'orchestre
d'Adam de mille feux. La diva offre son habituelle démonstration
de vélocité vocale, mais au delà de la performance,
c'est surtout son interprétation qu'on admire : soucieuse de ne
pas passer pour un vulgaire oiseau mécanique made in Asia,
l'intelligente Sumi caractérise son personnage en fine musicienne
par un jeu très étudié de couleurs et d'accents, et
campe une Coraline tout aussi séduisante que celle de Mesplé.
Seuls quelques suraigus un peu perçants pourront déplaire
(il est vrai que le son Decca, brillant et clinquant, est un vrai piège
pour une colorature). Bonynge a réuni autour de sa vedette deux
comparses idéaux, aussi bons comédiens que chanteurs (dans
les dialogues, Sumi Jo est en revanche remplacée par Véronique
Vella, de la Comédie-Française, un peu incolore). Michel
Trempont est fidèle à lui-même : toujours aussi vaillant
(un Sol aigu aussi insolent que celui de son Blondel, enregistré
près de 20 ans plus tôt), bien chantant... et désopilant
en séducteur minable et fanfaron. John Aler, quant à lui,
signe après Le Postillon sa deuxième intégrale
d'un opéra d'Adam : record mondial, qui fait de lui le grand chanteur
adamien de notre époque. Ce n'est pas (seulement) une boutade :
sa souplesse, sa précision, sa diction parfaite, son élégance
légèrement salonnarde et son charme un peu niais le rendent
réellement insurpassable dans ces emplois ! Ecoutez-le soupirer
avec langueur dans l'air du "flûtiste amoureux" : un vrai régal.
Le Farfadet
(1852)
En première partie du CD Gaîté
lyrique du Chalet figure une rareté délectable : Le Farfadet,
pochade en un acte composée par un Adam en toute fin de carrière
(1852) et donc au sommet de son métier. Comparés à
cette petite merveille, les charmes naïfs du Chalet paraissent
un peu fades... Sur une histoire de faux fantômes (qui lui permet
de glisser une citation de la scène du Commandeur dans Don Giovanni,
hilarante dans le contexte), Adam, dont la veine mélodique n'a rien
perdu de sa générosité, écrit une partition
subtile et théâtrale, d'où les couplets et airs de
bravoure ont complètement disparu pour céder la place à
des morceaux d'ensemble de coupe variable épousant totalement le
texte et l'action, dans une constante mobilité rythmique, harmonique
et orchestrale. Qui a dit que les compositeurs d'opéras-comiques
du milieu du 19e s'étaient montrés incapables de renouveler
les formes du genre ? Adam : le Wagner de l'opéra-comique. Du grand
art ! Cet enregistrement radio de 1970 est une réussite, grâce
à l'alerte Robert Benedetti dirigeant un orchestre lyrique de l'ORTF
en forme, et une équipe de solistes pleine de verve et presque suffisante
dans un ouvrage peu exigeant vocalement : Lina Dachary, toujours excellente
malgré son timbre aigrelet, l'accorte Janine Capderou et l'inévitable
Joseph Peyron, dont le chant ridicule est plus adéquat ici que dans
Le Chalet.
Si j'étais
roi (1852)
Dernier ouvrage de grande envergure
d'Adam, Si j'étais roi raconte les aventures du pauvre pêcheur
Zéphoris, amoureux de la princesse Néméa, et qui devient
roi pour un jour sur un caprice de son souverain. Sur un livret de pure
fantaisie, Adam a su écrire la musique délicate et poétique
qui s'imposait, et son lyrisme y atteint par moments une réelle
profondeur. L'oeuvre offre un rôle en or pour un ténor di
grazia, avec la célèbre romance "J'ignore son nom, sa naissance"
et la cavatine "Un regard de ses yeux", mais le Roi (baryton) et Néméa
(soprano) sont gâtés également, le premier avec ses
élégants couplets "Dans le sommeil, l'amour, je gage", la
seconde avec un superbe air de virtuosité, le brillant "De vos nobles
aïeux... Des souverains du rivage d'Asie".
Cet ultime chef-d'oeuvre et Le Chalet
sont
les grands absents de la discographie contemporaine, trouvable en magasin.
Lui aussi avait jadis fait l'objet d'un enregistrement par l'orchestre
radio-lyrique réédité en CD dans la série Gaîté
lyrique. Nous n'avons malheureusement pas pu entendre cette version, certainement
fort intéressante puisque le rôle-clé de Zéphoris
y était chanté par le merveilleux André Mallabrera,
qu'on imagine idéal dans cet emploi, au côté de la
charmante Liliane Berton. L'oeuvre a été reprise en 1990
à l'opéra de Nantes (qui a beaucoup fait pour ce répertoire)
; une bande pirate permet, dans un son précaire, de se rendre assez
bien compte des mérites de la partition à qui n'a pas pu
mettre la main sur l'enregistrement Gaîté lyrique. Mis à
part Léonard Pezzino, qui manque cruellement de légèreté
vocale en Zéphoris, la distribution, entièrement française,
était plus que satisfaisante, avec en tête un impeccable et
subtil Jean-Marc Ivaldi (qu'est-il devenu ?...) et surtout une toute jeune
Natalie Dessay, déjà au sommet de ses possibilités,
diction charmeuse, agilité de flûte, timbre de nacre et contre-Sol
scintillant. Une intégrale moderne de Si j'étais roi est
indispensable : Dessay saura-t-elle l'imposer à son éditeur
? Et aura-t-elle le goût de ressusciter ces rôles faits pour
elle au lieu de s'acharner à conquérir un répertoire
archi-connu ou d'autres ont déjà tout dit ?...
Le récital déjà
mentionné de Sumi Jo avec Richard Bonynge (un disque précieux)
contient le grand air de Néméa, "De vos nobles aïeux",
aussi virtuose qu'on peut le souhaiter. Quant à la romance fameuse
de Zéphoris, "J'ignore son nom, sa naissance", elle figure dans
le récital français de Rockwell Blake, fort bien chantée
il va sans dire.
Pour être complet, signalons
une rareté, toujours dans le récital Decca de Sumi Jo : la
charmante Chanson du canari, extraite des Pantins de Violette (1856),
l'ultime ouvrage d'Adam, créé aux Bouffes-Parisiens par la
jeune Hortense Schneider. Et déplorons l'absence au catalogue de
toute trace de Giralda, l'un des grands succès publics et
critiques d'Adam.
Et aussi...
Minuit,
Chrétiens (1847)
De nombreuses vedettes du chant, sacrifiant
à l'exercice obligé du récital d'airs sacrés,
ont enregistré l'illustre cantique. Une version doit être
recherchée en priorité : qui n'a pas entendu Leontyne Price
avec les petits chanteurs et le Philharmonique de Vienne dirigés
par Karajan dans Minuit, Chrétiens en anglais ne sait pas
vraiment ce que "joie de Noël" veut dire ! Un peu kitsch certes, mais
tellement jubilatoire...
Geoffroy BERTRAN