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NEW-YORK
08/12/2007
Anna Netrebko & Joseph Kaiser
© DR
Charles Gounod (1818-1893)
ROMEO ET JULIETTE
Livret de Jules Barbier et Michel Carré
Mise en scène : Guy Joosten
Décors : Johannes Leiacker
Costumes : Jorge Jara
Lumières : David Cunningham
Chorégraphie : Sean Curran
Roméo : Joseph Kaiser
Juliette : Anna Netrebko
Mercutio : Jeff Mattsey
Stéphano : Isabel Leonard
Frère Laurent : Robert Lloyd
Le Duc de Vérone : Dean Peterson
Tybalt : Mark Heller
Paris : Louis Otey
Gertrude : Jane Bunnell
Capulet : Charles Taylor
Grégorio :David Won
Benvolio : Tony Stevenson
Chœur et Orchestre du Metropolitan Opera
Direction : Placido Domingo
New-York, Metropolitan Opera, 8 décembre 2007
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Juliette cherche Roméo
Créée en 2006 avec Natalie
Dessay et Ramon Vargas, cette nouvelle production devait être
reprise dès cette saison avec un autre couple de stars, Anna Netrebko et Rolando Villazon.
Hélas, les problèmes vocaux du ténor mexicain
l’ont amené à annuler petit à petit ses
engagements, et en particulier la totalité de cette reprise dont
il avait initialement assuré qu’il chanterait quelques
représentations.
Roberto Alagna a ainsi sauvé les deux premières, Joseph Kaiser lui
succédant, remplacé dès la représentation
suivante par Marcello Giordani ! Fin décembre, Matthew Polenzani
viendra compléter la liste des remplaçants, les autres
représentations étant assurées à nouveau
par Joseph Kaiser et Roberto Alagna.
Ancien baryton ayant retravaillé sa voix en ténor, ce
jeune chanteur canadien (29 ans) est un lauréat du concours
Operalia patronné par Placido Domingo. Il a également
été choisi par Kenneth Branagh pour le rôle de
Tamino dans son adaptation de la « Flûte
enchantée ». L’artiste peut se flatter de
posséder un physique avantageux : le genre d’atouts
qui suffit aujourd’hui à certains barytons aphones pour
faire une carrière internationale.
C’est hélas dans cette catégorie qu’il faut ranger Kaiser :
physique de bucheron, mais voix de canari. Bizarrement pour un ancien
baryton, le timbre n’a pas de couleurs dans le bas medium ;
la voix est blanche, peu puissante, engorgée dans la partie
supérieure de la tessiture ; le chanteur compense
l’aigu qui lui manque naturellement par un mixe de tête, de
gorge et de poitrine. Technique fragile qui lui vaudra un accident au
dernier acte, sur l’aigu « d’un flot de
lumière » terminé par un beau
croassement : le prince charmant n’était qu’une
grenouille.
Côté positif, l’artiste chante un français
remarquable, avec goût et style, mais on est plus prêt de
Mozart que de Gounod. En particulier, l’absence d’aigu
naturel est en constante contradiction avec la virilité
physiquement affichée. Sans surprise, le contre-ut de la fin de
l’acte III n’est pas tenté, mais on n’entend
pas davantage ceux écrits dans les duos, même quand le
chanteur ouvre grand la bouche avec des yeux comme des boules de loto
pour faire croire qu’il les chante.
Mais, me direz-vous, pourquoi tant de haine envers un jeune
chanteur qui débute sur une grande scène ?
Précisément parce que nous sommes au Met. En effet, tout
ceci ne serait pas catastrophique si nous n’étions
qu’au spectacle de fin d’année de l’University
College for Hunk Fake Tenors & Counterfeit Weird Voices de Roswell
(Nevada, zone 51) ; mais le Met a amplement eu le temps de juger
sur pièces des faiblesses vocales du chanteur lors de sa
première représentation et aurait dû choisir de
prévoir une autre doublure. Mais la soirée affichait
déjà complet dans ces conditions, pourquoi se
gêner ! Quant à l’artiste, on ose
espérer qu’il est conscient de ses limites et personne ne
l’a contraint à se présenter dans un rôle
aussi inadéquat au regard de ses moyens. Encourager la jeunesse,
c’est une chose ; supporter les erreurs de distributions et
les mauvais choix de carrière dans une des salles les plus
prestigieuses au monde, c’est autre chose.
Quelques mois après ses discutables « Puritani », nous retrouvons Anna Netrebko
dans un rôle davantage à sa mesure, et pour une fois un
peu préparée puisqu’elle avait déjà
eu l’occasion de le roder précédemment sur
scène. Dans la lignée de son Elvira, le soprano russe
démarre très fort : dès son entrée
elle fait fi des notes écrites : contre ré et trille
disparaissent de « comme l’oiseau s’envole aux
cieux ». Et il en sera ainsi jusqu’à la fin de
l’ouvrage, la chanteuse ne tentant par exemple même pas de
simuler les nombreux trilles dans « Amour ranime mon
courage ». Les efforts pour articuler la langue
française sont louables, mais s’évanouissent en
seconde partie.
Au positif, la belle Anna est une Juliette physiquement idéale,
à la voix généreuse et riche,
particulièrement adéquate dans la seconde partie de
l’ouvrage, plus centrale. Passé le premier acte où
la chanteuse tente d’imiter les poses d’adolescente de
Natalie Dessay, le soprano se libère et son jeu naturel emporte
la conviction, confirmant qu’elle est également une vraie
bête de scène.
On ne peut donc que regretter que d’aussi évidentes
qualités soient gâchées par une telle approximation
technique : car même avec ses défauts, Netrebko est
sans doute l’une des meilleures Juliette qu’on ait entendue
sur scène depuis 20 ans.
Le Stéphano d’Isabel Leonard est vif et plaisant ; le frère Laurent de Robert Lloyd
digne, drôle et bien chantant si l’on accepte une voix
très nasale. Les seconds rôles sont corrects mais sans
plus.
Familier de l’ouvrage (qu’il dirigea au Met dès 1986) Placido Domingo est
plus efficace que véritablement inspiré, d’un
professionnalisme certain si l’on songe qu’il aura eu
affaire à 4 ténors différents, et comme toujours
très attentif à ne pas exposer les chanteurs.
Placido CARREROTTI
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