DES CONTES BIEN TENUS
Au Metropolitan, Otto Schenk était
jusqu'à une époque encore récente le metteur en scène
attitré des opéras allemands. Pas une saison sans qu'une
ou plusieurs de ses productions soient à l'affiche : Richard Wagner
(Tannhaüser, Parsifal et la Tétralogie),
Richard Strauss (Rosenkavalier, Arabella et Elektra), la
célébrissime Fledermaus, où il lui arriva d'interpréter
lui-même le personnage de Frosch. Plus rarement, Schenk s'est tourné
vers d'autres répertoires avec un Rigoletto et ces Contes.
Son travail se caractérise par
une fidélité extrême au texte, une théâtralité
efficace et une grande homogénéité stylistique (c'est
ce qui fait d'ailleurs la force de son Ring).
Si certaines productions tiennent le
coup au fil des reprises (dont l'inusable Rosenkavalier ou l'excellente
Fledermaus),
d'autres finissent par apparaître quelque peu datées.
Ces Contes font partie de la
dernière catégorie : on peut même assurer qu'ils étaient
déjà datés à la création (personnellement,
j'ai découvert cette production en 1988 et c'est le souvenir que
j'en ai).
Schenk n'a pas lésiné
sur le spectaculaire, mais un manque de moyens et une imprécision
générale de la réalisation des décors nuisent
au rendu final de sa production.
Le Prologue nous emmène dans
les caves de Maître Luther : tables en bois grossier, faux tonneaux
plaqués contre les murs, fumée et pénombre. Les costumes
balayent toutes la gamme des gris, marron et verdâtre : c'est la
joie. Le décor s'enfonce dans les profondeurs de la scène
: on ne sait pas si les spectateurs applaudissent l'ascenseur ou s'ils
sont heureux de voir disparaître le décor.
Le premier acte est le plus réussi
: le massif décor du laboratoire glisse du fond de la scène
vers la fosse, entraînant un bric à brac d'objets farfelus
et fantasques. La scène de la poupée est donnée avec
humour, mais elle pâtit de la comparaison avec des productions plus
récentes (Carsen ou Savary par exemple).
Le décor de l'acte d'Antonia
ressemble à une maison de poupée. Faux murs en toile, mobilier
misérable : on croirait une publicité pour Playmobil.
Le décor de l'acte de Giulietta
a été refait pour la reprise de 1991 : c'est Venise vue par
Las Vegas mais avec les moyens de la Rhur.
Sans surprise, le décor de l'Epilogue
ressort des sous-sols pour la scène finale.
Plaquée là-dessus, une
scénographie purement illustrative, sans grande imagination : son
seul mérite est de laisser les chanteurs s'exprimer comme ils le
souhaitent.
Ramon Vargas en profite pleinement
: sautant, courant, dansant le cancan sur la table du bouge. On n'imaginait
pas que ce chanteur puisse s'animer à ce point en scène.
Tout l'y engage : le rôle lui-même (Alfredo Kraus considérait
qu'il pouvait être un piège pour la voix d'un chanteur belcantiste,
car il invite aux débordements un peu véristes : nous sommes
en plein dedans), la production et surtout la tessiture : Vargas a toujours
été angoissé par les notes suraiguës, devenant
souvent timide à l'approche d'une note difficile. Cette fois, il
est bien davantage à son aise qu'en Duc
de Mantoue quelques mois plus tôt. Le timbre est encore très
riche, le chant superbe : c'est un plaisir que d'entendre une voix aussi
"latine" dans cet ouvrage.
James Morris reprend ses personnages
diaboliques en leurs donnant une coloration un peu moins noire que par
le passé. Le personnage est plus effacé, moins sardonique,
mais le chant plus propre (ce qui ne l'empêche pas de rater l'aigu
final d'un "Scintille diamant" transposé d'un demi-ton). La performance
reste néanmoins remarquable, venant d'un des plus grands Wotan ou
de l'un des meilleurs Sachs de l'histoire.
Alelsandra Kurzak fait ses débuts
au Metropolitan avec cette Olympia. Sa performance est très honnête
dès lors qu'on s'efforce d'oublier les variations délirantes
qu'ont offertes des Welting ou des Dessay. La voix dispose d'une certaine
largeur (ce n'est pas un simple "canari") et une puissance respectable.
Seul bémol (si j'ose dire), la justesse n'est pas toujours au rendez-vous
dans le haut medium.
Hong déçoit en Antonia,
l'artiste devant de toute évidence composer avec son évolution
vocale. Habituée d'emplois plus légers (elle est en particulier
admirable en Liu), la chanteuse aborde le rôle avec une voix qui,
elle, manque de largeur et cherche à la protéger en évitant
de donner trop de volume ; trop sollicitée dans le grave, elle perd
de la facilité dans l'aigu (le contre ré est d'ailleurs soigneusement
évité). Ainsi préoccupée par ses problèmes
vocaux, la chanteuse n'a plus guère de ressources pour incarner
une héroïne émouvante. Un comble, ce rôle étant
le plus "payant" émotionnellement.
En progrès constant, Béatrice
Uria Monzon est une courtisane crédible, au timbre sombre et velouté
: le vibrato est mieux contrôlé qu'il y a quelques
années, le volume généreux et, cerise sur le gâteau,
quelques phrases sont même compréhensibles.
Faute de choriste disponible, le double
rôle de la Muse et de Nicklausse est assuré par Ruxandra Donose.
Cette chanteuse est peut être excellente dans d'autres répertoires
ou dans des théâtres de dimensions plus modestes. Mais comme
je me fais un point d'honneur à ne parler (en bien ou en mal) que
de ce que j'entends, et que je n'ai rien entendu, je n'en dirai pas plus.
Les 4 "Valets" de Jean-Paul Fouchécourt
sont tout simplement un régal : c'est magnifiquement chanté
(avec même des variations dans la reprise de "Non c'est la méthode"
!), parfaitement audible et compréhensible, drôle avec légèreté.
Superbe.
Les rôles complémentaires
sont plus ou moins bien tenus ; à noter que (cette saison) le Nathanaël
du Prologue devient Spalanzani à l'acte I, Luther incarne Crespel
au II et Hermann chante Schlémil au III : une piste intéressante
que la mise en scène ne creuse pas.
La version choisie est un mélange
entre les éditions Choudens et Oeser : rétablissement des
airs de la Muse et de Nicklausse, musique d'origine pour "J'ai des yeux",
mais conservation du "Scintille Diamant" et du septuor apocryphe (1).
L'orchestre est dirigé avec
métier par Frédéric Chaslin. Celui-ci met l'accent
sur la dimension théâtrale de l'ouvrage, réussissant
à assurer la cohérence d'un ensemble assez hétéroclite
sur le papier.
Placido Carrerotti
1. Pour
plus de détails, consultez l'excellent dossier
de Christian Peter publié sur Forum Opéra