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PARIS
15/04/2008
Evgeny Nikitin (le Prisonnier)
© Opéra National de Paris
Luigi Dallapiccola (1904 -1975)
IL PRIGIONIERO
(Le Prisonnier)
Opéra en un acte avec prologue
Livret du compositeur
D’après La torture par l’espérance de Villiers de L’Isle-Adam
et La légende d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak de Charles de Coster
Création scénique, Florence 20 mai 1950
Mise en scène : Lluís Pasqual
Décors : Paco Azorín
Costumes : Isidre Prunés
Éclairages : sAlbert Faura
Chef des Chœurs : Alessandro Di Stefano
La Madre : Rosalind Plowright
Il Prigioniero : Evgeny Nikitin
Il Carceriere, Il Grande Inquisitore : Chris Merritt
Due Sacerdoti : Johan Weigel, Bartlomiej Misiuda
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Lothar Zagrosek
En lever de rideau
Arnold Schoenberg (1874-1951)
Ode à Napoléon
Texte de Lord Byron
Récitant : Dale Duesing
Piano : Christine Lagniel
Quatuor à cordes : Frédéric Laroque, Vanessa Jean,
Laurent Vernet, Martine Bailly
Paris, Palais Garnier
15 mai 2008
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La grande illusion de la liberté
« Frère… Espère… »
répète le geôlier cherchant à bercer le
prisonnier d’une illusion qui se révélera la plus
raffinée des tortures… « Tu dois vivre pour
pouvoir espérer » Et qu’espère un
prisonnier si ce n’est la liberté ? Après
quelque cinquante minutes, d’une intensité jamais
relâchée, le prisonnier comprendra toute l’horreur
de sa situation — Cette espérance à laquelle on
l’incitait, en l’appelant frère,
n’était qu’un leurre ! Son dernier mot,
prononcé sur un ton dubitatif, sera : la
liberté…
Ainsi s’explique le titre La torture par l’espérance, extrait des Contes cruels
de Villiers de L’Isle-Adam, à l’origine du livret de
cet opéra désespéré. Mais, si
l’œuvre de l’écrivain français est
teintée de sadisme, le livret de Luigi Dallapiccola
intègre d’autres sources d’inspiration qui servent
de support à un discours musical empreint de compassion
fraternelle entre les hommes. Pour lui chrétien, la souffrance
des hommes a nécessairement une utilité ; Il Prigioniero a été composé peu après la découverte des camps de la Seconde Guerre mondiale.
Faite de cris de souffrance, d’élans compatissants, de
longs récitatifs plaintifs prolongés par un tissu sonore
divers, riche, subtil, contrasté, constamment poignant
d’humanité, cette musique, essentiellement
sérielle, est magistralement composée et
orchestrée. Le personnage de la mère, avec son rêve
en forme de ballade, la chanson des Gueux, la récurrence des
motifs attachés aux trois grands thèmes
fraternité, espérance et liberté, le retour du mot
« fratello » chanté dans l’aigu,
captivent l’attention. La synergie entre voix et instruments est
telle que l’on reste suspendu au déroulement des
événements, le cœur serré, d’un bout
à l’autre. L’action est encadrée par deux
très beaux intermèdes chorals, le premier dans la
ferveur, le second dans la soumission à la loi divine
« Seigneur, tu ouvriras mes lèvres et ma bouche
proclamera tes louanges »
Pour un peu, on oublierait de parler de la mise en scène tant
elle est en phase avec la musique et le chant tout en ignorant
délibérément le cadre historique du livret qui se
situe à l’époque de la rébellion des
Flandres dans l’Espagne de Philippe II. Mieux, grâce
à une lecture respectueuse du sens profond de
l’œuvre, à un dispositif scénique
inspiré de Babel, à des costumes intemporels, à
des lumières mystérieuses et enveloppantes, Lluis Pasqual, Paco Azorin et Albert Faura
exhaussent l’écoute. Sans être statique, dans une
rare symbiose entre visuel et sonore, la direction d’acteurs
atteint une vérité qui épouse la musique et le
chant.
Dans ces conditions qu’on voudrait toujours voir réunies, Rosalind Plowright, Evgeny Nikitin et Chris Meritt
interprètent leur partie de manière si vivante et si
juste que leur performance se passe de commentaires. Quant à la
musique instrumentale, aussi savante et bien dirigée
qu’elle soit par Lothar Zagrosek,
elle semble provenir des sphères plutôt que d’une
fosse d’orchestre. Un grand moment d’opéra sur un
thème qui nous touche de près.
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