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LIEGE
30/03/2008
Philippe Pierlot
© DR
George Frideric HAENDEL (1685 – 1759)
LA RESURREZIONE
Oratorio en deux parties HWV 47 (Rome, 1708)
Angelo : Nuria Rial
Maddalena : Céline Scheen
Cleofe : Carlos Mena
San Giovanni : Lluís Vilamajó
Lucifero : Stephan Macleod
Ricercar Consort
Philippe Pierlot : viole de gambe, direction
Salle Philharmonique du Conservatoire de Liège,
le 30 mars 2008, 15h
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300 ans et pas une ride !
Le premier oratorio sur un sujet sacré de
Haendel vit le jour il y a exactement trois cents ans, à
Rome, le dimanche de Pâques de l’an 1708. Contrairement
à son premier opéra créé deux ans plus
tôt à Hambourg (Almira), riche de promesses plus que de beautés intrinsèques, La Resurrezione
est un authentique chef-d’œuvre. Les haendéliens
s’étaient visiblement donnés le mot et
grossissaient les rangs du conservatoire de Liège qui
accueillait Philippe Pierlot et
ses musiciens dimanche dernier pour ce concert de clôture de la
saison baroque de la Salle Philharmonique et du Festival Bach en
Vallée mosane 2008.
Impossible pourtant d’éluder la question qui
fâche : Philippe Pierlot est-il l’homme de la
situation ? Il ne nous a jamais vraiment donné
l’impression de posséder la carrure et l’instinct
dramatique d’un grand chef d’opéra. Or, rien dans le
langage du Saxon ne distingue encore l’oratorio de
l’opéra, c’est d’ailleurs pourquoi Cecilia
Bartoli concluait brillamment son album « Opera proibita » avec deux airs, tout en contrastes, tirés de La Resurrezione :
l’électrisant « Disserati, o porte
d’Averno » de l’Ange et le céleste et
infiniment tendre « Ferma l’ali, e su miei
lumi » de Marie-Madeleine. Comme l’a très
justement souligné Ivan Alexandre, ce premier ouvrage sur les
dix-neuf du genre que composa Haendel est sans doute « le
moins prévisible, le plus coloré, le moins classique, le
plus baroque » (1), le plus
foisonnant de par le renouvellement continuel de son invention
orchestrale et sa puissante et très fine peinture des
caractères.
Pour la création, Corelli dirigeait un orchestre de plus de
quarante musiciens : une vingtaine de violons, quatre altos, cinq
violoncelle et autant de contrebasses, deux paires de hautbois, des
flûtes, des trompettes et même un basson et une gambe, des
raretés dans la Rome de l’époque. C’est sans
doute le rôle inhabituel dévolu à ce dernier
instrument qui a convaincu Pierlot de célébrer
l’anniversaire de La Resurrezione:
présente dès l’ouverture, la viole de gambe
apparaît dans le premier récitatif de Marie-Madeleine et
dans une demi-douzaine d’airs, nouant un magnifique dialogue avec
le violon dans « Per me già di morire » de
Marie-Madeleine, un des climax de l’oeuvre. Malheureusement, le
génie de Haendel ne peut donner toute sa mesure avec le
sous-effectif réuni par Pierlot : à peine sept
violons, deux alto, un seul violoncelle et une contrebasse, le basson
et les trompettes sont bien là mais seulement deux hautbois et
un traverso, orgue, clavecin et théorbe formant le continuo. Des
pages comme celles de Lucifer ou le saisissant tableau
de la colombe prise en chasse par un oiseau de proie
(« Così la tortorella » de saint Jean)
perdent ainsi de leur éclat et de leur pouvoir
d’évocation.
Emmené par le splendide premier violon de Luis Otavio Santos et son mentor à la viole, le Ricercar Consort
réussit pourtant à traduire l’élan
irrésistible qui traverse cette partition gorgée de vie
et offre aux chanteurs un accompagnement à la fois efficace et
sensible. Il faut dire que l’ensemble a bonifié et
gagné en cohésion comme en précision, surtout les
cordes où l’on remarque à la tête des seconds
violons un des meilleurs archets du moment, Sophie Gent.(2)
C’est indéniablement la bonne surprise de ce concert
salué par l’enthousiasme du public qui n’a pas
manqué de bisser les artistes. Si la direction de Pierlot manque
parfois de nerf et de panache, il excelle, en revanche, dans les
passages les plus lyriques et les sommets doloristes tels que le
« Piangete sì, piangete » de Marie de
Cleophas.
Par contre, la distribution a de quoi laisser perplexe, à
commencer par Lucifer. Sa probité stylistique et son
intelligence musicale, si souvent louées ailleurs,
n’aident en rien Stephan Macleod,
dérisoire et inoffensif maître des Enfers. La voix
n’est ni assez longue, ni assez large pour incarner cette figure
impressionnante. Jean hérite, certes, d’une partie
plutôt contemplative, mais Lluís Vilamajó
se révèle trop uniment suave et transparent, avec une
propension à susurrer plus qu’à chanter qui finit
par agacer. Il manque par trop d’épaisseur et de
présence dans les formidables « Così la
tortorella » et « Ecco il sol, ch’esce
dal mar ». Nurial Rial et Carlos Mena sont des partenaires
réguliers du Ricercar Consort, avec lequel ils ont
enregistré une des plus belles versions du Stabat Mater
de Pergolesi (MIRARE). En l’occurrence, la musicalité
rayonnante de la soprano catalane ne masque pas des problèmes de
soutien qui, espérons-le, se résoudront avec le temps (3).
Sans surprise, elle se montre beaucoup plus à l’aise dans
la grâce ailée de « Se per colpa il donna
infelice » que dans le vertigineux « Disserati, o
porte d’Averno ». Quant au rôle de Marie de
Cléophas, il demande des graves autrement solides que ceux
d’un falsettiste et met en difficulté Carlos Mena,
dont la liaison des registres n’est pas le point fort. En
revanche, la qualité de la projection et
l’intensité de l’expression (« Piangete
sì, piangete ») du contre-ténor ne laissent
pas de fasciner. Finalement, seule Céline Scheen,
dans un rôle écrit pour la célèbre
Durastanti (Marie-Madeleine), convainc pleinement et sur toute la
longueur, n’était un italien perfectible.
Malgré ses faiblesses, ce concert aura eu le grand mérite
de remettre en lumière une œuvre exceptionnelle. Gageons
qu’elle sera plus souvent à l’affiche en 2009,
année du 250e anniversaire de la mort du compositeur... On
peut rêver, on doit rêver !
Bernard SCHREUDERS
(1) Cf. la notice qui accompagne
l’enregistrement dirigé par Marc Minkowski pour les micros
d’ARCHIV – sans conteste la meilleure version à ce
jour et un titre indispensable de la discographie haendélienne.
(2) Sophie Gent est également premier violon d’un autre ensemble belge, émergent et très prometteur, Les Muffatti,
qu’il faut découvrir dans un magnifique enregistrement
d’ouvertures et concerti de Johann Christoph Pez paru voici
quelques mois chez RAMEE.
(3) Les mêmes faiblesses entachaient
sa prestation aux côtés de Philippe Jaroussky, le 26
février dernier, à l’église des Minimes de
Bruxelles.
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