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NEW-YORK
04/03/2006
Charles Gounod
ROMEO ET JULIETTE
Livret de Jules Barbier et Michel Carré
Production : Guy Joosten
Décors : Johannes Leiacker
Costumes : Jorge Jara
Eclairages : David Cunningham
Chorégraphie : Sean Curran
Roméo : Ramon Vargas
Juliette : Natalie Dessay
Mercutio : Stéphane Degout
Capulet : Frederick Burchinal
Gertrude : Jane Bunnell
Frère Laurent : Kristinn Sigmundsson
Stephano : Katharine Goeldner
Le Duc de Vérone : Julien Robbins
Benvolio : Tony Stevenson
Tyblat : John Nuzzo
Paris : Daniel Sutin
Gregorio : David Won
Orchestre et chœurs du Metropolitan Opera de New-York
Direction : Bertrand de Billy
New-York, 4 mars 2006 (matinée)
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LA GRENOUILLE QUI VOULAIT SE FAIRE AUSSI GROSSE QUE LE BOEUF
Cette nouvelle production de Roméo et Juliette
aura constitué un des temps forts de la saison actuelle du
Metropolitan, la prestation de la chanteuse française dans un
grand premier rôle constituant une première en ces lieux.
Un peu passé de mode ces dernières années,
l’ouvrage fait partie de la grande tradition de la scène
new-yorkaise. Les ténors les plus prestigieux s’y sont
succédé : Jean de Reszke, Beniamino Gigli, Raoul
Jobin, Nicolai Gedda, Franco Corelli, Placido Domingo, Alfredo
Kraus… Les sopranos ne sont pas en reste et on peut citer Nellie
Melba, Sybil Sanderson, Lucrezia Bori, Geraldine Farrarr, Bidu Sayao,
Mirella Freni ou, plus récemment, Cecilia Gasdia et Diana
Soviero. Il n’avait pas été redonné depuis
1998, pour une ultime reprise de la précédente production
(particulièrement tristounette), réunissant Roberto
Alagna et Angela Gheorghiu.
La concurrence, en particulier côté ténors, est
donc particulièrement rude ! Après ses Contes d’Hoffmann
la saison passée, Ramon Vargas confirme son adéquation
avec l’opéra français : maîtrise des
demi-teintes, style impeccable, legato,
colorations variées … Son Roméo est chanté
dans un français irréprochable (alors que le chanteur ne
parle pas la langue) allié à un timbre d’une
richesse très latine. Seule réserve, un contre-ut
un peu ténu qui manque d’éclat ; le suraigu
n’est pas la spécialité du ténor mexicain.
Sans être un « top model », l’artiste
sait camper un amoureux particulièrement crédible et
attachant. Au global, s’il ne gravit pas les sommets de quelques
uns de ses grands ancêtres, ce Roméo se hisse parmi les
meilleurs.
A ces côtés, Natalie Dessay déploie ses talents
dramatiques en dessinant le portrait d’une Juliette à la
juvénilité un peu immature que la rencontre avec
Roméo transforme progressivement en femme sacrifiée.
Vocalement, le bilan est plus mitigé. La première partie
de l’ouvrage, plus brillante, lui permet d’apparaître
au meilleur de ses capacités. Les duos qui suivent ne la mettent
pas vraiment en valeur, la partie la plus aiguë étant
réservée au ténor. Elle est encore davantage
exposée dans le terrible « Amour ranime mon
courage », d’ailleurs très souvent
coupé, à la tessiture fort centrale : tirée
vers le bas, la voix a un peu de mal à sortir les aigus. On
regrettera également une prononciation souvent peu
compréhensible et un certain manque de variété
dans les colorations. On saluera donc le courage de la chanteuse qui
emporte finalement l’adhésion par son engagement, mais il
est peu probable qu’elle retente l’aventure de si tôt.
Charles Gounod n’a guère été
généreux avec les autres personnages de son opéra,
ne leur réservant que peu d’interventions. C’est
bien dommage quand on peut compter sur une telle brochette de
chanteurs. On signalera en particulier l’excellent Mercutio de
Stéphane Degout, parfait vocalement, stylistiquement et
dramatiquement, le frère Laurent débonnaire de Kristinn
Sigmundsson, ou encore la Gertrude aux moyens impressionnants de la
jeune Jane Bunnell. Seule ombre au tableau, le Stephano insipide et
quasiment incompréhensible de Katharine Goeldner.
A la tête de l’orchestre du Metropolitan, Bertrand de Billy
délivre une lecture riche et passionnée de la partition,
rétablissant en particulier bon nombre de coupures (1) et accompagnant amoureusement les chanteurs : du vrai grand art.
Quoique visuellement agréable, la production de Guy Joosten
laisse un peu perplexe : la volonté de donner au
récit une dimension « cosmique » se
traduit par un plateau tournant en forme d’astrolabe (inconnu
à l’époque), un Armillary suspendu et des
décors massifs qui s’écartent de temps à
autre pour laisser place à des photographies de constellations.
Toute cette quincaillerie rend les mouvements de foule difficiles. Les
scènes intimistes sont mieux traitées et on notera en
particulier le « lit volant » suspendu dans les
airs pendant « Nuits
d’hyménée ».
La dramaturgie accentue la jeunesse initiale des amants, quitte
à leur faire parfois manquer de noblesse (le madrigal est ainsi
traité comme une parodie à laquelle se livrent les deux
jeunes gens), mais elle sait les faire évoluer intelligemment.
Les seconds rôles ne sont pas oubliés, tous leurs
mouvements se voient traités avec justesse et naturel.
En conclusion, un très beau spectacle qui rend justice au chef-d’œuvre de Gounod.
Placido Carrerotti
(1)
Outre l’air de la coupe déjà mentionné, le
duo « Nuit d’hyménée » est
donné dans son intégralité ; une partie du
ballet est conservée en guise de transition aux noces de
Juliette.
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