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22/12/04
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LE TRIOMPHE DE L'HUMANITE Divertissement pour orchestre, choeur et deux voix solistes La Gloire : Cassandre Berthon
Jean-Philippe Rameau
Acte de ballet
Mise en scène, chorégraphie
et création vidéo : Karole Armitage
Pigmalion : Cyril Auvity
Orchestre et Choeur du Concert Spirituel
Opéra de Nancy et de Lorraine
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Sculpté par la lumière En ouverture des festivités, regroupées sous le titre générique "Le temps des Lumières", qui commémoreront durant toute l'année 2005 le 250ème anniversaire de la célèbre place Stanislas, l'Opéra de Nancy et de Lorraine a présenté deux oeuvres du XVIII ème siècle dans une distribution jeune et entièrement française. La première partie du spectacle proposait la recréation d'une cantate du compositeur lorrain Claude Seurat, pour deux voix de dessus, choeur à quatre parties et orchestre, intitulée Le Triomphe de l'Humanité et créée précisément à la Comédie de Nancy le 26 novembre 1755, en présence du Roi Stanislas, pour célébrer l'érection de la statue de son beau-père Louis XV au centre de la place, dénommée alors Royale. La seconde partie était consacrée au rare Pigmalion de Jean-Philippe Rameau, opéra-ballet en un acte quasi contemporain puisque créé le 27 août 1748 à l'Académie Royale de musique de Paris. Le Triomphe de l'Humanité est ce qu'il est convenu d'appeler une oeuvre de circonstance. La trame en est ténue, qui voit s'affronter Minerve et l'allégorie de La Gloire au sujet des mérites comparés des grands monarques de l'Antiquité. Elles finissent bien entendu par tomber d'accord sur le fait qu'aucun ne parvient à égaler en vertus Stanislas et Louis (XV) et l'oeuvre se termine par un choeur de louanges à ces derniers. Musicalement, cette forme de cantate alterne récitatifs accompagnés, airs lents et airs vifs ornés, parfois de forme da capo, duos et choeurs. L'écriture en est intéressante, parfois même inspirée, jouant sur de brutales modulations ou s'abandonnant à des imitations comme ce chaos musical qu'engendre le mot "mort", la descente dans les graves extrêmes qui accompagne la "nuit profonde" ou le festival de trémolos inquiets sur "cendres". L'oeuvre, suffisamment courte pour ne pas lasser (environ 25 minutes), est donnée cette fois en version de concert, à rideau fermé. Hervé Niquet dirige le tout avec conviction et un certain amusement, que partagent l'orchestre et les solistes. Le soprano limpide de Cassandre Berthon et celui plus corsé de Magali Léger offrent de subtils contrastes, particulièrement dans les entrelacs de leurs duos. Quant au choeur du Concert Spirituel, il sait trouver le ton enjoué et festif qui sied au choeur final de glorification, mais il n'est pas certain que sa position de part et d'autre de l'orchestre, dans les loges de l'avant-scène, ait été la plus judicieuse en termes d'homogénéité et sa puissance. Au final, une exhumation réussie et tout à fait justifiée. Après cette mise en bouche, le plat de résistance constitué par le Pigmalion de Rameau, suivait l'entracte. Là encore, le synopsis est mince ; le sculpteur Pigmalion se désole car il est tombé amoureux de la Statue qu'il vient de modeler. Rien ne peut l'en distraire, pas même la crise de jalousie que lui fait son épouse Céphise. L'Amour, toujours prompt à seconder les sentiments des mortels, donne vie à la Statue, laquelle tombe instantanément sous le charme de son créateur. Tous chantent les louanges de l'Amour. Cet opéra-ballet alterne assez abruptement une vingtaine de minutes de chant, suivies d'une vingtaine de minutes de divertissement dansé et se conclut par un choeur. La partition est séduisante mais il faut concéder que l'on est loin du plaisir délectable trouvé aux délires parodiques de Platée ou aux trouvailles musicales, visionnaires, des Boréades... La danseuse et chorégraphe Karole Armitage qui a déjà collaboré avec l'Opéra de Nancy et le Ballet de Lorraine pour le Château de Barbe-Bleue de Bela Bartok, s'attelle au défi bien réel qui consiste à mettre en scène une telle oeuvre. Dans un espace minimaliste et atemporel, défini simplement par trois rideaux qui entourent la scène et animé par quelques vidéos un tantinet puériles, mais littéralement sculpté par les sublimes éclairages de Clifton Taylor, elle introduit pour la partie chantée trois danseurs en contrepoint et commentaire de l'action scénique, n'hésitant pas à faire participer les chanteurs à leurs mouvements convulsifs. Pour la partie dansée, elle propose une chorégraphie somme toute assez classique, mais très aérienne, d'une fluidité et d'un onirisme prenants, ludique aussi par endroits (le pas de deux masculin), à laquelle le Ballet de Lorraine apporte ses remarquables individualités et son concours attentif, en dépit de quelques regrettables décalages. A la baguette, Hervé Niquet fraie, pour la musique de Rameau, une voie alternative à l'apothéose du rythme et de la danse (Christie) ou à l'accentuation des contrastes (Minkowski). Sa direction souple et allante sait également s'abandonner aux langueurs initiales de Pigmalion comme s'amuser à mettre en exergue les stridences rustiques des pipeaux (parfois d'une justesse relative) ou les sinuosités agrestes des hautbois. La musique de ballet semble parfois moins l'inspirer ; il s'y montre plus convenu et moins imaginatif. Le rôle principal et éponyme de Pigmalion est tenu par Cyril Auvity. Ce haute-contre de noble école convainc aussi bien dans la déploration de "Fatal Amour" que dans le chant orné de "Règne, Amour !". Cependant, un peu court de projection, il peine à se rendre intelligible, même pour la petite salle de 900 places de Nancy. On peut s'interroger sur ce qu'il en restera dans le bien plus vaste vaisseau du Châtelet (1)... La Statue de Cassandre Berthon emporte également l'adhésion. Son timbre cristallin, sa vocalité suave et pure son charme font merveille dans la scène de l'éveil de la Statue et de sa découverte de l'amour. Magali Léger (L'Amour) et Valérie Gabail (Céphise) ne font chacune qu'une courte apparition mais elles s'y montrent parfaitement convaincantes. Mais, au contraire de Valérie Gabail, la diction de Magali Léger pourrait être perfectible. Le public nancéien a salué
avec enthousiasme les protagonistes de cette soirée originale et
très réussie, touchée par la grâce en de nombreux
moments, dont les qualités musicales et scénographiques ne
nous ont inspiré qu'un regret : sa trop grande brièveté
(1h30 de spectacle, entracte compris). Il est vrai qu'à ce niveau,
on en redemande !
Michel THOME
(1) Pigmalion sera repris au Théâtre du Châtelet de Paris, avec la même distribution, les 12, 13 et 15 juin 2005 (2) Le Triomphe de l'Humanité et Pigmalion, enregistrés lors des représentations de Nancy, seront diffusés par France Musiques le samedi 26 février 2005 à 19h. |
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